Article publié dans l'édition Été 2019 de Gestion

Au Québec, les saisons ne font pas qu’affecter l’humeur des citoyens : elles influencent également les cycles de l’économie. Mais à quel point ? Tour d’horizon des industries saisonnières.

Personne n’a oublié l’hiver très rigoureux que le Québec vient de traverser, avec sa neige, ses redoux, ses grands froids et, surtout, sa glace. Ayant tous l’expérience des années passées en mémoire, nous nous préparons à un été qui sera marqué par un nombre croissant d’avertissements de chaleur extrême.


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En toute logique, dans un pays comme le nôtre, soumis à des fluctuations climatiques parmi les plus redoutables dans le monde industrialisé, on s’attendrait à ce que les rigueurs du climat aient une incidence marquée et que notre économie soit lourdement tributaire de la saisonnalité. Et pourtant, ce n’est pas le cas. Les effets saisonniers existent bel et bien ici, au Québec, mais leur empreinte sur l’économie est bien plus faible qu’on peut l’imaginer.

Des hauts et des bas

Les données sur le marché du travail montrent effectivement que l’emploi connaît des variations selon les saisons : les cycles, bien réels, suivent un mouvement de montagnes russes assez régulier, comme l’indique clairement le graphique ci-dessus.

Toutefois, l’amplitude de ce mouvement est relativement modeste. Année après année, selon l’enquête sur la population active de statistique Canada, on enregistre un écart d’environ 200 000 emplois entre le creux de la saison froide, en janvier ou en février, et le sommet de la saison chaude, en juin. 200 000 emplois, ce n’est vraiment pas beaucoup pour une économie qui en compte 4,3 millions.

En outre, le phénomène est circonscrit. en 2010, emploi Québec et la Commission des partenaires du marché du travail avaient lancé un vaste chantier sur la saisonnalité, dont les travaux sont toujours en cours. Les secteurs visés ? Agriculture, forêt, pêcheries, tourisme, construction et horticulture. On voit donc que le nombre de secteurs d’activité où la saisonnalité mérite d’être qualifiée d’enjeu est relativement limité.

De plus, ici comme dans d’autres sociétés industrialisées, les effets saisonniers ont tendance à s’atténuer au fur et à mesure que diminue le poids des secteurs touchés par cette réalité. Mais si, d’un point de vue quantitatif, elle compte globalement pour peu, la saisonnalité change de visage, bousculée, elle aussi, par les grands mouvements économiques et sociaux. Et cela soulève de nouvelles questions.

Saisonnalité ? Quelle saisonnalité?

Par définition, le terme « saisonnalité » renvoie à l’influence des saisons sur les activités humaines. Pour des raisons assez évidentes, la vie économique est plus intense et les emplois plus nombreux quand le climat est clément. Au Québec, ce n’est pas un hasard si l’emploi connaît des pointes en été et des creux en hiver. Il est tout aussi évident que les secteurs de l’économie dont les principales activités sont réalisées à l’extérieur ou qui sont tributaires du climat sont affectés par des facteurs saisonniers : on pense ainsi à l’industrie forestière, aux exploitations agricoles et à la pêche commerciale, sans oublier, bien sûr, le tourisme, puisqu’on préfère voyager quand il fait beau.

Mais les facteurs saisonniers ne sont pas exclusivement d’ordre climatique : les ventes de détail, par exemple, connaissent une pointe avant les Fêtes. D’autres rythmes saisonniers sont d’origine institutionnelle, notamment les vacances d’été et leur forte incidence sur le tourisme.

Pointes et creux de l'emploi au Québec en 2018

Les secteurs d'activités primaires, telles la foresterie, les pêcheries et l'agriculture, présentent les variations du nombre d'emplois les plus fortes, suivis des services d'enseignement.

Secteur d'activité Bas (en milliers) Mois Haut (en milliers) Mois Écart (en milliers) Écart (en %)
Emploi total 4179,9 février 4354,8 juin 174,9 4
Agriculture 47,8 février 62,1 juillet 14,3 23
Forêt, pêcheries, mines, industrie pétrolière 33,3 mars 45,3 juin 12 26,5
Construction 213,4 janvier 269,5 octobre 52,1 19,3
Services d'enseignement 248,6 août 319,9 novembre 71,3 22,3
Hébergement et restauration 252,8 janvier 283,1 août 30,3 10,7

Source : Statistique Canada, tableau 14-10-0287-01, « Caractésistiques de la population active, données mensuelles désaisonnalisées et tendance-cycle, cinq derniers mois ». Données non désaissonnalisées.

C’est pourquoi le mot « saisonnalité » recoupe diverses réalités qui ont chacune leurs causes et leurs cycles propres. Il n’y a donc pas une saisonnalité mais bien des saisonnalités. On peut le constater en regardant le tableau ci-dessus, qui décrit sommairement les cinq grands secteurs économiques les plus touchés. Nous allons maintenant les analyser en détail afin de voir comment la saisonnalité se décline.

L’agriculture

Dans le secteur agricole, on observe de forts mouvements en 2018 : le bassin de travailleurs enregistre une différence de 14 300 emplois entre le creux de février et le sommet de juillet, une variation de 23 %. C’est beaucoup, mais moins qu’on pourrait l’imaginer dans un pays où rien ne pousse pendant six mois chaque année ! Cela tient à un attribut de la nature humaine : la résilience. En passant d’activité de subsistance à secteur industriel, l’agriculture s’est adaptée aux contraintes de la nordicité en se concentrant sur les productions animales, qui peuvent se faire à l’intérieur pendant l’hiver. Celles-ci comptent pour six des 8,8 milliards de dollars de recettes agricoles au Québec.

Ce qui est vraiment saisonnier dans le monde agricole québécois, c’est la production maraîchère, relativement modeste, qui comble ses besoins de main-d’œuvre en faisant appel à quelque 10 000 travailleurs temporaires étrangers.

Les pêcheries et la forêt

Le secteur le plus touché, regroupé dans la catégorie « foresterie, pêche, mines, exploitation en carrière et extraction de pétrole et de gaz », accuse un mouvement de 12 000 emplois entre le creux de février et le sommet de juin 2018. C’est un écart important de 26,5 % mais insignifiant à l’échelle du Québec : trois dixièmes de 1 % de l’emploi total. Par contre, pour chaque activité, l’incidence est majeure.

Selon les données compilées par le Chantier sur la saisonnalité1, dans le cas des pêcheries, on comptait 6 685 emplois directs répartis à peu près également entre la capture et la transformation sur place. La moitié des travailleurs de la pêche travaillent entre 14 et 26 semaines par année ; les trois quarts de ceux de la transformation travaillent moins de 26 semaines. Dans l’industrie forestière, la saisonnalité touche surtout l’aménagement forestier, où le nombre de travailleurs passe presque du simple au double, soit de 6 709 lors du creux d’avril au sommet estival de 12 168. Ce sont là les deux secteurs les plus frappés par les mouvements saisonniers. Alors qu’ils sont marqués pour ces secteurs eux-mêmes et pour les régions concernées, ces effets sont à peu près nuls pour le Québec dans son ensemble. Cela met en lumière un autre phénomène qui contribue à atténuer les répercussions de la saisonnalité : la tertiarisation de l’économie. En effet, c’est dans le secteur tertiaire (services, secteur public, éducation, commerce, etc.) que se concentrent désormais la croissance et l’emploi dans les économies avancées. Et comme le secteur primaire, plus touché par les mouvements saisonniers, voit son poids baisser par rapport à l’économie dans son ensemble, les mouvements saisonniers ont tendance à diminuer à l’échelle globale.

Le bâtiment

Dans la construction, on note une variation de 56 100 postes entre le creux de 213 400 emplois en janvier et le sommet de 269 500 en octobre, un écart de 20,8 %. L’ampleur de ces cycles a toutefois tendance à s’atténuer en raison d’un autre phénomène : le progrès technologique. Les techniques de construction évoluent, la gestion des projets aussi, et certaines contraintes liées au froid disparaissent. La construction a par ailleurs une caractéristique qu’on ne trouve pas dans les autres domaines touchés par la saisonnalité : le fait que le climat ralentisse la construction l’hiver n’affecte pas le degré d’activité sur l’ensemble de l’année. En agriculture, par exemple, le climat hivernal limite le potentiel de production, tandis qu’en tourisme, le froid prive l’industrie de clients. Or, ce n’est pas parce qu’on ralentit la cadence l’hiver qu’on construit moins de maisons, d’immeubles ou de routes. Et comme la période creuse est relativement courte, il n’y a pas d’effet significatif sur la rétention de la main-d’œuvre ; l’incidence économique reste limitée du seul fait que la concentration des activités sur une période plus courte augmente les coûts.

Le tourisme

Les répercussions de la saisonnalité sur le tourisme sont moins marquées. Dans le secteur « hébergement et restauration », l’emploi augmente de 30 300 entre le creux de 252 800 en janvier et le sommet de 283 100 en août, une variation de 10,7 %. C’est assez peu. Dans tous les pays tempérés, l’été est la haute saison touristique. La particularité du Québec, c’est qu’elle est plus courte et que les visiteurs se font rares pendant les mois très froids. Mais les cycles saisonniers sont atténués par plusieurs facteurs, notamment le tourisme non saisonnier (congrès, voyages d’affaires, etc.) et le fait que plusieurs entreprises ont des clientèles non touristiques (restaurants et hôtels locaux).

L’éducation

Dans l’univers de la saisonnalité, la grande méconnue demeure l’éducation. Pourtant, les variations y sont considérables avec un jeu de 71 300 entre les 248 600 emplois en août et le sommet de 319 900 pendant l’année scolaire. Cet écart de 22,3 % est plus grand que dans la construction et presque aussi marqué que dans l’agriculture.

Explication : un grand nombre d’emplois en éducation ne sont pas permanents (chargés de cours, suppléants, etc.), à l’instar de nombreux emplois dans les activités connexes. Et si on n’associe jamais l’éducation à la saisonnalité, c’est sans doute parce que ces mouvements, imputables essentiellement à la fermeture des écoles et au ralentissement dans l’enseignement supérieur pendant l’été, n’affectent pas vraiment la continuité et la pérennité de l’activité.

Enfin, beaucoup de commerces et d’entreprises, de même que leurs fournisseurs et leurs sous-traitants, connaissent des mouvements saisonniers, imperceptibles dans les grandes données macroéconomiques mais déterminants pour ceux qui les vivent. Quelques exemples : la pointe de ventes d’avant noël, les sursauts de Pâques, de la saint-valentin et de l’Halloween, le regain printanier dans les vêtements et dans le matériel sportif, les cycles de production et de gestion des stocks pour certains biens saisonniers, la transformation alimentaire, soumise aux récoltes, ainsi que l’horticulture ornementale.


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Nouvelle saisonnalité, nouveaux défis

Au-delà des cycles saisonniers, parfois contradictoires, deux tendances lourdes se dégagent. La première, c’est le renversement radical de la problématique même de la saisonnalité. Pendant longtemps, elle a été synonyme de précarité, et la principale préoccupation a été le sort des travailleurs saisonniers, dont les longues périodes de chômage n’étaient allégées que par de la formation ou par des mesures publiques de soutien au revenu. Or, il y a une dizaine d’années, on a commencé à sentir les premiers effets de la démographie sur le marché du travail : la pénurie de main-d’œuvre a radicalement changé la donne. De nos jours, le principal défi des entreprises consiste à fidéliser leur main-d’œuvre saisonnière, c’est-à-dire à la retenir et à la retrouver au cycle saisonnier suivant. À ce problème s’ajoute la perte de compétences dans des industries saisonnières où on exige de la formation et de l’expérience.

Seconde tendance lourde : la saisonnalité affecte inégalement le territoire québécois, ce qui en fait un problème essentiellement régional, en particulier dans les régions éloignées. Cela s’explique d’abord par une réalité incontournable : les activités liées aux ressources se font loin des grands centres, dans des régions souvent très dépendantes de ces activités. Qui plus est, bien souvent, ces régions sont plus touchées par les pénuries de main-d’œuvre en raison de leur dépeuplement au profit des villes et de leur accès limité au bassin de main-d’œuvre d’appoint que sont les immigrants et les étudiants.

Enfin, dans certains secteurs comme le tourisme, les cycles saisonniers sont plus marqués en région, car une grande partie des activités et des commerces (festivals, campings, motels, etc.) ferment leurs portes en basse saison à cause de la raréfaction de la clientèle. Après ce tour d’horizon du problème de la saisonnalité au Québec, on peut conclure que les défis posés par ses nouveaux aspects doivent être relevés d’une autre façon. Les pistes de solution passent nécessairement par des politiques de main-d’œuvre, notamment en ce qui a trait au rôle de l’immigration en région, et s’inscrivent dans une perspective plus globale d’occupation du territoire.


Note

1 Voir le site du Chantier sur la saisonnalité