Une forte vague de transferts d’entreprises déferle sur le Québec. Nombre d’entrepreneurs vendent leur firme à un nouveau propriétaire, alors que d’autres cèdent plutôt leurs actions à des employés. L’agence de marketing LG2 a donné une allure originale à ce repreneuriat collectif.

Au tournant des années 2000, l’agence montréalaise était en bonne santé financière et ses affaires allaient bien. Le moment se voulait propice pour s’interroger sur son avenir. Sylvain Labarre et Paul Gauthier, qui l’avaient fondée en 1991, souhaitaient que la propriété demeure québécoise, ce qui n’est pas si fréquent dans ce secteur d’activité où les actionnaires principaux sont souvent des Torontois, des Américains ou des Chinois. Les offres d’achat reçues par les propriétaires ne permettaient pas d’atteindre cet objectif et n’assuraient pas la préservation de la culture de l’entreprise.

Ce dilemme se pose à beaucoup d’entrepreneurs. «Si le propriétaire recherche simplement le meilleur prix pour son entreprise ou désire encaisser le plein montant immédiatement, l’actionnariat collectif ne représente pas nécessairement la solution optimale, souligne Michel Magnan, titulaire de la Chaire de gouvernance d’entreprise Stephen A. Jarislowsky à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia. Ceux qui choisissent cette option veulent généralement assurer la pérennité de la culture d’entreprise qu’ils ont bâtie et se soucient d’abord de l’avenir de leurs employés.»

Claude Auchu

Claude Auchu, associé et chef de la direction 

Lorsque l’idée de se tourner vers un repreneuriat collectif a émergé chez LG2, les dirigeants ont envisagé plusieurs modèles, dont la coopérative de travailleurs. Ils ont finalement souhaité que l’entreprise demeure une société par actions. Ils ont alors amorcé un processus échelonné sur plus d’une décennie pour préparer la relève et céder leur agence à un premier groupe de 17 repreneurs. «C’était le point de départ d’une démarche qui nous a permis d’arriver à un modèle d’actionnariat collectif différent de celui que nous avions au début, composé maintenant de trois catégories d’associés», explique le chef de la direction, Claude Auchu

LG2 compte aujourd’hui 24 associés propriétaires et douze associés en participation. Les associés en participation ne sont pas propriétaires, mais participent aux profits de l’un des trois bureaux par l’entremise d’une bonification annuelle liée à l’atteinte de cibles de revenus.

«Ils pourront plus tard devenir des associés en équité, mais ce n’est pas obligatoire non plus, et ils peuvent très bien demeurer associés en participation, précise Pénélope Fournier, associée et présidente du bureau de Montréal. Cela permet de faire évoluer une relève, mais aussi d’attirer des talents plus expérimentés qui ne seront pas propriétaires, mais qui joueront un rôle clé dans l’entreprise.»

Les associés en équité se partagent en deux groupes : les associés locaux, qui sont actionnaires du bureau de Montréal, de Québec ou de Toronto, et les associés globaux, qui contrôlent l’ensemble du Groupe LG2. Ces deux groupes d’actionnaires participent à la valorisation de l’entreprise et peuvent toucher des dividendes annuels.

«Nous ne voulions pas d’un actionnariat figé et fermé, mais plutôt d’un cycle continu dans lequel l’actionnariat collectif n’est plus seulement une forme de repreneuriat, mais un véritable programme d’intéressement qui aide à attirer et à retenir les talents, et à assurer la pérennité de l’entreprise», souligne Claude Auchu. Tous les deux ans, LG2 procède à une évaluation par un tiers de la juste valeur marchande de la firme et au gel des valeurs des associés. La répartition des actions n’est donc pas coulée dans le béton : elle évolue en fonction de la contribution et de l’impact de chacun.

La progression des futurs actionnaires 

L’organisation a adopté des critères objectifs pour choisir ses futurs associés, notamment la contribution à l’entreprise, le partage de certaines valeurs et l’ancienneté. Ces critères évolueront au fil des ans en fonction de l’émergence de certaines considérations, comme une ouverture de plus en plus grande à la diversité. Les associés actuels proposent des candidatures en fonction de ces critères à un comité de sélection, lequel désigne les nouveaux associés.

«Les promotions sont trop souvent accordées aux personnes qui se font le plus entendre ou qui jouent bien la “partie politique” dans une organisation, rappelle Claude Auchu. Chez nous, tu ne demandes pas à devenir associé en participation et il ne suffit pas de compter sur l’appui du PDG.»

La vice-présidente Conseil, Marie-Christine Cayer, fait partie de ces personnes qui ont accédé sans l’avoir demandé au rang d’associée locale, un poste qu’elle occupe depuis plus de deux ans. Elle se rappelle sa surprise lorsque Pénélope Fournier le lui a proposé. «Plutôt que de célébrer, j’ai pris 24 heures pour réfléchir, raconte-t-elle. Je n’avais jamais envisagé cette possibilité.»

Marie-Christine Cayer

Marie-Christine Cayer, associée et vice-présidente

À l’heure actuelle, LG2 compte plus de 500 employés, ce qui en fait la plus grande agence de communication indépendante à propriété 100% canadienne au Québec. Tous ne peuvent pas être associés. «J’ai bénéficié de la clarté et de l’objectivité du processus, qui accorde une bonne légitimité aux actionnaires, estime Marie-Christine Cayer. Par ailleurs, ma fonction principale demeure d’être vice-présidente Conseil, pas d’être actionnaire.»

Elle ajoute que la perspective de pouvoir devenir associée sans débourser un montant important a rendu la proposition encore plus attrayante. En effet, le transfert originel de l’entreprise avait permis d’établir un élément crucial du modèle de LG2 : les associés n’ont pas à payer de leur poche pour acquérir des actions.

La question du paiement se pose dans tous les transferts d’entreprise et les nouveaux actionnaires doivent souvent contracter des prêts personnels pour acquérir leurs parts. Chez LG2, la direction a plutôt créé une autre société, qui a contracté un prêt chez Desjardins. Ce prêt a été graduellement remboursé à partir des profits de la firme, qui connaissait une forte croissance.

Une direction humaine et résiliente

Pour Michel Séguin, professeur au Département d’organisation et ressources humaines de l’UQAM, l’un des plus grands défis de l’actionnariat collectif consiste à apprendre à gérer en groupe, ce qui peut occasionner des frictions. «Il y a beaucoup de chefs ; on doit donc s’assurer d’avoir des processus de prise de décision qui placent l’intérêt de l’organisation au-dessus de tout et qui réduisent les risques de conflit ou d’enlisement», précise-t-il.

Selon lui, un tel mode de détention exige une culture organisationnelle très forte. «C’est souvent plus facile à gérer pour les premiers associés, mais lorsque de nouvelles générations arrivent, on doit bien les former aux particularités de ce type de gestion et de propriété», poursuit-il.

Claude Auchu admet que l’un des commentaires qu’il entend le plus souvent, c’est justement que prendre des décisions à 24 doit être un vrai cauchemar. «Au contraire, c’est un atout, répond-il. Nous détenons tous un nombre relativement peu élevé d’actions. L’impact financier de nos décisions ne risque pas d’avantager ou de nuire démesurément à un actionnaire en particulier. Nous prenons donc la meilleure décision pour l’entreprise.»

Il ajoute que le fait que les associés travaillent dans l’entreprise et soient répartis entre les trois villes réduit le risque de prendre des décisions fondées uniquement sur des considérations financières. «Cela rend les actionnaires plus bienveillants, affirme-t-il. Nous en arrivons à des décisions plus humaines.»

Pénélope Fournier juge que cet actionnariat collectif a été très utile en 2020, quand la pandémie de COVID-19 a éclaté. «Nous étions 24 à faire front, se rappelle-t-elle. Nous avons constaté alors à quel point notre modèle de gestion améliorait la résilience de l’entreprise.»

Pénélope Fournier

Pénélope Fournier, associée et présidente

Convaincue de la pertinence du modèle de LG2, elle souhaite que plus d’entreprises québécoises envisagent ce type de formule, notamment pour qu’elles restent aux mains d’actionnaires de chez nous. «Garder nos entreprises ici, c’est une clé pour l’avenir de notre économie, croit-elle. Beaucoup de firmes étrangères veulent acheter nos joyaux ; résister à cela exige de la créativité et de la conviction. J’espère vraiment qu’un modèle comme le nôtre inspirera d’autres entrepreneurs et les amènera à faire preuve d’originalité lors des transferts d’entreprise.»

Une gouvernance responsable

LG2 est une entreprise privée qui n’a aucune obligation de se doter d’un conseil d’administration (CA). D’ailleurs, moins d’une PME québécoise sur trois mise sur une telle instance, selon le Centre universitaire d’expertise en gouvernance de sociétés de l’Université Laval. Pourtant, LG2 compte sur un CA depuis plusieurs années. En juin 2022, elle a fait un pas de plus en l’ouvrant à des personnes de l’extérieur.

«Au départ, le CA était composé d’associés provenant de nos trois bureaux et j’en occupais la présidence, explique Claude Auchu. Mais, au fil des ans, nous avons constaté les limites d’une instance formée exclusivement d’associés.» Par exemple, le CA avait le réflexe de se préoccuper souvent de questions opérationnelles qui, normalement, ne devraient pas être de son ressort.

«Le fait d’être entouré de dirigeants actionnaires qui sont des professionnels qui partagent les mêmes intérêts et les mêmes valeurs peut faciliter la gestion d’une entreprise, mais cela risque de créer des angles morts, fait remarquer Michel Magnan. Des administrateurs externes contribuent à garder la dimension stratégique en vue, au-delà des enjeux auxquels les associés sont confrontés au quotidien.»

LG2 a collaboré avec Brio Conseils pour élaborer la nouvelle structure et avait un double objectif : ouvrir le CA à des personnes de l’extérieur et y mélanger des associés plus jeunes et des associés plus vieux.

C’est Monique Leroux, ex-dirigeante du Mouvement Desjardins, qui en assume la présidence. «Claude souhaitait ardemment qu’une femme prenne la tête du conseil ; c’était important pour lui et  Monique Leroux était son premier choix», souligne Pénélope Fournier.

Monique Leroux avait déjà collaboré avec LG2 lorsqu’elle était administratrice de la Fondation de l’Institut de cardiologie de Montréal et lors de son passage chez Desjardins. «J’ai toujours trouvé qu’ils accomplissaient un superbe travail», assure-t-elle. Elle avait aussi passé un coup de fil à Claude Auchu pendant la pandémie, pour s’enquérir de la situation de l’entreprise et l’informer de différents programmes d’aide.

Elle n’a donc pas hésité à accepter. «Pour une entreprise privée, se doter d’un CA ouvert à l’externe est un grand signe de maturité, ajoute-t-elle. C’est inspirant et cela correspond tout à fait aux tendances actuelles en matière de gouvernance responsable.»

Elle croit que le modèle d’actionnariat retenu par LG2 crée un intérêt commun dans l’entreprise, qui a le potentiel de mobiliser les employés, de favoriser le travail d’équipe et de générer une bonne relève. LG2 a d’ailleurs mis sur pied un comité mixte sur le leadership et le développement de la relève, pour appuyer les actionnaires actuels et favoriser l’émergence de la prochaine génération. «Ce sera un défi intéressant de bâtir les quatrième et cinquième générations d’actionnaires de LG2 et je m’efforcerai d’aider les dirigeants à y parvenir.»

Article publié dans l'édition Été 2023 de Gestion