Timothée Boitouzet a reçu en avril le Prix des innovateurs 2016 de moins de 35 ans, remis par la prestigieuse MIT Technology Review. Pour développer son invention révolutionnaire d’un bois « augmenté » et translucide, le jeune architecte a monté il y a un an sa start-up, Woodoo. Portrait d’un jeune homme pressé qui bâtit l’avenir.

« Dans les cinq derniers mois, nous avons remporté six concours, explique Timothée Boitouzet, ce qui nous permet pour le moment de nous autofinancer. Et depuis notre prix du MIT, les propositions émanant d’industriels, d’universités et d’investisseurs du monde entier sont encore plus nombreuses. »

À 29 ans, l’architecte français a inventé ce qu’il qualifie sur le site de sa start-up Woodoo, rien de moins que « le matériau le plus performant du XXIe siècle ». Son idée de départ : allier technologie, science et architecture au service de matériaux innovants permettant une exploitation des ressources naturelles plus efficace, dans le respect de l’environnement et du développement durable. « Nous devons anticiper une société posthydrocarbures, dit-il, et au rythme où va la croissance démographique, il faudrait construire chaque année l’équivalent de 7 fois la ville de Paris pour loger l’intégralité de la population mondiale. Il est donc urgent d’inventer de nouveaux matériaux, pour construire les villes de demain. » Pourquoi ne pas travailler sur le bois, « seul matériau de construction qui pousse tout seul, 100 % renouvelable et qui stocke le carbone au lieu de l’émettre »? C’est au Japon, où il étudie et travaille pendant deux ans, qu’il comprend les atouts de ce matériau et se passionne pour « une architecture qui ne cherche pas à être éternelle, mais préfère s’intégrer harmonieusement dans la nature et évoluer au fil de la lumière et des saisons. »


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Le bois, malgré ses qualités reconnues, a néanmoins des défauts : moins solide que le béton, inflammable, sensible aux intempéries et devant être traité régulièrement. Timothée se dit qu’il serait possible de l’améliorer. Comme il ne fait pas les choses à moitié, il va passer sa maîtrise d’architecture à Harvard et en profite pour se plonger dans la biologie moléculaire. « De l’autre côté de la route, il y avait un labo, se souvient-il, je suis allé y rencontrer les chercheurs et le partenariat s’est établi naturellement. » L’architecte découvre que le bois est constitué de 60 à 90 % d'air. Si on comble ce vide avec une résine d'origine naturelle, il devient plus résistant et moins inflammable. L’opération le rend également translucide. Résultat : un matériau qui présente une empreinte carbone deux fois plus faible que le béton et 130 fois moins que l’acier, grâce au processus de fabrication, mais également au temps de construction des architectures en bois. Ce « bois augmenté » ou « armé », comme on parle de « béton armé », peut être créé à partir de tous les types d’arbres, mais c’est davantage les bois dits « non nobles » qui intéressent l’architecte.

« Il se trouve que la France est la première puissance européenne en matière de volume de bois sur pied. Mais 50 % de ces arbres, comme le pin, le tremble ou le peuplier sont inutilisés, car ils sont trop poreux et fragiles. Avec mon procédé qui les renforce, je permets de les rentabiliser et je peux maximiser l’effet de mon innovation. » Cela explique très largement pourquoi Timothée Boitouzet a ouvert sa start-up en France, et non dans la Silicon Valley ou au Japon. « Il faut reconnaître que depuis quelques années, c’est devenu un pays vraiment favorable aux jeunes entrepreneurs. On peut bénéficier de nombreuses subventions et aides de toutes sortes, cela crée un environnement propice. » Avec son associé et leurs deux collaborateurs, l’architecte n’entend pas exercer son métier de manière traditionnelle. « Ma valeur ajoutée, c’est plus de développer des matériaux nouveaux que de bâtir des monuments. L’innovation me fascine depuis longtemps et je trouve que nous vivons aujourd’hui, grâce à la technologie, une sorte de Renaissance qui favorise l’interdisciplinarité. L’architecture prédispose à l'entrepreneuriat. Porteurs de grandes idées, nous avons aussi la faculté de parler à plein de professions et c’est le cœur de notre métier : être médiateurs. » La jeune pousse Woodoo attend de pouvoir ouvrir prochainement une unité de production et de lancer ses premières réalisations. « Nous allons commencer par le mobilier et le design intérieur, annonce l’entrepreneur. D’ici deux ans, nous nous attaquerons au second œuvre, c’est-à-dire aux façades, aux planchers et aux toitures. Et dans cinq ans environ, nous prévoyons de nous lancer sur le marché de la construction. Avec le bois classique, on ne peut pas construire des bâtiments de très grande hauteur. Au-delà de douze étages, il y a des problèmes de stabilité. Mais avec notre bois beaucoup plus rigide, il sera possible de faire des tours de 30 ou 40 étages. » Un avenir en béton, pardon, en bois…