« Si on se dit que le média social, c'est Facebook; les vidéos en ligne, c'est YouTube et que le moteur de recherche, c'est Google : on est foutus! », a plaidé avec verve l'entrepreneur-vedette Alexandre Taillefer en ouverture de la première édition du Forum Culture + Numérique qui a eu lieu les 21 et 22 mars 2017 au Digihub à Shawinigan. Si tous s'entendaient pour valoriser l'ambition, beaucoup ont par ailleurs émis des doutes sur la pertinence de créer de nouveaux géants du Web « à la sauce québécoise ».

« Le Québec manque d'ambition »

questions réponses avec Sylvain CarleLes chefs de file de l'industrie numérique et culturelle le répètent volontiers dès que la question leur est posée. En ce sens, l'onde de choc Taillefer trouve vite écho chez les gestionnaires de l'industrie culturelle présents au rendez-vous numérique. « On ne peut pas se permettre au Québec de manquer d'ambition », rappelle avec conviction Suzanne Gouin, présidente du Conseil d'administration du Printemps numérique et ex-PDG de TV5 Québec Canada.

Pour plusieurs toutefois, la solution proposée par Taillefer en conférence d'ouverture paraît inadéquate. Selon eux, la création de plateformes destinées à remplacer les GAFA (Google, Apple, Facebook ou Amazon) dans la province est un pas dans la mauvaise direction. « Avec tout le respect que j'ai pour Alexandre [Taillefer], c'est faux de dire qu'il faut une seule plateforme pour les Québécois! », confie à Gestion, Sylvain Carle, un ancien développeur aguerri de Twitter à San Francisco. « Quand quelqu'un vient me dire qu'il veut faire un YouTube québécois, je lui dis "Non"! Le YouTube pour le Québec, c'est YouTube », déclare celui qui est aussi associé chez Real Ventures, un fonds de capital de risque en technologie prêtant parfois jusqu'à 750 000 $ aux start-ups novatrices qui ont de la gueule comme Frank + Oak, Beyond the Rack ou encore Busbud.

Oui pour l'ambition, non pour l'imitation donc. Si par contre un jeune entrepreneur l'approche avec des rêves de grandeur et qu'il veut s'inspirer du succès de YouTube, Sylvain Carle répond présent : « Si tu veux faire quelque chose d'unique au monde, et que tu mets la barre haute, je vais t'écouter », reconnaît-il.

Culture de la subvention

questions reponses avec Glenn O FarrellAu cours des deux jours, de nombreux intervenants ont par ailleurs fait remarquer que les entreprises culturelles sont souvent subventionnées. Notre situation minoritaire en Amérique du Nord pousse les gouvernements à aider plusieurs joueurs majeurs de cette industrie. Une contribution essentielle au rayonnement de la culture qui faisait sans contredit l'unanimité chez les participants au Forum Culture + Numérique. Mais de nombreuses voix se sont élevées pour émettre des doutes sur cette façon de faire qui n'est pas toujours la meilleure pour susciter l'innovation.

« Il faut continuer à soutenir l'affirmation identitaire au Canada et au Québec. L'État doit continuer de développer et de soutenir des programmes destinés à ce secteur », pense Glenn O'Farrell, président et chef de la direction de Groupe Média TFO. Le grand patron de la télévision franco-ontarienne admet cependant que le système de subvention a ses défauts. « Les industries qui ont largement bénéficié de subventions du gouvernement ne sont pas toujours les meilleures pour se réinventer. Or, le statu quo doit toujours être remis en question », précise Glenn O'Farrell.

« Notre culture, voire notre langue, peut nous empêcher de voir l'urgence de la situation, note au passage Suzanne Gouin qui connaît bien ce secteur. Le milieu de la culture est très appuyé par divers organismes gouvernementaux. Conséquence, quand vient le temps d'innover, celui-ci tend à s'y référer par tradition, et par mécanisme, puisque le gouvernement a toujours été là pour les aider. C'est normal, c'est un réflexe. »

L'effort plutôt que l'argent

Clément Laberge, entrepreneur en éducation, culture et technologie, va encore plus loin. L'ex-VP et ex-DG de De Marque est déçu que le milieu culturel ne se parle pas assez et refuse trop souvent encore de faire des concessions à la même table pour agir. Il en veut particulièrement à ceux qui exigent plus d'argent du gouvernement avant d'effectuer leur propre examen de conscience. « Commencer par demander de l'argent est un piège! L'argent est surtout associé à des règles. Or, souvent, le vrai obstacle est caché exactement là [dans les règles] plutôt que dans la quantité d'argent reçue. On devrait s'empêcher de parler d'argent pour pouvoir voir en face ce qui nous empêche vraiment d'innover », insiste-t-il, suscitant dans la salle la seule salve d'applaudissements du forum.