Crises financières, pandémies, changements climatiques, tensions politiques et difficultés d’approvisionnement sont quelques-uns des défis auxquels font face aujourd’hui les entreprises. Cette situation est encore plus frappante dans les organisations du secteur public (OSP), qui doivent répondre aux attentes grandissantes de l’ensemble des acteurs de la société. Pour fournir des services adéquats dans un environnement de plus en plus exigeant, les OSP doivent continuellement se réinventer et innover.

Tout d’abord, qu’est-ce que l’innovation? Si on tente de la définir simplement, l’innovation consiste à mettre en œuvre de nouvelles idées et connaissances afin de provoquer des changements dans les pratiques pour créer de la valeur. Bien qu’elles soient exploitées dans des environnements volatils, incertains et de plus en plus complexes, les OSP détestent généralement le risque et utilisent des indicateurs de performance qui tendent à inhiber l’innovation.

Innover est un processus dynamique qui requiert généralement la collaboration de nombreux individus ayant des connaissances et des perspectives complémentaires. On qualifie d’innovations «ouvertes» (IO) celles qui s’appuient sur des connaissances provenant de différentes ressources internes et externes, telles que les citoyens, les universités, les instituts de recherche, les organisations privées ou les organismes communautaires. Le défi consiste à identifier et à intégrer ces connaissances variées tout au long du processus d’innovation. Pour les OSP, cela suppose alors de collaborer au sein d’écosystèmes d’innovation avec des partenaires publics ou privés.

Pour favoriser la réussite d’une innovation ouverte, les gestionnaires qui souhaitent initier une telle démarche doivent avoir conscience des défis à venir et des bonnes pratiques à mettre en œuvre. Une analyse1 de cas d’innovation2 et une étude comparative détaillée de deux écosystèmes d’innovation – PULSAR3 et la Cité de l’innovation et des savoirs Aix-Marseille (CISAM)4 – ont été menées afin d’identifier des défis (voir l’encadré à la page 88) et des bonnes pratiques permettant d’accroître les probabilités de succès d’initiatives d’innovations ouvertes menées par des OSP.

Défis à surveiller

Collaboration interorganisationnelle

  • Maintenir l’engagement des partenaires de façon continue
  • Utiliser un langage et des outils collaboratifs communs
  • Développer une vision commune
  • Partager de façon fluide l’information, les connaissances et les idées
  • Établir un climat de confiance et de respect

Processus d’innovation

  • Obtenir et maintenir les ressources et les expertises adéquates
  • Surmonter les lourdeurs structurelles et processuelles
  • Faire respecter les normes, les processus et les lois encadrant les OSP
  • Dompter la résistance au changement
  • Respecter les réalités temporelles de chaque partenaire
  • Obtenir un soutien continu de la direction et des partenaires
  • Anticiper les enjeux politiques

Engagement des citoyens

  • Comprendre la réalité des citoyens et accroître l’inclusion sociale
  • Adapter les canaux de communication au contexte des citoyens
  • Obtenir l’engagement des citoyens et le maintenir

Données et technologies

  • Surmonter les limites des infrastructures technologiques existantes
  • Assurer une gouvernance sécuritaire des données

Cinq bonnes pratiques à expérimenter

Créer des occasions et des lieux d’échange entre les partenaires

Il est essentiel, dans un premier temps, d’aménager des espaces qui facilitent la communication entre les collaborateurs. Ceci peut être réalisé de différentes façons, dans des lieux physiques ou dans des environnements virtuels conçus pour encourager l’expression et la mise en commun d’informations et d’idées, tout en favorisant l’engagement des partenaires. En rapprochant chercheurs, étudiants, entrepreneurs et acteurs socioéconomiques dans un même espace physique, la CISAM a créé un lieu qui facilite l’innovation et stimule la créativité entrepreneuriale.

De manière plus ponctuelle, l’organisation de rencontres entre partenaires telles que des hackathons, des coopérations, des rallyes ou des ateliers de «design thinking» peut présenter des avantages similaires. Chez PULSAR, par exemple, de grandes « messes » d’idéation, regroupant parfois près de 150 partenaires de divers milieux, ont ainsi été organisées.

Les lieux d’échange peuvent aussi être dématérialisés. Le déploiement d’une plateforme numérique offre l’avantage de permettre à un plus grand nombre d’acteurs de générer et de proposer de nouvelles idées. Ils peuvent aussi y commenter les idées soumises par leurs collaborateurs. Pour rassembler les partenaires (citoyens, usagers ou autres) et créer un momentum autour des initiatives d’IO, il est souvent nécessaire de renforcer sa présence sur les réseaux sociaux. PULSAR et la CISAM ont ainsi identifié des publics cibles et déterminé les canaux les plus efficaces pour les rejoindre (Facebook, Instagram, Twitter).

Comprendre les besoins des utilisateurs

Pour développer des innovations utiles et pertinentes, il est primordial de savoir saisir les besoins des personnes qui les utiliseront et de s’y ajuster. Pour ce faire, les OSP peuvent cartographier les usagers potentiels, notamment en termes de connaissances, de capacités, d’intérêts et de préférences. À la CISAM, des analystes d’affaires ont entre autres cartographié les compétences des équipes de recherche à Aix-Marseille Université, afin de pouvoir filtrer les futures demandes provenant d’acteurs socioéconomiques et de bien cibler les experts à consulter.

Il s’avère également bénéfique pour les organisations d’adopter une approche itérative qui encourage le développement de prototypes et la réalisation de plusieurs tests. Des boucles d’itérations, plus rapides et moins coûteuses, permettent de tester des hypothèses, d’obtenir de la rétroaction et d’apprendre, toujours dans le but d’améliorer les innovations en matière de développement. Ainsi, l’adoption d’une approche agile est pertinente, puisqu’elle met l’accent sur la collaboration entre des équipes pluridisciplinaires et leurs utilisateurs finaux. Suivant ce principe, l’équipe de PULSAR a commencé par livrer ce qui donne «le plus de valeur» et ce qui est prioritaire pour les partenaires. Elle a également favorisé une structure organique qui évolue constamment et qui s’adapte en fonction des projets et des occasions qui se présentent.

Maintenir une collaboration optimale entre les partenaires

Une initiative d’IO peut durer de nombreuses années. La motivation initiale des partenaires risque alors de s’essouffler en cours de route. Il faut donc être capable de favoriser la collaboration entre les partenaires tout au long du processus d’innovation. Le succès de ces initiatives repose sur le développement d’un climat de coopération fondé sur la confiance.

En ce sens, PULSAR et la CISAM ont instauré des pratiques qui encouragent une communication ouverte et transparente. Ce changement de philosophie et d’état d’esprit couvre généralement plusieurs principes importants, tels que reconnaître la valeur des idées et des points de vue de tous les partenaires, les écouter attentivement, de manière réfléchie et respectueuse, rendre les informations et les résultats accessibles à tous, et prêcher par l’exemple.

Pour renforcer la motivation et l’engagement des partenaires, on doit également se doter d’une vision claire et partagée. L’établissement d’objectifs communs, la reconnaissance et la promotion des avantages de l’innovation ainsi que la clarification des avantages sont des démarches essentielles.

Finalement, l’utilisation de plateformes numériques étant au cœur des initiatives d’IO, il est important que les partenaires portent une attention toute spéciale à la gouvernance et à la sécurité des données. Les règles concernant l’accessibilité, le partage, la modification et l’utilisation de celles-ci doivent être clairement établies avant que soient déployées les plateformes numériques. Au-delà du respect essentiel des lois, c’est toute une réflexion sur le maintien et sur le renforcement de la confiance entre les partenaires qu’il faut mener.

Rassembler les bonnes personnes

La collaboration et le travail d’équipe sont au cœur des initiatives d’IO. Former l’équipe idéale pour réaliser le projet et favoriser l’épanouissement de chacun des membres est donc une priorité. Les équipes étant généralement pluridisciplinaires et composées de personnes issues d’organisations diverses, il importe d’identifier et de sélectionner des individus qui disposeront de connaissances et de compétences complémentaires. Il est primordial de cibler des professionnels qui non seulement ont des compétences « techniques » et des connaissances relatives au domaine de l’innovation, mais qui comprennent aussi les besoins des utilisateurs (par exemple, les citoyens).

Il s’agit ensuite de favoriser une culture organisationnelle d’ouverture et d’expérimentation. Cette démarche exige de façonner un environnement dans lequel la patience, la transparence, le soutien et la prise de risques seront acceptés et où les échecs seront tolérés, car ces derniers peuvent servir de source importante d’apprentissage.

Chez PULSAR, la personne responsable du projet a toujours accueilli avec ouverture les partenaires qui souhaitaient s’investir dans le projet et a su maintenir une atmosphère de collégialité et de transparence. Son credo?

Toujours diriger son énergie et son attention sur les partenaires «positifs» qui servent de locomotives, créant ainsi un effet d’entraînement, sans trop perdre de temps avec les partenaires «négatifs», qui freinent l’initiative.

Assumer une direction claire

En dernier lieu, une initiative d’IO doit maintenir une direction claire et se donner les moyens de réussir. Un leadership fort et une vision cohérente du processus d’innovation sont des éléments essentiels. Le leadership peut s’exprimer par le biais d’une personne ou encore d’un groupe de personnes responsables d’orchestrer, de fédérer et d’utiliser les énergies et les ressources nécessaires pour réaliser des objectifs communs. Une vision claire d’une initiative d’IO donne une direction aux partenaires impliqués et doit préciser pourquoi le projet est crucial et comment les objectifs seront atteints.

Dans sa démarche d’IO, PULSAR a établi une vision claire et simple qui tenait en une seule phrase : mettre en place une plateforme collaborative de recherche et d’intervention en santé durable. Le soutien des hauts dirigeants a aussi légitimé le leadership que l’organisation souhaitait prendre. Un comité directeur a été formé pour aller chercher des appuis à trois niveaux clés : politique, recherche et finance. D’ailleurs, sur ce dernier point – et comme c’est le cas pour tout projet –, il est très important que l’organisation du secteur public s’assure que les ressources financières seront suffisantes tout au long des différentes étapes du projet.

Les innovations ouvertes exigent que les organisations et leurs gestionnaires déploient un ensemble d’actions afin de bien promouvoir cette démarche. Or, même s’il n’existe pas de recette magique, connaître en avance certains des défis auxquels une initiative d’IO risque de devoir faire face et les bonnes pratiques à instaurer augmentera sûrement les chances de succès.

Aide-mémoire – Quelles sont les bonnes pratiques et comment les mettre en œuvre?

Créer des occasions et des lieux d’échange entre les partenaires

  • Créer des espaces de collaboration physiques
  • Organiser des rencontres ponctuelles entre partenaires
  • Implanter une plateforme numérique
  • Développer une présence sur les réseaux sociaux

Comprendre les besoins des utilisateurs et s’y ajuster

  • Cartographier les utilisateurs potentiels des innovations
  • Développer des prototypes et multiplier les tests
  • Adopter une approche agile

Maintenir une collaboration optimale entre les partenaires tout au long du processus d’innovation

  • Développer un climat de collaboration fondé sur la confiance
  • Développer une vision claire et commune de l’initiative
  • Définir les règles de gouvernance et de sécurité des données

Rassembler les bonnes personnes et favoriser leur épanouissement

  • Identifier les personnes ayant des connaissances et des compétences complémentaires
  • Identifier les personnes qui connaissent bien les utilisateurs finaux
  • Favoriser une culture organisationnelle d’ouverture et d’expérimentation

Maintenir une direction claire et se donner les moyens d’y parvenir

  • Mettre en place un leadership fort
  • Maintenir une vision claire et cohérente du processus d’innovation
  • S’assurer du soutien des hauts dirigeants
  • Garantir des ressources financières suffisantes tout au long des différentes étapes du projet

Article publié dans l'édition Hiver 2023 de Gestion


Notes

1- Bourdeau, S., Coulon, T., Pascal, A., et Templier, M. «Innovation ouverte et écosystème d’innovation : implications pour les organisations du secteur public» (en ligne), CIRANO, novembre 2021, 114 pages.

2- Les 253 cas répertoriés dans cette analyse proviennent de la base de données de cas de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

3- PULSAR est un espace collaboratif de recherche et d’innovation en santé durable mis en œuvre par l’Université Laval et l’Alliance Santé Québec (Canada). À la fois virtuel et physique, l’espace PULSAR rassemble des acteurs de divers horizons dont l’objectif est d’améliorer de façon significative et durable la santé et le bienêtre de la population.

4- La Cité de l’innovation et des savoirs Aix-Marseille (CISAM) est un espace unique de créativité entrepreneuriale, de rencontres et d’enrichissement sur le territoire d’Aix-Marseille (France). Elle repose sur les connaissances et les ambitions partagées par la plus grande université francophone d’Aix-Marseille (AMU) et deux multinationales, la CMA-CGM et le Groupe L’OCCITANE, afin de développer une culture scientifique et d’innovation au service de l’essor économique en regroupant sur un même site l’ensemble des ressources permettant de stimuler des démarches innovantes.