Les entreprises et les travailleurs adoptent à grande vitesse l’intelligence artificielle générative pour accroître leurs performances. Mais pour quels résultats?

Presque deux ans après la sortie de ChatGPT, l’engouement pour le robot conversationnel – et ses concurrents – ne se dément pas. Au Québec, plus d’un employé sur quatre affirmait utiliser l’IA générative (IAG) dans ses tâches professionnelles en 2023 tandis qu’une entreprise sur dix l’intègre désormais à ses opérations ou a l’intention de le faire, selon Statistique Canada.

L’IAG, accélératrice de productivité? C’est ce que suggère la littérature scientifique, bien qu'elle soit encore émergente sur la question, souligne Luc Lespérance, maître d'enseignement au Département de technologies de l'information à HEC Montréal et aviseur au sein de la firme Deloitte. Cette technologie n’est pas pour autant une baguette magique, met-il en garde. «Tout le monde se dit qu’il faut mettre de l’IA générative un peu partout alors qu’on ne sait pas toujours si elle va répondre aux problématiques.»

Des gains et des pertes

À l’appui notamment, une étude menée en 2023 par le BCG Henderson Institute et des chercheurs universitaires auprès de quelque 750 consultants BCG à travers le monde. Les résultats suggèrent que l’IA générative (dans ce cas, ChatGPT-4) augmente considérablement la performance sur certaines tâches… mais la fait chuter sur d’autres.

Ainsi, sur des tâches courantes faisant appel à la créativité (trouver des concepts de produits, identifier les meilleurs, rédiger un communiqué, etc.), environ 90% des participants ont vu leur performance augmenter de 40% par rapport à ceux n’utilisant pas ChatGPT.

«Ce sont des tâches pour lesquelles le niveau de précision n'est pas trop important, car un article, par exemple, peut s’écrire de différentes façons», explique Luc Lespérance. «Mais si on recherche une réponse absolue, [...] ça ne fonctionne plus.»

L’étude indique d’ailleurs que lorsque les consultants recourent à l’IAG pour résoudre des problèmes plus complexes d’affaires (par exemple pour identifier les causes d’échecs commerciaux sur base de données de performance et d'entretiens), leur performance chute de 23%. «Résoudre des problèmes complexes implique la capacité à raisonner et faire des liens, ce qui est propre à l'intelligence humaine. La machine, elle, simule le raisonnement», soulève l’enseignant, qui ajoute que ce type de tâches requiert une connaissance fine de l'organisation et de sa culture, y compris des non-dits.

Remplacer ou augmenter le travail?

Pour le dire autrement, le gain de performance associé à l’IA générative dépend fortement de son usage. Toutefois, on aurait tort de penser que cette technologie ne peut être utile que pour automatiser des tâches ayant peu de valeur ajoutée, prévient Luc Lespérance.

Selon le professeur, elle s’avère précieuse dans l'exécution de tâches reposant fortement sur les compétences cognitives. Mais dans une optique d’augmentation de la capacité de travail, plutôt qu’en remplacement de l’exécutant. L’enseignant donne en exemple le cas d’un conseiller en succursale devant gérer une interaction avec un client insatisfait. «Une IA peut lui suggérer des phrases à utiliser selon le ton de la voix et les mots utilisés par le client.»

Cela s’applique à tous les domaines, explique Audric Gagnon d’​​Experimenting.ai, consultant et créateur en intelligence artificielle. «Tous les entrepreneurs, les gestionnaires et les créateurs vont se voir augmentés [...] parce qu'ils vont être plus efficaces dans leur communication et la personnalisation des messages ou vont pouvoir analyser davantage de données plus rapidement.»

Le professionnel mentionne notamment le soutien de l’IAG aux compétences en communication, en brainstorming et en organisation. Un atout pour les départements RH, marketing et les gestionnaires de projets, selon lui.

Aide ou frein à l’innovation?

Un paradoxe accompagne toutefois ce gain de performance. Selon l’étude du BCG Henderson Institute, l'utilisation de l’IA générative tend à homogénéiser les idées développées par les salariés. L'expérience révèle en effet que les réponses des participants qui utilisent ChatGPT sont redondantes une fois qu’on les analyse collectivement.

«Pour moi, c'est un risque important parce que ça favorise la pensée de groupe, le fait que tout le monde pense et marche dans la même direction. [...] En management, c'est un des pires obstacles à l'innovation», souligne Luc Lespérance.

Ce constat ne devrait pas décourager les entreprises, soutient Audric Gagnon, qui met en avant l’importance des gains. Il cite en exemple le cas d’une agence marketing lui ayant demandé, au cours d'une conférence, de générer des idées de campagne sur base d’une demande client. Après 15 minutes de travail avec l’IAG, un participant a fait remarquer que le premier résultat proposé par la machine était très proche de ce qui avait été livré au client. «Si en 15 minutes, on est arrivé à ce qui a été livré, imaginez [le potentiel] si demain, ce résultat est notre point de départ.»

Le professionnel insiste cependant sur la nécessité de cultiver les compétences spécialisées, nécessairement humaines. «Ce sont précisément les spécialistes qui vont pouvoir repérer l’uniformité des résultats et décider comment ils l’utilisent.»

Adopter l’IA, et l’apprivoiser

Pour Audric Gagnon, la variance des performances liées à l’utilisation de l’IA générative ne devrait pas inspirer la défiance, mais elle démontre l’importance de la formation dans la prise en main de cette technologie. Il faut «comprendre ses limites, à quoi elle sert, comment elle fonctionne», fait valoir le consultant, qui précise que les travailleurs ne doivent pas nécessairement l'adopter de la même façon, ni pour les mêmes tâches.

Mais il faut l’adopter, soutiennent les deux spécialistes, car l’IA est là pour de bon. Aussi, les entreprises doivent organiser rapidement la montée des compétences en la matière, au risque de rester sur le quai, conclut Luc Lespérance. «Jouer avec la technologie, la tester, prévoir des projets pilotes, peu importe la façon. L'idée est qu'on sache utiliser des technologies de productivité de la même manière qu’on envoie aujourd’hui des courriels ou qu’on navigue sur le Web.»