Kathy Baig : construire sa place
2025-03-21

French
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2025-04-15
Kathy Baig : construire sa place
Leadership , Management , Entretien

Photo : Maude Chauvin
Première femme à être nommée directrice générale et cheffe de la direction de l’École de technologie supérieure (ÉTS) en juin 2024, Kathy Baig incarne l’audace et la détermination dans un univers encore majoritairement masculin. Son parcours témoigne d’un leadership affirmé et d’une capacité à ouvrir des portes dans des environnements exigeants. Entretien avec cette femme influente.
Kathy Baig s’est toujours distinguée par sa capacité à trouver des solutions. C’est ce qui l’a poussée, en 2016, à s’impliquer activement à l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ), qui s’enlisait alors dans une crise de confiance au sortir de la commission Charbonneau. Lorsqu’elle quittera ses fonctions après avoir présidé l’organisme pendant six ans, l’OIQ aura regagné la confiance du public.
Il y a une vingtaine d’années, en franchissant les portes de Polytechnique Montréal en tant qu’étudiante, Kathy Baig ne comprenait pas complètement ce que signifiait le métier d’ingénieur, mais elle avait la conviction profonde que cela lui permettrait de bâtir une carrière où elle pourrait avoir de l’impact. Ce désir de contribuer positivement à la transformation de la société reste, encore aujourd’hui, au cœur de sa motivation. Pour y parvenir, toutefois, elle a dû faire preuve d’un acharnement remarquable et s’imposer dans un milieu où il lui fallait démontrer continuellement sa crédibilité.
À l’université, Kathy Baig a rapidement dû user de stratégie pour affirmer son leadership. Malgré sa rigueur, sa créativité et son goût pour le dépassement, on hésitait à lui confier le rôle de chef dans les travaux d’équipe, parce qu’elle était une femme. «J’aime coordonner, j’aime l’efficacité. Dans les rencontres, j’arrivais préparée, j’avais tout lu, j’avais un plan de travail. Avec le temps, on a fini par se tourner naturellement vers moi!» C’est ainsi qu’elle a su se forger une solide réputation.
Pour l’amour de la profession
Kathy Baig se souvient précisément du moment où elle a décidé de poser sa candidature pour devenir administratrice à l’OIQ. Jeune trentenaire, elle venait tout juste d’accoucher. «J’étais en train d’allaiter. À la télévision, il y avait le scandale de la commission Charbonneau. Je constatais avec désolation qu’une poignée d’ingénieurs ruinaient la réputation des 65 000 membres de l’Ordre. Fâchée, je me disais : “Mais est-ce que quelqu’un va se lever pour prendre la responsabilité de ce dossier?”»
À l’époque, l’ingénieure poursuivait un MBA à HEC Montréal. Or, un cours sur la gouvernance l’a profondément marquée. «On nous disait : “Si vous voulez changer les choses, visez les conseils d’administration.” J’ai donc décidé de m’y présenter, comme si j’étais chargée d’une mission.» Convaincue qu’elle avait peu de chance d’être élue, elle était loin d’imaginer qu’elle se retrouverait bientôt dans un contexte chaotique, où elle serait propulsée avec intensité dans un rôle de premier plan.
Par un concours de circonstances, elle a accédé à la présidence de l’OIQ en pleine tourmente, alors que l’organisme était sous tutelle. Les conseils affluaient de toutes parts, chacun tentant d’influencer ses décisions. «Il fallait faire preuve d’écoute, de courage et, aussi, savoir travailler dans l’intérêt du bien commun avant mon propre intérêt. Je ne prétends pas être parfaite, mais selon moi, peu de dirigeants parviennent à se dissocier de leurs émotions dans la prise de décision. C’est si facile de se laisser guider par son ego, la colère ou d’autres mauvaises raisons», estime-t-elle. Pour traverser cette tempête, l’ingénieure s’est donc appuyée sur ses convictions profondes, avançant avec cohérence et résilience, dans un contexte où elle n’avait pas droit à l’erreur. Une expérience qu’elle juge comme une incroyable école de leadership.
Les défis des ingénieurs de demain
Après son passage à l’OIQ, Kathy Baig a été vice-présidente Stratégie au sein de la firme Stantec, spécialisée en ingénierie et développement durable. Puis, en juin 2024, elle a pris la barre de l’ÉTS avec son ouverture d’esprit distinctive, en se fiant à la force de son parcours. Reconnaissante de l’accueil chaleureux qu’on lui a manifesté, elle dirige aujourd’hui une organisation en pleine croissance, où les troupes démontrent une large mobilisation. Son principal défi : nourrir cette motivation. «Dans les organisations en forte croissance, il existe un risque réel de perdre son identité, ce qui peut entraîner un effritement de l’engagement, souvent difficile à reconstruire», explique-t-elle. Afin d’éviter cet écueil, la directrice générale mise sur une communication claire et des outils adaptés.
Kathy Baig compte également profiter de cet élan de l’ÉTS pour concrétiser les ambitions de l’organisation. Elle évoque la notoriété d’une université dont la qualité de l’expertise mérite d’être mieux reconnue à travers le pays ainsi qu’à l’échelle internationale. «Nous avons créé différents établissements : l’Institut de recherche AdapT sur les infrastructures résilientes et circulaires, l’Institut quantique et l’Institut des technologies de la santé. Nous offrirons d’ici peu des baccalauréats en génie aérospatial et en génie de l’environnement. Autant de projets qui exigent des ressources. Il faut néanmoins trouver un équilibre et respecter nos capacités», résume-t-elle.
Pour Kathy Baig, le génie est une discipline qui «donne l’impression de déplacer des montagnes ». Elle reconnaît cependant que les ingénieurs de demain devront affronter des enjeux de taille : l’interdisciplinarité et la complexité des projets, les changements climatiques et l’intelligence artificielle. «En ce qui concerne l’IA, il y a des risques inhérents, comme avec n’importe quelle nouvelle technologie. J’ai confiance que l’humanité saura trouver son chemin malgré une période de turbulences.»
Oser être soi
Pour jouer pleinement ce rôle influent auquel elle aspirait, Kathy Baig a enrichi sa formation en génie par des études en gestion. Elle explique avoir également bâti son leadership en observant attentivement les dirigeants qu’elle côtoyait. «J’ai beaucoup appris en regardant : non seulement ceux qui excellaient, mais aussi ceux qui échouaient ou faisaient des erreurs, parfois sans mauvaises intentions. Et j’ai appris. J’ai défini mon propre style de leadership, au fil des rencontres, des expériences et des réflexions, en restant toujours fidèle à ce que je suis.»
La dirigeante déplore toutefois le manque de modèles féminins inspirants. «J’ai vu des femmes incarner des modèles masculins. Pour ma part, j’ai plutôt envie d’ajouter ma propre couleur, même si certains de mes gestes peuvent parfois bousculer mes collègues et mon entourage.» Et pour la femme qu’elle est, pas question de faire abstraction de la maternité et de tout ce qu’elle implique, quoique l’équilibre entre la famille et la carrière reste un défi constant. «Au bout du compte, on doit toujours exercer un leadership humain qui nous ressemble», conclut-elle.
Qui est Kathy Baig?Diplômée en génie chimique de Polytechnique Montréal et détentrice d’un MBA de HEC Montréal, Kathy Baig a travaillé dans des entreprises de renom comme Johnson & Johnson, PyroGenesis, Aéroports de Montréal, Stantec et IBM, occupant des postes en ingénierie de même qu’en gestion. «J’ai adoré être sur le terrain et trouver des solutions aux problèmes sur la ligne de production. Dans les moments où la pression est élevée, devant une occasion d’améliorer les choses en équipe, je me sens énergisée.» Rassembleuse, sachant s’entourer, elle n’a jamais hésité à avancer, malgré le vertige qu’elle pouvait ressentir, faisant preuve de résilience et d’introspection. «Mais je rêve du jour où les femmes pourront accéder à des postes intéressants plus naturellement.» |
Article publié dans l’édition Printemps 2025 de Gestion
Leadership , Management , Entretien