Article publié dans l'édition Automne 2021 de Gestion

J’ai un malaise physique, littéralement, quand je vois cette publicité de chauffe-eau où un gars sous une douche au jet abondant chante un long extrait d’opéra en fantasmant qu’il est en habit sur une scène. Il m’arrive d’engueuler ma télé: «Je viens juste de voir un reportage sur des problèmes de sécheresse! Et vous venez faire l’apologie du gaspillage d’eau et d’énergie?»

Marie-Claude Ducas

Marie-Claude Ducas est journaliste et auteure.

Il y a aussi toutes ces scènes de belle nature sauvage qui servent à nous vendre des voitures... Surtout des VUS, bien sûr, ou de bons gros pick-up. Comme si ces environnements n’étaient pas menacés, justement, par le fait que les voitures sont toujours plus nombreuses et de plus en plus grosses.

Avant d’aller plus loin, sachez que j’ai couvert en long, en large et en travers le milieu de la publicité, des communications et du marketing pendant de nombreuses années. Je peux dire sans exagérer que je le connais plutôt bien. (Il faudra voir si j’y aurai encore beaucoup d’amis après la publication de cette chronique, mais ça, c’est une autre question.) Cela pour vous dire que je peux déjà entendre les arguments de ceux et celles qui travaillent «dans la comm»: «On ne fait que répondre aux demandes de nos clients, qui ont leurs objectifs de ventes. Déjà, on a souvent toutes les misères du monde à leur faire accepter des concepts pas trop nuls qui vont donner autre chose que de la pollution sonore et visuelle... Et on devrait leur imposer des préoccupations environnementales ou humanitaires en plus? Ce n’est pas notre job.»

Eh bien oui, c’est précisément ça, votre job: donner à vos clients, les annonceurs, l’heure juste quant aux façons appropriées – et sensées – d’atteindre les consommateurs. Il y a eu une époque où les femmes, dans les publicités, étaient le plus souvent des ménagères en pâmoison devant un quelconque nettoyant miracle... en écoutant une voix masculine leur en vanter doctement les mérites. Ou alors c’étaient des poupounes venues enjoliver les voitures ou décorer les scènes de party dans les annonces de bière. Pour cela, pas besoin de remonter à l’époque montrée dans Mad Men: on voyait encore ce genre d’exemples à la toute fin des années 1980 et même un peu après. Donc, il y a eu des changements. Il en faut encore. Bien sûr, les autos ne vont pas disparaître du jour au lendemain : elles sont utiles et n’incarnent pas le mal absolu. Mais qui va parler aux constructeurs des changements de ton qu’il faut opérer? Il y a une marque d’autos dont la campagne publicitaire consiste en une série d’invitations à découvrir les merveilles naturelles du Québec. Une des pubs débutait comme ceci: «Le Québec, c’est des changements extrêmes de température...» Wow. Qui relèvera les degrés d’incohérence, ici? Ça devient aussi absurde que ces publicités de cigarettes qui, à l’époque, utilisaient des médecins pour vanter leurs produits. (Si vous ne me croyez pas, tapez, dans Google Images, «publicités de cigarettes avec des médecins».)

La publicité fait bien autre chose que nous vendre des biens et des services. D’ailleurs, beaucoup de publicitaires le font valoir: «On travaille aussi à changer les comportements. On fait des publicités pour des causes, pour Amnistie internationale, pour l’aide aux sans-abri... On sensibilise aux dangers de la cigarette, de la vitesse, des textos ou de l’alcool au volant.» C’est vrai. Certains de ces messages sont d’ailleurs très efficaces.

Mais il n’y a pas que ces pubs sociétales qui transmettent des messages très puissants quant à nos comportements et à nos normes sociales. Les publicités auxquelles nous sommes exposés tous les jours, attablés devant notre café du matin ou assis dans nos voitures, devant nos ordinateurs, nos tablettes ou nos téléviseurs, nous vendent bien plus que telle auto, tel centre de rénovation ou tel voyage: elles nous vendent aussi des conceptions du monde et des façons de vivre. L’accumulation de pubs de voyagistes enracine l’idée selon laquelle aller dans le Sud au moins une fois par année est une sorte de norme. On finit par se sentir vaguement frustré ou inadéquat si on ne le fait pas. Et, mine de rien, on renforce aussi l’idée selon laquelle l’hiver est par définition une calamité dont il faut absolument se sauver. Surtout quand les loteries se mettent aussi de la partie en annonçant leurs gros lots avec des slogans comme «De quoi laisser l’hiver derrière!».

Les pubs de centres de rénovation, comme les pubs de voitures, nous montrent presque invariablement des unifamiliales de banlieue avec entrée de garage et cour individuelle. C’est pourtant loin de correspondre à la façon de vivre de tout le monde. Et c’est une avenue de développement hautement discutable lorsqu’on connaît tous les problèmes liés, entre autres, à l’étalement urbain et à la consommation excessive d’énergie. Mais bonne chance pour se mettre à penser autrement... Surtout avec toutes les pubs de piscines pour venir enfoncer le clou du «chacun dans sa cour». L’une d’elles, au début de l’été, nous vantait même le fait de ne plus avoir à «se baigner chez le voisin qu’on n’aime pas trop». (Message clair: un voisin, c’est en général quelqu’un qu’on n’aime pas trop.)

Alors oui, les publicitaires doivent faire face à des défis complexes dans un domaine en plein bouleversement. Mais qui ne peut pas en dire autant ces temps-ci? Et en publicité, les gens se font payer – assez bien, d’ailleurs – précisément pour aider les annonceurs à être en phase avec leur public. Donc avec leur époque. Ils se voient et se décrivent comme étant les mieux placés pour flairer l’air du temps et pour être à l’avant-garde des tendances. Nous infligeront-ils encore longtemps des messages déjà problématiques il y a 30 ans?