Article publié dans l'édition hiver 2017 de Gestion

« Success is all in the global mindset. » C’est dans ces termes que Vijay Govindarajan et Anil Gupta résumaient, il y a près de 20 ans, ce qui permet aux firmes multinationales de se distinguer et de perdurer dans le nouvel ordre mondial. Mais en quoi consiste une mentalité mondiale ? Comment contribue-t-elle au succès et comment les dirigeants peuvent-ils implanter cette mentalité au sein de leur organisation ?

Devant les bouleversements technologiques, l’accélération du rythme des affaires et l’intégration des marchés, les gestionnaires sont constamment sollicités. La concurrence n’est plus locale mais mondiale, peu importe le secteur d’activité, et les gestionnaires doivent être en mesure de discerner les grandes tendances internationales et de définir les menaces et les possibilités qui s’y rattachent. Pour cela, ils se doivent de développer ce que les chercheurs appellent une mentalité mondiale. Mais qu’est-ce qu’une mentalité mondiale et en quoi est-elle si importante ?


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Qu’est-ce qu’une mentalité « mondiale » ?

La notion de mentalité mondiale trouve ses fondements dans les approches cognitives, existentialistes et comportementales de la gestion. Elle se définit comme « une structure complexe caractérisée par une ouverture à de multiples réalités stratégiques et culturelles, par une articulation de ces réalités ainsi que par l’habileté à intégrer ces différentes perspectives ».

Au cœur d’une mentalité mondiale se trouvent deux dimensions : la dimension stratégique et la dimension culturelle. La dimension stratégique concerne l’environnement d’affaires : elle consiste à considérer cet environnement dans toute sa complexité plutôt que de le simplifier. La dimension culturelle, quant à elle, implique une reconnaissance et une compréhension des autres cultures ainsi qu’une ouverture à celles-ci. Elle est fondée sur la conviction que les meilleures idées peuvent provenir de partout dans le monde.

En combinant les dimensions stratégique et culturelle, une mentalité mondiale va permettre, d’une part, de jongler avec une conceptualisation tant locale que mondiale de la réalité et, d’autre part, d’intégrer ces perspectives en vue de saisir les enjeux dans toute leur complexité. Sur la base de cette compréhension, les gestionnaires sont réputés être mieux à même de voir les menaces et les possibilités en faisant des associations entre différentes informations a prioridivergentes ainsi que de déterminer les actions possibles pour être en mesure de saisir les occasions.

De manière concrète, une entreprise qui entretient une mentalité mondiale sera en mesure d’acquérir un certain nombre d’avantages concurrentiels, notamment une meilleure compréhension des enjeux de compromis entre l’adaptation locale et la standardisation mondiale, l’établissement de meilleurs pratiques, la conception plus rapide de nouveaux produits et une coordination plus efficace entre ses différentes équipes.

L’importance d’une mentalité mondiale

Pour bien comprendre en quoi une mentalité mondiale est importante, il est capital de saisir les fondements des structures cognitives. Une structure cognitive consiste en un cadre conceptuel qui permet de lire les différents signaux émis dans l’environnement et de distinguer ceux qui méritent qu’on s’y attarde et ceux dont on peut ne pas tenir compte.

Lorsque nous sommes exposés à de nouveaux signaux, nous filtrons inconsciemment l’information en fonction de certains paramètres. Ces paramètres vont nous permettre de réduire le volume d’information auquel nous prêtons attention afin de nous concentrer sur l’information la plus pertinente en fonction des tâches à effectuer.

Un gestionnaire apprendra donc, au fil des ans, à reconnaître certaines tendances dans son secteur d’activité en fonction de sa compréhension des différentes informations pertinentes pour ce même secteur. Tant que le secteur d’activité fonctionne selon les paramètres assimilés par le dirigeant, la structure cognitive lui permet de filtrer et d’interpréter l’information et de prendre rapidement les mesures appropriées.

Tout se complique lorsque les paramètres antérieurs ne permettent plus d’interpréter adéquatement l’information. Dans ces circonstances, le cadre cognitif peut mener à une interprétation erronée de la réalité, avec des conséquences importantes, notamment une incapacité à voir le changement et à s’y adapter.

Le cas de Kodak est un bel exemple d’entreprise qui n’a pas su entrevoir les répercussions de l’arrivée de la technologie numérique dans le domaine de la photographie. Plus récemment, Blockbuster a vu ses parts de marché diminuer de la même manière face à l’émergence des Netflix et autres distributeurs en ligne de vidéos sur demande. Dans ces deux cas, les dirigeants ont été incapables de comprendre les changements qui survenaient dans leur domaine respectif et de s’adapter assez rapidement pour espérer maintenir une position enviable dans leur secteur d’activité.

Une structure cognitive complexe s’avère plus à même de favoriser une logique d’adaptation, car elle est moins rigide. Elle va donc permettre de « connecter » différentes informations mises à la disposition du gestionnaire, d’en saisir les nuances et de s’adapter plus aisément à un environnement changeant.

Une approche multiple

Cette capacité à développer une structure cognitive complexe de l’environnement est une qualité qui se manifeste de plusieurs façons. Sur le plan individuel, elle se concrétise par une attitude d’ouverture envers diverses sources d’information et par une capacité à intégrer et à synthétiser cette information. Pour y parvenir, l’individu doit être capable de faire abstraction de ses préjugés ou de ses biais concernant la provenance de ses renseignements et d’en tenir compte sans égard aux origines nationales ou culturelles.

Cependant, afin de vraiment bénéficier de cette information, un individu doit être capable de synthétiser l’information en provenance de ces différentes sources, même si celles-ci peuvent sembler isolées a priori, et d’incorporer divers cadres interprétatifs dans les processus de prise de décision. Elon Musk, le PDG de Tesla et de SpaceX, représente un bon exemple d’individu ayant cette capacité : plusieurs de ses projets combinent des domaines d’activité variés qui, mis ensemble, se fondent sur une réflexion par rapport aux grands enjeux actuels.

Dans le cas d’une firme multinationale, les comportements de l’équipe de direction ainsi que le contexte organisationnel vont avoir des effets notables sur la capacité des gestionnaires à reconnaître des enjeux mondiaux en tenant compte du temps consacré à partager l’information sur ces enjeux ainsi que de leur signification pour l’organisation. Une attention insuffisante accordée à ces enjeux aura un effet négatif sur la performance de la firme et cet effet se trouvera accentué à mesure que la firme sera exposée aux marchés internationaux.

Mais attention : le fait d’accorder une trop grande attention aux enjeux mondiaux peut nuire à ce qui se passe au sein de l’organisation et s’avérer contre- productif. Il est donc important de ne pas perdre de vue les enjeux locaux.


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Comment favoriser l’émergence d’une mentalité mondiale

Adopter une mentalité mondiale commence par une ouverture sur le monde. Un point de départ pour les gestionnaires consiste à se nourrir de sources d’information diversifiées afin d’obtenir d’autres perspectives et d’autres points de vue.

La manière la plus efficace demeure cependant de se confronter à d’autres réalités. Pour ce faire, une formation ou une expérience de travail à l’étranger demeurent des moyens de choix pour acquérir une meilleure compréhension du monde. Afin de bien profiter de ces expériences, il faut toutefois savoir s’intégrer aux communautés d’accueil et adopter une attitude réflective par rapport à ce que nous expérimentons. Ceci permet de mieux saisir les enjeux auxquels nous devons faire face, d’apprendre sur des manières de faire différentes et de prendre du recul par rapport à notre propre cadre de référence.

tesla

La capacité d'Elon Musk, PDG de Tesla et de Space X, à synthétiser l'information provenant de différents domaines contribue à son succès.

Photo Istock

Au sein d’une équipe de direction, une mentalité mondiale peut s’entretenir grâce à un certain nombre de mesures et d’activités. Une veille stratégique de médias étrangers et de bases de données permettra de discerner des tendances émergentes. Des communications fréquentes avec les dirigeants à l’étranger, qui sont plus près du terrain et mieux à même de nuancer l’information diffusée dans les médias, permet d’enrichir l’interprétation des grands enjeux actuels. Afin d’en bénéficier, les dirigeants doivent s’accorder du temps pour discuter entre eux de ces différentes informations ainsi que des implications possibles pour leur secteur d’activité et leur organisation.

Finalement, et c’est là l’apanage des hauts dirigeants, il est important de créer un contexte organisationnel valorisant la diversité et favorisant les échanges entre différentes unités. Ce contexte concerne l’architecture de l’organisation, soit l’attribution des rôles et des responsabilités au sein de la firme, la culture organisationnelle ainsi que les grandes orientations stratégiques communiquées à l’ensemble des employés.

En ce qui concerne l’architecture de l’organisation, encourager une diversité culturelle au sein de l’équipe de direction, favoriser des équipes interdisciplinaires et dispersées géographiquement et créer des sièges sociaux dans différentes régions du monde s’avèrent des moyens efficaces d’encourager la prise en compte de perspectives multiples. Ces différentes pratiques sont d’ailleurs utilisées avec succès depuis de nombreuses années par des firmes telles qu’Accenture et IBM.

Pour ce qui est de la culture, la recherche active des meilleures pratiques et la création d’occasions pour les adopter permettent d’encourager l’implantation d’un environnement où l’innovation est valorisée, peu importe son origine. En ce sens, la société 3M organise une foire de l’innovation où des équipes de partout dans le monde sont invitées à partager leurs idées avec les autres divisions. Ceci permet de mieux diffuser l’innovation et de bâtir des liens entre des équipes dispersées géographiquement.

En ce qui concerne les grandes orientations stratégiques, une focalisation sur les objectifs mondiaux enverra à l’ensemble de l’organisation un signal fort selon lequel toute l’information qui permettra de bien cerner les enjeux actuels s’avère pertinente au succès futur de l’organisation. Pour bien en profiter, il faudra cependant favoriser les actions locales qui correspondent à ces objectifs. C’est ici que le slogan think global, act local, adopté par IBM notamment, a toute son importance !

En somme, le monde se mondialise et l’information abonde : la question n’est plus de savoir en quoi la mondialisation va avoir des répercussions sur nous mais comment adopter la mentalité managériale nécessaire pour réussir. Êtes-vous prêts ?


Pour aller plus loin

  • Govindarajan, V., et Gupta, A. K., « Success is all in the mindset », Financial Times, 27 février 1998.
  • Bouquet, C., et Birkinshaw, J. M., « How global strategies emerge : an attention perspective », Global Strategy Journal, vol. 1, nos 3-4, octobre 2011, p. 243-262.
  • Bouquet, C., Morrison, A. J., et Birkinshaw, J. M., « International attention and multinational enterprise performance », Journal of International Business Studies, vol. 40, n° 1, octobre 2008, p. 108-131.
  • Levy, O., Beechler, S., Taylor, S., et Boyacigiller, N. A., « What we talk about when we talk about “global mindset” – Managerial cognition in multinational corporations », Journal of International Business Studies, vol. 38, n° 2, décembre 2006, p. 231-258.