Article publié dans l'édition Automne 2020 de Gestion

Aucun athlète professionnel n’essaierait un nouveau mouvement pour la première fois durant une compétition : au contraire, il s’entraînerait d’abord jusqu’à le maîtriser parfaitement. Les gestionnaires peuvent s’inspirer de cette façon de faire et tirer profit du dojo de kata – connu partout dans le monde sous l’expression anglaise kata dojo – pour acquérir des compétences en coaching dans un environnement contrôlé.

Un gestionnaire peut-il se permettre de tester une technique de coaching qui ne lui est pas familière dans des situations réelles et lorsque les enjeux sont importants ? Bien sûr que non ! Ce serait comme si un joueur de tennis de calibre international essayait une nouvelle façon de tenir sa raquette lors de la finale de Roland-Garros…


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Or, comment peut-on prétendre s’améliorer et acquérir de nouvelles compétences si on ne peut pas s’entraîner? La solution réside dans le dojo de kata, qui offre non seulement un soutien pratique mais aussi une approche plus efficace et plus rapide pour aider les gestionnaires à renforcer leurs habiletés en coaching, et ce, à tous les niveaux de gestion d’une organisation. Tour d’horizon de cette approche aux résultats étonnants.

Qu’est ce qu’un dojo de kata ?

Pour appuyer les transformations organisationnelles et instaurer une culture de l’amélioration continue, le rôle et le savoir-être des gestionnaires doivent évoluer en complémentarité avec les outils d’amélioration des processus et de gestion de la performance1. Dans cette optique, les gestionnaires sont de plus en plus considérés comme des coachs et comme des facilitateurs ; ils ne sont plus ceux qui détiennent toutes les réponses. Or, ces habiletés en coaching ne s’improvisent pas et doivent faire l’objet d’un apprentissage rigoureux. En effet, si les connaissances explicites peuvent être documentées et partagées, les connaissances tacites, quant à elles, ne s’acquièrent qu’avec l’expérience et avec de l’entraînement individuel.

Pour aider les leaders à agir autrement et à concourir à une culture de l’amélioration continue au sein de leur organisation, le chercheur américain Mike Rother2, inspiré par la démarche scientifique de Toyota, a élaboré le modèle du Toyota Kata. Ce dernier comprend deux axes : le kata d’amélioration et le kata de coaching, celui-ci prenant la forme de questions rigoureuses. Dans ce modèle, le gestionnaire joue le rôle d’un coach qui facilite les échanges avec son employé apprenant (aussi nommé améliorateur) plutôt que celui d’un expert du contenu ou d’un maître des réponses.

Le dojo de kata, quant à lui, constitue un environnement d’apprentissage idéal où chacun est volontairement exposé à des mises en situation qui lui permettront d’acquérir des habiletés en coaching. Contrairement à la formation traditionnelle, où on invite des personnes de l’externe à donner des conférences, des séminaires ou des ateliers, le dojo est un lieu de rencontre défini au sein de l’organisation elle-même. Il va bien au-delà des centres de formation internes où on enseigne des compétences de façon magistrale.

Dans un dojo, les gestionnaires peuvent pratiquer des mises en situation de coaching basées sur des cas qui peuvent survenir au quotidien. Ils suivent donc des scénarios spécialement conçus à cette fin, et ce, autant de fois qu’ils le souhaitent. De plus, dans ce lieu sûr destiné à l’apprentissage, ils n’ont pas à craindre de poser des questions maladroites, puisqu’ils interagissent amicalement avec un collègue qui joue le rôle de l’employé apprenant. Ce faisant, ils testent et améliorent leurs diverses approches en matière de coaching.

Pour illustrer de façon concrète le fonctionnement d’un dojo, prenons l’exemple d’un chef d’orchestre qui éprouverait des difficultés avec son premier violon. Dans un dojo, il pourrait étudier un certain nombre de situations avec d’autres chefs d’orchestre dans le contexte d’un jeu de rôles où ses homologues incarneraient à tour de rôle le premier violon. Cette façon de faire lui permettrait d’aborder un même problème sous plusieurs angles, d’explorer différentes approches durant les mises en situation et, ce faisant, d’être plus efficace lors de sa prochaine séance de coaching avec son premier violon. Ainsi, le chef d’orchestre en viendrait progressivement à trouver les bonnes questions à lui poser afin de déterminer la bonne approche pour mettre fin à cette impasse.

Le kata de coaching ne consiste pas seulement à poser des questions, même s’il s’agit de questions ouvertes. Un bon cycle de coaching nécessite de poser les bonnes questions au bon moment et de s’abstenir de donner des directives ou sa propre opinion. Ici, le fait de poser les bonnes questions au bon moment favorise le développement de la réflexion scientifique et les habiletés de l’apprenant en matière de résolution de problèmes.

Les deux piliers du succès d'un dojo pour exercer le kata de coaching

Lorsqu’on le compare à d’autres jeux de rôles, on constate que l’entraînement dans un dojo est plus rapide et plus efficace parce qu’il s’appuie sur deux piliers essentiels.

  1. Premièrement, comme c’est le cas pour n’importe quelle compétence – apprendre à danser ou à jouer d’un instrument de musique, par exemple –, la création d’un modèle est une condition préalable à tout processus d’amélioration. En utilisant le kata de coaching comme base, les gestionnaires peuvent ensuite l’adapter en fonction de leurs propres besoins.
  2. Deuxièmement, dans un dojo de kata, on a recours à une boucle d’entraînement qui permet de concevoir des exercices et des scénarios personnalisés en imaginant des trucs utiles pour un coach. Cette approche est nettement plus efficace que la simple mise en scène d’une situation à laquelle un coach a déjà été exposé. Ces deux éléments constituent assurément des ingrédients de succès pour un dojo de kata.

Ce que nous avons appris sur le terrain

Au cours des dernières années, la pratique du kata d’amélioration et du kata de coaching a été instituée au sein de plusieurs organisations dans le monde entier. La mise en place de dojos de coaching dans diverses organisations nous a permis de faire plusieurs découvertes intéressantes. Tout d'abord, nous avons constaté que les mises en situation dans un dojo peuvent être très amusantes! après ce type d’entraînement, les coachs estiment qu’il est plus facile d’utiliser le kata de coaching dans la vie de tous les jours. De plus, le simple fait de voir ses collègues s’exercer, parfois avec difficulté, stimule la confiance en soi de tous les participants, qui apprennent les uns des autres.

Le dojo où on met en pratique le kata de coaching constitue donc un outil puissant ; les gestionnaires, les superviseurs et les chefs d’équipe le perçoivent comme une invitation permanente à perfectionner leurs compétences en matière de coaching et de communication. Les glissements vers de mauvaises habitudes sont signalés au dojo.

Des chercheurs3 ont aussi observé que les gens apprennent plus rapidement lorsque le problème qu’on leur demande de résoudre les oblige à avancer à petits pas. Or, toute la construction des exercices au dojo repose sur la maîtrise d’une compétence spécifique, c’est-à-dire l’obtention d’un succès confirmé, avant d’introduire davantage de complexité. En avançant à petits pas, une étape à la fois, on accroît au bout du compte l’efficacité de l’apprentissage.

Autre constat important : le principe du dojo pour exercer le kata de coaching va bien au-delà d’une simple conversation à ce sujet entre deux personnes, d’un cycle de kata de coaching devant une station visuelle (aussi connue sous le nom de storyboard). Il permet aussi de s’entraîner à faire face à toutes sortes de situations de gestion (résolution de conflits, évaluation de la performance, mobilisation des équipes, etc.).


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Le dojo de kata peut aussi servir à de nombreux types de professionnels, pas seulement aux gestionnaires. Ainsi, il est possible de concevoir des exercices spécifiques dans le dojo pour le coaching des infirmières, des médecins, des technologues, des enseignants, des avocats et des ingénieurs, notamment.

En résumé, le dojo de kata est un outil puissant et polyvalent auquel toutes sortes d’organisations peuvent avoir recours. Et si votre entreprise disposait d’un centre de formation permanente autogéré, où vos gestionnaires auraient la possibilité de s’exercer régulièrement à des mises en situation très variées, afin d’améliorer leurs compétences en matière de coaching et de communication ? En peu de temps, ils pourraient faire des pas de géant, et ce, grâce à la méthode des petits pas…

* Article écrit en collaboration avec Emmanuelle Gril, journaliste.


Notes

1 Dionne, C., et Landry, S., « Le savoir-être du coach, une dimension essentielle à la culture de l’amélioration continue », Gestion HEC Montréal, vol. 45, n° 1, printemps 2020, p. 40-45.

2 Rother, M., Toyota Kata – Managing People for Improvement, adaptiveness and Superior Results, New York, McGraw Hill Education, 2009, 400 pages. Voir également sur ce sujet : Landry, S., et Rother, M., « Cinq étapes pour mettre en œuvre la méthode kata dans votre entreprise », Gestion HEC Montréal, vol. 41, n° 1, printemps 2016, p. 88-91 ; Legentil, J.-M., Legentil, M.-O., et Schwarz, T., Le Toyota Kata Memory Jogger – Comment atteindre des cibles ambitieuses et coacher les autres vers le succès, Methuen (MA), GOAL/QPC, 2019, 178 pages.

3 Lemov, D., Woolway, E., et Yezzi, K., Practice Perfect – 42 Rules for Getting Better at Getting Better, San Francisco, Jossey-Bass, 2012, 289 pages.