De plus en plus d’organisations tentent de mettre l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI) au cœur de leurs actions. Une philosophie qui se joue sur différents aspects, y compris sur la façon de communiquer non seulement avec ses équipes, mais aussi avec sa clientèle et ses partenaires. Bienvenue dans le monde du langage inclusif.

Quand une employée, responsable d’un projet sur l’entrepreneuriat au féminin, lui a suggéré d’adopter les principes de communication inclusive dans son organisation, Isabelle Gilbert a été la première à convaincre. «Je suis féministe de longue date, mais je trouvais qu’il y avait d’autres combats plus importants à mener, comme l’équité salariale», se rappelle la directrice générale de la Corporation de développement économique communautaire (CDEC) de Québec.

Dépassant son premier réflexe, la directrice a réalisé que le masculin ne l’a pas toujours emporté sur le féminin et que les stéréotypes sont largement véhiculés par la langue… «Et, en entrepreneuriat, ils sont nombreux. Par exemple, quand on évoque un entrepreneur à succès, on pense automatiquement à un homme de 40 ans à la tête d’une start-up en technologies qui fait des affaires à l’international, illustre-t-elle. Cela finit par façonner les esprits.»

C’est d’ailleurs le premier défi auquel font face les entreprises qui désirent amorcer ce virage. En effet, il faut persuader la direction du bien-fondé d’une démarche de ce genre, ce qui peut faire grincer des dents. «Mais il ne faut pas avoir peur des changements : le langage évolue pour tenir compte des nouvelles réalités et c’est tout à fait normal. Il est important que les gestionnaires soient au fait des termes appropriés», explique Sébastien Arcand, professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal. D’autant que, selon lui, nommer, c’est reconnaître.

Quand chaque mot compte

Comme l’égalité fait partie des valeurs fondamentales de la CDEC de Québec – qui soutient notamment l’entrepreneuriat collectif –, la direction et le conseil d’administration ont donc décidé de franchir le pas et ont adopté, en 2020, une politique de communication inclusive. «En fait, on a abordé cela comme un guide pratique plutôt que comme une politique, nuance Isabelle Gilbert. Cela permet à l’organisation de développer les bons réflexes, mais ce n’est pas une bible. Si on n’est pas parfaits, ce n’est pas grave; l’important, c’est d’avancer.»

Ce document, disponible sur Internet, présente notamment les grands principes derrière le langage épicène. En effet, il existe une multitude de techniques derrière ce type de communication. On peut penser à l’utilisation de doublets, où les mots viennent par paire, par exemple «les enseignants et les enseignantes». D’autres opteront pour «les enseignant·e·s», la forme tronquée, ou «le personnel enseignant», une formulation neutre. Autres possibilités : féminiser certains mots (comme «autrice») ou employer des néologismes tels que «iel», un pronom non genré.

Certaines personnes choisiront d’ajouter leur pronom (il, elle ou iel) en signature, comme le fait remarquer Fran Delhoume, analyste en EDI à URelles, un cabinet-conseil spécialisé dans ce type de démarche. Ce faisant, on indique clairement qu’il peut exister différentes identités de genre entre le féminin et le masculin. «C’est une façon de montrer qu’on est ouvert ou ouverte à ce genre de discussions, même si elles peuvent être parfois inconfortables», dit-elle. Il s’agit donc un signe d’ouverture qui va dans le sens de l’inclusion.

Des réflexes qui ont la vie dure

Isabelle Gilbert a constaté que modifier sa façon d’écrire peut être complexe, car il faut déjouer des habitudes solidement ancrées. «Au début, c’est un défi, parce que ce sont des réflexes qu’on n’a pas et qu’il faut développer. On a décidé d’opter pour les doublets abrégés, mais pour éviter de trop alourdir les textes, on combine cela avec des formulations neutres. C’est vraiment tout un exercice, et il faut faire preuve d’indulgence envers soi-même», fait-elle remarquer.

Présentations sur le site web, publications sur les médias sociaux, offres d’emploi, rapports annuels et courriels : tout a été passé au crible pour s’assurer que le langage utilisé est le plus inclusif possible. Même les formules de politesse ont été repensées, comme le souligne Marie-Christine Landry, directrice du marketing à la CDEC : «Dans nos courriels, on a laissé tomber les mots "monsieur" et "madame" pour saluer les gens par leur prénom», explique-t-elle, ajoutant que cela était un peu contre-intuitif au début et que c’est également plus difficile à appliquer à l’oral.

L’équipe tente aussi de respecter les principes d’inclusion plus largement dans ses communications. «L’autre défi, c’est de s’assurer que le visuel qu’on choisit – par exemple les photos qui accompagnent nos publications sur Facebook – est représentatif de la réalité, sans pour autant tomber dans les clichés», soutient Marie-Christine Landry. Même chose quand l’organisme met de l’avant des témoignages ou organise des événements : il on tente de faire place à des profils diversifiés.

Les étapes du changement

Comme le montre l’exemple de la CDEC, obtenir l’adhésion de la direction est essentiel pour réussir pareil virage. «C’est un changement de culture organisationnelle. Il faut qu’il y ait un leadership, si ce n’est que pour traverser les barrières et rappeler l’orientation qu’on a prise», mentionne Isabelle Gilbert. Cela est d’autant plus important que tout le monde doit participer à l’effort.

La CDEC a également organisé plusieurs formations auprès de son personnel pour qu’il teste les différentes techniques, une étape cruciale, selon la directrice générale. De plus, l’organisme a désigné certaines personnes «gardiennes de l’écriture inclusive», c’est-à-dire des références pour ces questions. «C’est aussi un défi de conserver cette expertise quand il y a des départs ou des embauches», remarque Marie-Christine Landry, directrice du marketing.

Mais surtout, au-delà des mots, il faut s’assurer que son entreprise offre réellement un milieu de travail qui respecte les principes de l’EDI, de l’avis de Fran Delhoume. «Si, en tant que recrue, j’arrive dans une organisation qui s’affiche publiquement comme étant inclusive, mais que je me sens exclue, je vais tomber d’encore plus haut que si je n’avais pas eu d’attentes!» illustre-t-elle. C’est pourquoi les gestionnaires ont tout intérêt à aller chercher de l’expertise à l’externe pour couvrir les différents angles de l’EDI et à se montrer proactives – plutôt que réactives– à ce sujet.

D’ailleurs, la démarche amorcée par la CDEC de Québec s’inscrivait dans une réflexion plus large touchant autant à la représentativité au conseil d’administration qu’aux pratiques organisationnelles. Isabelle Gilbert souligne qu’elle a mené à l’adoption d’une politique d’EDI et que des guides ainsi qu’un accompagnement virtuel sur ce sujet sont également offerts par l’organisme. «L’un des objectifs de la CDEC, dans ses orientations stratégiques, c’est d’être une organisation exemplaire et d’en inspirer d’autres», résume la directrice générale.