Le Canada et le Québec ont combattu avec succès les répercussions économiques de la pandémie. Mais quand est venu le temps de s’attaquer à un des contrecoups de cette bataille, soit la poussée inflationniste, les politiques publiques n’ont pas été à la hauteur. On a eu tendance à désigner les mauvais coupables, à prendre les mauvais moyens, à s’attaquer aux mauvaises cibles et, surtout, à envoyer les mauvais messages.

Alain Dubuc

Alain Dubuc est professeur associé à HEC Montréal.

La crise inflationniste est un phénomène mondial. Elle tient à trois facteurs : les conséquences des politiques monétaires et budgétaires qui cherchaient à contrer la récession provoquée par la pandémie de COVID-19 en injectant massivement des liquidités ; les ruptures des chaînes d’approvisionnement et les ruptures de stocks provoquées par les retards et les arrêts de production ; et, plus récemment, l’impact de l’invasion de l’Ukraine, l’embargo contre la Russie et les entraves aux exportations ukrainiennes ayant poussé le prix de plusieurs denrées à la hausse.

Le premier glissement du débat a consisté, dans bien des pays, à désigner les mauvais coupables, en attribuant aux gouvernements en place la responsabilité d’une hausse des prix et d’une perte du pouvoir d’achat dont ils n’étaient pas responsables. L’inflation est essentiellement une conséquence difficilement évitable des politiques de lutte contre les effets de la pandémie qu’ils avaient le devoir de déployer. Il est également évident que les gouvernements nationaux ont peu de contrôle sur des éléments importants de cette poussée inflationniste comme la rupture des chaînes d’approvisionnement, les politiques sanitaires chinoises ou l’expansionnisme russe. Les gouvernements ont également peu de contrôle sur les politiques monétaires, car la plupart d’entre eux maintiennent une saine distance avec leur banque centrale.

Par contre, il y a une composante de la poussée inflationniste sur laquelle les gouvernements ont un contrôle : les politiques budgétaires et fiscales. Les gouvernements ont injecté des sommes colossales et ont gonflé leur dette pour stimuler l’économie et contrer les effets de la pandémie, avec pour résultat que cette demande dopée a poussé les prix à la hausse. Or, la sagesse macro-économique aurait voulu que les pouvoirs publics restreignent leurs dépenses pour favoriser un retour à la normale et réduire les pressions inflationnistes. Cela n’a pas été fait, tant au Québec qu’au Canada. La réduction des déficits a surtout reposé sur une hausse des revenus nourrie par l’inflation, plutôt que sur des efforts pour ramener les dépenses à un niveau prépandémique.

La nature ayant horreur du vide, à défaut de s’attaquer aux causes de l’inflation, les gouvernements, à Ottawa, à Québec et à Queen’s Park, ont concentré leurs efforts pour en combattre les conséquences, notamment la perte du pouvoir d’achat. Si le problème est réel, c’était la mauvaise cible, ce qui a engendré des effets pervers : le recours à de mauvais moyens et la multiplication de mauvais messages.

D’une part, pour contrer la baisse du pouvoir d’achat, les gouvernements ont déployé des mesures de soutien du revenu qui ont pris la forme de chèques, de baisses d’impôt et de réductions ciblées de taxes. Dans tous les cas, ces mesures ont eu pour effet de stimuler la demande et ont amené les gouvernements à injecter des liquidités dans l’économie et à gonfler leur déficit, ce qui a eu pour conséquence de nourrir les pressions inflationnistes. Ces mesures ont donc empiré le problème.

D’autre part, ces interventions ont également eu un effet indirect indésirable, en dramatisant les effets de la baisse du pouvoir d’achat et en renforçant les attentes inflationnistes qui nourrissent la spirale des prix. Le bon message aurait consisté à expliquer qu’en se serrant un peu la ceinture temporairement, on combattrait l’inflation de façon moins douloureuse et plus efficace qu’en laissant aller les choses jusqu’à ce que les grands moyens deviennent nécessaires, soit les hausses d’intérêt musclées, avec les risques de récession qu’elles entraînent.

Cependant, un tel message aurait exigé des politiciens un discours qui fasse contrepoids à une autre forme d’inflation, verbale et médiatique, qui a entouré la question du pouvoir d’achat. Ils auraient pu expliquer que les revenus réels avaient beaucoup augmenté avant la poussée des prix : entre 2017 et 2021, la rémunération hebdomadaire moyenne au Québec est passée de 880,61$ à 1 027,73$ – une augmentation de 16,7% –, tandis que l’indice des prix à la consommation n’augmentait que de 8,65%. Ou encore, rappeler que les citoyens sont inégalement touchés, parce que les familles à revenu plus élevé peuvent absorber ce choc, que d’autres ont des revenus indexés, et qu’il faut donc réserver nos efforts à ceux qui n’ont pas de marge de manœuvre. Ou peut-être aussi noter que les statistiques sur l’inflation ne tiennent pas compte des changements de comportement qui en atténuent les effets. Et surtout, il n’aurait pas été mauvais de souligner que la hausse de prix qui suscite le plus de réactions, celle de l’essence, n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend au cours de cette décennie en raison de la taxation du carbone.

Un politicien courageux aurait même pu ajouter un argument moral : une partie de l’inflation résulte de nos mesures de rétorsion contre la Russie, qui ont eu pour effet de pousser plusieurs prix à la hausse, dont celui du pétrole. C’est notre façon d’aider l’Ukraine, en affaiblissant la Russie. C’est notre effort de guerre. En toute logique, il faudrait accepter d’en supporter le coût, individuellement et collectivement.

 

 

Article publié dans l’édition Automne 2022 de Gestion