Article publié dans l'édition Atuomne 2021 de Gestion

La pandémie de COVID-19 a mis à rude épreuve notre capacité à nous adapter et a engendré beaucoup de stress. Cette anxiété collective a aussi eu des répercussions sur la performance au travail de bien des gens, notamment les professionnels de la vente. De quelle façon les gestionnaires peuvent-ils atténuer ces fâcheuses conséquences chez leurs employés?

Personne n’a été épargné par la crise sanitaire. Du jour au lendemain, il a fallu adopter de nouvelles façons de faire, de vivre et de travailler. Les contrecoups de ce grand chamboulement collectif n’ont pas tardé à se faire sentir, notamment les problèmes de santé mentale, exacerbés par la pandémie. Après le sentiment d’urgence se sont installés la fatigue et le sentiment d’usure, alors que l’anxiété sociale a elle aussi prélevé un lourd tribut sur la productivité de la main-d’œuvre.

Les chiffres ne laissent aucune place à l’interprétation. Selon une étude1 réalisée au printemps 2020 auprès de 2 700 travailleurs dans 10 secteurs d’activité différents, 75% d’entre eux se sont sentis socialement isolés, 67% ont rapporté des niveaux de stress élevés, 57% ont dit ressentir une grande anxiété et 53% se sont déclarés épuisés sur le plan émotionnel. Or, les professionnels de la vente n’ont pas été épargnés par ces difficultés. État des lieux et aperçu de quelques bonnes pratiques de gestion à mettre en œuvre pour améliorer la situation.

Définition de l’anxiété sociale

Mais tout d’abord, qu’est-ce que l’anxiété sociale? On peut la définir comme le fait d’éprouver, dans un contexte social réel ou anticipé, un certain malaise qui va de la nervosité à l’angoisse. Le plus bel exemple de ce type d’anxiété est probablement celle que nous avons ressentie au printemps 2020, au tout début de la pandémie, quand nous allions faire des courses à l’épicerie et que la crainte de contracter le virus de la COVID-19 nous tenaillait, ou encore lorsque nous croisions des gens sur le trottoir et que chaque personne devenait, à nos yeux, un vecteur potentiel de la maladie…

Si on transpose cette sensation désagréable en milieu de travail, on peut l’illustrer par le malaise qu’est susceptible d’éprouver un vendeur lorsqu’il doit rencontrer un nouveau client par visioconférence: il devient alors socialement anxieux.

Pour arriver à mieux comprendre les contrecoups de la pandémie, nous avons réalisé2 une recherche3 auprès de professionnels de la vente. Dans les études menées avant la pandémie, on lisait généralement que 50% des participants n’avaient pas atteint leurs objectifs de vente annuels4, qu’un vendeur sur trois faisait état de hauts niveaux de stress5 et que 62% d’entre eux étaient en proie à un sentiment de perte de contrôle et de fatigue extrême6. Enfin, les employés les plus engagés étaient également ceux qui, dans une proportion de un sur cinq7, couraient le risque le plus élevé de souffrir d’épuisement professionnel. Un sombre tableau qui fait réfléchir.

Anxiété sociale

L’importance du soutien des gestionnaires

Ces résultats alarmants montrent à quel point le stress et l’anxiété sociale pèsent lourd dans la balance lorsque vient le temps de performer au travail. Heureusement, selon notre étude8, les gestionnaires ont un rôle déterminant à jouer non seulement pour réduire l’anxiété sociale mais également pour en atténuer les effets néfastes lorsque des employés en souffrent déjà. Les gestionnaires qui valorisent les contributions et qui se soucient du bien-être de leurs employés tout en favorisant un environnement de travail sain, qui prodiguent des encouragements, qui témoignent de la reconnaissance et qui font du renforcement constructif peuvent contribuer à amoindrir ces répercussions en apportant de l’aide et en manifestant de la bienveillance aux membres de leur équipe.

Ainsi, les superviseurs ont une influence positive sur leurs employés lorsqu’ils leur expriment de la reconnaissance. Les contacts brefs mais fréquents, tout particulièrement en contexte de télétravail, sont également indispensables, de même que l’empathie et l’écoute. Une fiabilité à toute épreuve est également de mise. Agir comme un joueur d’équipe plutôt que de se comporter en solitaire, guider, coacher et donner l’occasion à ses employés de se responsabiliser et de prendre des initiatives sont d’autres leviers dont l’efficacité a été démontrée.

Mais ce n’est pas tout: les conclusions de notre étude démontrent clairement que les professionnels de la vente qui bénéficient du soutien de leur gestionnaire voient leurs performances s’améliorer. De plus, les vendeurs affichent de meilleurs résultats quand on leur propose d’avoir recours aux techniques dites de pleine conscience (mindfulness). En effet, cette approche, dont on entend beaucoup parler depuis quelques années, convient parfaitement au contexte de travail et permet de réduire l’anxiété sociale.

S’ouvrir à la pleine conscience

La pleine conscience ou la présence attentive, qui consiste à prêter intentionnellement attention aux expériences intérieures (sensations, émotions, pensées, états d’esprit) avec une attitude d’acceptation ou de compassion envers soi-même9, englobe une série de petits gestes concrets qui peuvent prendre différentes formes au cours d’une journée tout en étant suffisamment variés pour que chaque personne puisse choisir ceux qui lui plaisent ou qui s’adaptent le mieux à son environnement. Les gestionnaires peuvent donc en proposer plusieurs aux membres de leur équipe. Parmi ces gestes concrets, on trouve notamment le fait de prendre soin de sa santé en mangeant sainement, en faisant de l’exercice régulièrement et en préservant la qualité de son sommeil. Se parler à soi-même de façon positive est une autre méthode éprouvée. Les phrases suivantes peuvent avoir un écho favorable: «tu es capable de le faire», «tout ira bien», «Prends ton temps», «Respire profondément», «Une chose à la fois», «Cette situation est hors de ton contrôle» ou encore « n’oublie pas que tu es un être humain».

Savoir s’arrêter pour faire une pause, s’accorder quelques minutes pour regarder par la fenêtre et pour laisser errer ses pensées, commencer sa journée en prenant un grand verre d’eau ou en faisant quelques exercices de yoga ou de méditation sont des petits gestes qui contribuent également à réduire l’anxiété.

Il faut aussi s’instruire dans l’art de réduire le stress quotidien, par exemple en supprimant les notifications sur son téléphone en dehors des heures de travail et en évitant de prendre ses messages dès qu’on se lève le matin ou juste avant de se coucher. Enfin, l’adoption d’une attitude positive, par exemple en faisant preuve de gratitude et en se montrant curieux et ouvert sur le monde, tend à apaiser les tensions. Les bienfaits de la présence attentive, ne serait-ce qu’en ayant recours à seulement deux ou trois de ces trucs chaque jour, suffisent déjà à aplanir bien des difficultés.

Par ailleurs, ces diverses stratégies peuvent être utiles non seulement aux professionnels de la vente mais aussi à de nombreux travailleurs. Tous ceux qui œuvrent en première ligne, notamment avec le public et avec la clientèle, peuvent en tirer de grands avantages, tant pour leur bien-être et leur santé mentale que pour leur performance au travail.

Ces stratégies s’avèrent très profitables aux gestionnaires puisqu’ils sont eux aussi exposés à de hauts niveaux de stress. D’ailleurs, pour éviter de devenir des cordonniers mal chaussés et pour donner l’exemple, ils peuvent transmettre une nouvelle astuce chaque jour à leur équipe. En effet, un gestionnaire agile, résilient, qui s’adapte facilement et qui fait preuve d’une approche managériale de soutien et d’ouverture rendra son équipe plus motivée, plus engagée, plus productive et, surtout, beaucoup moins anxieuse!


Notes

1. Smith, R., «How CEOs can support employee mental health in a crisis» (article en ligne), Harvard Business Review, 1er mai 2020.

2. Cette étude a été réalisée par Bruno Lussier et par Nathaniel N. Hartmann.

3. Hartmann, N. N., et Lussier, B., «Managing the sales force through the unexpected exogenous COVID-19 crisis», Industrial Marketing Management, vol. 88, juillet 2020, p. 101-111.

4. Ahearne, M., Boichuk, J. P., Chapman, C. J., et Steen- burgh, T. J., «Earnings management practices in sales and strategic accounts survey report», journal électronique du Social Science Research Network, septembre 2013.

5. Jaramillo, F., Mulki, J. P., et Boles, J. S., «Workplace stressors, job attitude, and job behaviors: Is interpersonal conflict the missing link?», Journal of Personal Selling & Sales Management, vol. 31, n° 3, été 2011, p. 339-356.

6. Valcour, M., «Beating burnout», Harvard Business Review, vol. 94, n° 11, novembre 2016, p. 98-101.

7. Seppälä, E., et Moeller, J., «1 in 5 employees is highly engaged and at risk of burnout» (article en ligne), Harvard Business Review, février 2018.

8. Lussier, B., et al., «Social anxiety and salesperson performance: The roles of mindful acceptance and perceived sales manager support», Journal of Business Research, vol. 124, n° C, janvier 2021, p. 112-125.

9.Roemer, L., et Orsillo, S. M., «Mindfulness: A promising intervention strategy in need of further study», Clinical Psychology Science and Practice, vol. 10, n° 2, juin 2003, p. 172-178.