Quelques mots sur le secret le moins bien gardé du bureau...

On sait que ça existe, on sait que ça se passe, mais on fait comme si ça n'existait pas... L'éléphant dans la pièce, la chose dont personne n'ose prononcer le nom, c'est l'amour au travail. Comme si ce besoin fondamental de l'être humain cessait de se manifester à la porte du bureau...

L'amour au travail est donc le secret le moins bien gardé du bureau. C'est acquis. Mais les contours de ce phénomène, tout comme son ampleur et ses conséquences dans le milieu de travail, ne commencent à peine qu'à être cernés par les chercheurs universitaires qui s'intéressent à la chose.

« Il y a de l'amour dans l'air... »

Ça arrive, et certainement plus fréquemment qu'on ne le croit! On se doute qu'un tel phénomène existe évidemment depuis la nuit des temps, mais les relations amoureuses au travail seraient en hausse depuis quelques décennies. C'est une chose que l'on pourrait attribuer, selon les experts de la question, à la présence de plus en plus importante des femmes sur le marché du travail, aux plus longues heures passées au bureau, à l'âge de plus en plus tardif du mariage et aux divorces, également de plus en plus nombreux. Ceci explique cela... On estime que 60 % des travailleuses et des travailleurs se seraient déjà engagés dans une romance au bureau¹, et que 80 % des gens sont au courant d'une liaison amoureuse existante dans l'organisation. Une personne sur six (16,7 %) aurait déjà eu une aventure d'un soir (« one-night stand ») avec un ou une collègue de travail, et près de 20 % des personnes interrogées ont révélé avoir connu leur partenaire actuel au bureau.

Existe-t-il des milieux de travail plus propices à l'éclosion de telles relations? Certainement! Selon Fiona Wilson², la culture organisationnelle en place dans un milieu explique davantage l'occurrence des liaisons amoureuses que les caractéristiques socio-démographiques des personnes œuvrant en son sein. Ainsi, les milieux plus traditionnels et conservateurs, au rythme plus lent, comme le milieu bancaire par exemple, seraient moins enclins à voir éclore des liaisons. À l'inverse, des milieux de travail jugés plus ouverts et où le rythme de travail est plus intense, comme le monde de la publicité ou du marketing, seraient témoins d'un nombre plus grand de liaisons amoureuses. Les entreprises ou les organisations à caractère davantage hédoniste, comme le sont les restaurants ou les spas par exemple, seraient, sans grande surprise, plus propices à ce genre de relations.

Une bonne chose ou une mauvaise chose?

Comme en amour, rien n'est jamais simple, le débat entourant les effets des liaisons amoureuses sur le lieu de travail ne l'est guère davantage. Certaines études admettent le fait qu'une relation sentimentale entre deux collègues peut amener, surtout au début de la relation, une hausse de la productivité de la part des protagonistes, tout comme elle peut générer une énergie positive sur le lieu de travail, une meilleure communication et une hausse de la satisfaction au travail. Les conséquences négatives d'une telle situation sont toutefois clairement mieux démontrées : impacts sur l'avancement de la carrière, émergence de conflits d'intérêts et, en cas de rupture, conflits ouverts et détérioration du climat de travail. Une chose semble cependant sûre, l'amour et les sentiments euphoriques qu'il apporte ne semblent pas contagieux auprès des collègues de travail. L'immense majorité des études réalisées sur les effets d'une relation amoureuse sur l'entourage des tourtereaux confirme le fait qu'une telle idylle n'améliore en rien le rendement des collègues, et tend généralement à susciter du cynisme et de l'hostilité chez ces derniers.

« L'amour est enfant de bohème... »

Il n'a en effet jamais connu de loi, et les organisations peinent en conséquence à légiférer sur la chose, si tant est qu'un tel exercice mène à quelque chose! Comme le signale la professeure Nina Cole dans son article³, plus de 70 % des entreprises ne possèdent pas de politique relative aux relations amoureuses au bureau. Toutefois, certaines entreprises choisissent d'emprunter la voie légale pour faire face à la chose, et demandent aux employés engagés dans une relation de signer un contrat (« love contract ») qui stipule que la relation est consentie, que les amants ne feront pas preuve de favoritisme et qu'ils ne poursuivront pas l'entreprise si la relation connaît un terme. À l'autre extrémité du spectre, des entreprises telles que Southwest Airlines, AT&T et Ben & Jerry’s encouragent la chose, sur la base d'un plus grand attachement des employés à l'entreprise. Southwest Airlines stipule même que leurs employés ont le droit d'inviter un passager ou une passagère à un rendez-vous galant4. Pas étonnant pour une entreprise dont le symbole à la bourse est LUV!

Article initialement publié le 10 août 2016


¹ Burke, R.J. (2010). « Psychologically intimate, romantic and sexually intimate relationships in the workplace», In Burke, R.J. et Cooper, C.L. (éditeurs). Risky Business: Psychological, Physical and Financial Costs of High Risk Behaviour in Organizations. Farnham: Gower

² Wilson, F. (2015). « Romantic Relationships at Work: Why Love Can Hurt »,International Journal of Management Reviews, 17(1), pp. 1-19.

³ Cole, N. (2009). « Workplace romance: A justice analysis », Journal of Business and Psychology, 24(4), pp. 363-372.

4 Boyd, C. (2010). « The debate over the prohibition of romance in the workplace », Journal of Business Ethics, 97(2), pp. 325-338.