L'amélioration continue peut s’avérer très utile à tous les types d’organisations, peu importe leur taille et leur secteur d’activité. Elle représente toutefois davantage un changement de culture organisationnelle que l’application d’une méthode précise.

L’amélioration continue tire son origine du concept japonais «kaizen». Le kaizen est lui-même ancré dans l’approche «Training Within Industry», développée aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale et importée au Japon dans les années 1950. Des entreprises nipponnes l’ont adoptée. La plus célèbre, Toyota, a à son tour inspiré les gestionnaires occidentaux.

Dans la langue nipponne, «kai» signifie «changement» et «zen» veut dire «meilleur». Mis ensemble, ils ont généralement été traduits par «changement pour le mieux». Cependant, Masaaki Imai – le fondateur du Kaizen Institute qui a popularisé ce concept en Occident dans un ouvrage publié en 1986 – proposait une traduction plus complète. Pour lui, kaizen signifie «amélioration tous les jours, par tout le monde, partout».

«Cette définition suggère une démocratisation de la pensée scientifique très différente du fonctionnement traditionnel des organisations», explique Sylvain Landry, professeur titulaire au Département de gestion des opérations et de la logistique de HEC Montréal. On s’éloigne en effet du règne des experts. Tous les membres de l’organisation peuvent et doivent contribuer quotidiennement à l’identification et à la résolution de problèmes. Cette approche traduit le mieux la philosophie du kaizen, qui consiste à avancer par petits pas, plutôt que de mener de vastes projets ponctuels d’amélioration pilotés par des experts.

Révolution culturelle

Avec le temps, la conception de l’amélioration continue s’est élargie. De nombreuses approches et des outils divers sont apparus. Tous visent de façons différentes à augmenter la performance de l’entreprise en perfectionnant les processus et les opérations de manière constante et durable.

La gestion Lean, par exemple, a été popularisée par Toyota et a rapidement gagné plusieurs adeptes dans le milieu manufacturier, avant de s’étendre à d’autres secteurs. Elle sert surtout à éliminer les sources de gaspillage. La méthode 6 Sigma, introduite par Motorola dans les années 1980, cherche plutôt à améliorer la qualité des produits et services en optimisant les processus de production. Depuis quelques années, on entend souvent parler du Lean 6 Sigma, une fusion des deux approches qui vise à réduire les huit types de gaspillage ou «muda» (voir encadré).

Mais les gestionnaires qui s’intéressent à l’amélioration continue auraient tort de trop se concentrer sur les méthodes et les outils au départ. En effet, l’amélioration continue constitue surtout une culture organisationnelle. «La culture organisationnelle est la somme des bonnes et mauvaises habitudes quotidiennes. L’amélioration continue peut donc se comprendre comme la conséquence de bonnes habitudes, répétées constamment», résume Philippe Deslandes, chef de service amélioration continue de la performance et du bureau de projet au Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Ouest. 

Valoriser les employés

Pour réussir un tel changement culturel, deux éléments s’avèrent essentiels : une forte volonté par la haute direction de prendre ce virage et une adhésion des gestionnaires et des employés. «L’amélioration continue vise l’engagement de tous les travailleurs dans l’amélioration de leurs propres processus et procédés et dans la remise en question de leurs convictions et de leurs méthodes», souligne Jean-Marc Legentil, associé principal chez Bell Nordic Conseil.

Dans une telle approche, l’employé devient bien plus qu’un simple exécutant. Sa connaissance de son travail, sa capacité d’identifier des dysfonctionnements et la qualité des idées qu’il suggère pour les résoudre sont hautement valorisées. Les organisations doivent donc créer des espaces où les travailleurs peuvent communiquer entre eux et avec leurs gestionnaires, réellement tenir compte de leurs propositions et être ouvertes à les essayer.

Apprendre l’humilité

Ce changement culturel peut engendrer de la résistance, puisqu’il repose sur une remise en question de façons de faire parfois très ancrées chez les travailleurs et les gestionnaires. «On doit apprendre à pratiquer ce que les Japonais appellent le “Hansei”, qui représente un aspect important du kaizen», indique Sylvain Landry.

En japonais, le mot «han» signifie «changer» et «sei» veut dire «regarder en arrière et s’examiner». Le Hansei est donc une méthode systématique visant à réexaminer un projet pour y déceler les erreurs, les échecs, les inexactitudes, etc., afin d’éviter qu’ils se reproduisent. Chez Toyota, l’exercice se pratique même dans les cas où une initiative a atteint ses objectifs et semble ainsi, à première vue, couronnée de succès. La prise de conscience des erreurs commises dans le passé aidera les travailleurs à prendre de meilleures décisions la prochaine fois.

Le Hansei exige une bonne dose d’humilité. Il implique de reconnaître l’existence d’un problème, mais aussi d’accepter la responsabilité des erreurs. Ce n’est qu’à cette condition que l’organisation pourra élaborer des plans d’action efficaces pour devenir meilleure. 

Des améliorations payantes

Les efforts des organisations qui implantent une culture d’amélioration continue sont généralement récompensés par une augmentation de la productivité et des performances. Cependant, Jean-Marc Legentil croit qu’on aurait tort de les évaluer avec une perspective trop «comptable». Selon lui, un aspect de l’amélioration continue s’est perdu dans la traduction du japonais à l’anglais. Les Japonais ont développé un élément qu’ils ont baptisé «indicateurs clés de procédés» (KPI). Les Américains l’ont traduit par le terme «indicateurs clés de performance».

«Cela met l’accent sur le résultat plutôt que sur le procédé, déplore Jean-Marc Legentil. Ce n’est pas la même chose. Pour les Japonais, l’attention doit être concentrée sur le procédé, car ils tiennent pour acquis que si celui-ci est amélioré, l’organisation en retirera des bénéfices de toutes sortes.»

Il donne l’exemple des accidents de travail. Rien ne sert, selon lui, de créer des indicateurs pour en calculer le nombre d’année en année. On doit plutôt identifier les facteurs qui favorisent les accidents de travail et améliorer les procédés pour les éliminer. Si on y réussit, ces incidents diminueront forcément.

Il propose la même démarche pour ce qui est de l’adoption de l’amélioration continue. «Plutôt que de se concentrer sur les méthodes comme Lean ou 6 Sigma, mieux vaut identifier les problèmes que l’on veut régler et utiliser les outils d’amélioration continue les mieux adaptés pour y arriver.»

«Muda», ou les 8 gaspillages à éliminer

  1. Surproduction
  2. Attente (employés inactifs)
  3. Opérations inefficaces
  4. Transport (déplacement excessif de matériaux ou de produits)
  5. Stocks (trop de stocks, trop de manipulation des articles en stock)
  6. Mouvements inutiles des employés ou des activités
  7. Qualité médiocre
  8. Ressources mal utilisées