Article publié dans l'édition Printemps 2022 de Gestion

Selon la firme de consultants McKinsey, près de la moitié des nominations de PDG sont perçues comme une déception ou carrément un échec deux ans plus tard[1]. Comment les conseils d’administration devraient-ils procéder pour s’assurer de mettre la main sur la perle rare?

Le processus devrait toujours débuter par une analyse rigoureuse de la situation de l’entreprise, de ses besoins et de son avenir. Une fois ces éléments bien circonscrits, on pourra commencer à dresser un portrait du candidat idéal et à établir les critères de sélection.

Ces attributs sont généralement de deux ordres : le savoir-être et le savoir-faire. «Les administrateurs s’entendent plus facilement sur les qualités nécessaires au chapitre du savoir-faire, qui sont à la fois plus précises et plus objectives, reconnaît Louise St-Pierre, présidente du conseil d’administration de la Place des Arts et administratrice de Transat et d’Arterra Wines. Le savoir-être est plus subjectif et sera évalué différemment, selon les valeurs des administrateurs.»

Elle note une évolution du poids donné au savoir-être depuis quelques années. Le cliché de l’homme fort, autoritaire, confiant et un brin narcissique s’estomperait. «Les conseils d’administration ont commencé à accorder plus d’importance à la bienveillance et à la transparence, ainsi qu’à la capacité de travailler en équipe et de nouer de bonnes relations avec les parties prenantes», souligne-t-elle.

Dossier Devenir PDG

Qu’est-ce qu’un leader?

De son côté, Pierre Lefebvre, qui dirige la firme de consultants Russell Reynolds Associates au Québec, croit que les conseils devraient prêter attention à la connaissance de soi des futurs PDG. «C’est difficile de se dépasser si on ne se connaît pas et c’est aussi plus compliqué de bien s’entourer si on ne reconnaît pas ses propres faiblesses», avance-t-il.

Le candidat doit faire preuve d’une volonté d’apprentissage continu et d’une grande capacité d’adaptation. Le monde et les marchés bougent rapidement. Les défis se multiplient. La composition du conseil d’administration peut également évoluer et influer sur le mandat du PDG. «Une personne qui possède cette polyvalence pourra demeurer en fonction pendant plusieurs années et assurer une certaine stabilité à l’organisation, fait remarquer Pierre Lefebvre. Changer de dirigeant régulièrement, c’est épuisant à gérer.»

Lorsqu’ils cherchent un nouveau PDG, les administrateurs n’ont souvent qu’un mot en bouche : leadership. Mais qu’est-ce que cela signifie au juste ? «Le leadership passe par la capacité d’avoir une vision pour l’entreprise, mais surtout de la communiquer et d’inspirer les autres dirigeants et les employés», répond Geneviève Falconetto, associée et directrice du bureau montréalais de la firme de consultants Odgers Berndtson.

Cet aspect devient crucial en raison de la pénurie de main-d’œuvre et des attentes des plus jeunes travailleurs. Ceux-ci souhaitent que leurs tâches aient du sens et correspondent à leurs valeurs. Ils aspirent aussi à plus de flexibilité. «Le PDG doit créer un cadre de travail stimulant en tout temps, veiller à ce que ses employés se sentent utiles et inspirer ses équipes, indique-t-elle. C’est exigeant, mais c’est maintenant incontournable.»

Puiser dans son bassin ou dans celui du voisin?

Vaut-il mieux promouvoir un candidat de l’interne ou regarder à l’extérieur? Il n’y a pas de réponse universelle à cette question, mais certains facteurs peuvent guider la décision, selon Jacques Neatby, associé responsable des Amériques à la firme de consultants MindLab Global Solutions. Cherche-t-on, par exemple, un PDG de continuité, de gestion de crise ou de rupture? Dans les deux derniers cas, «mieux vaut parfois se tourner vers quelqu’un de l’externe qui ne doit rien à personne et qui ne tient pas particulièrement à une stratégie, à une culture d’entreprise ou à certains employés», croit-il. C’est ce que SNC-Lavalin et Bombardier ont tenté de faire en embauchant Robert G. Card en 2012 et Alain Bellemare en 2015 pour redresser leur entreprise après de graves turbulences. Avec, il faut bien l’admettre, des succès mitigés dans les deux cas.

Attention tout de même de ne pas juger trop rapidement. Il se peut aussi qu’un employé rêve de prendre les rênes pour faire des changements profonds et ronge son frein en attendant le départ de son supérieur. Tenir compte de la relève à l’interne mobilise les troupes, puisque tout le monde sent que sa carrière peut progresser.

«Le processus d’identification des aspirants est souvent plus injuste envers les candidats qui font déjà partie du personnel de l’entreprise, déplore Pierre Lefebvre. Le conseil d’administration les connaît mieux et voit davantage leurs défauts. Les administrateurs peuvent aussi les associer trop étroitement au PDG qui est sur son départ et craindre qu’ils constituent des obstacles au changement.» Par ailleurs, même si certains hauts dirigeants de l’entreprise semblent bien placés pour prendre la relève, le conseil devrait tout de même les comparer avec des postulants de l’externe.

Le modèle d’affaires représente également un aspect majeur. «Si l’avantage concurrentiel de l’entreprise repose sur les opérations, une personne venue de l’interne part avec une longueur d’avance, mais s’il dépend de l’analyse et du positionnement dans le marché, un excellent stratège de l’extérieur peut s’avérer le bon choix», souligne Jacques Neatby. À la tête des entreprises, on voit parfois un binôme composé d’un individu de l’interne qui s’occupe davantage des opérations et d’un autre provenant de l’extérieur qui se consacre plus au positionnement stratégique.

Miser sur l’expérience ou sur le potentiel?

Les administrateurs doivent parfois trancher entre un candidat très expérimenté et un autre moins aguerri, mais qui montre un fort potentiel. «Dans un marché où les candidats abondent, les entreprises tendent à privilégier l’expérience au détriment du potentiel, reconnaît Pierre Lefebvre. L’expérience prouve que le candidat a déjà réussi à effectuer le travail, ce qui peut être intéressant.»

Le marché actuel, cependant, ne ressemble en rien à une forêt giboyeuse. « La pénurie de main-d’oeuvre existe également chez les dirigeants, ce qui exerce une pression à la hausse sur les programmes de rémunération et limite les options, admet Geneviève Falconetto. La pandémie a aussi provoqué des réflexions face au travail, et convaincre certaines personnes d’accepter ce type de responsabilités devient de plus en plus ardu.»

Dans un tel marché, des individus moins expérimentés mais qui offrent un fort potentiel peuvent représenter un beau risque. «Les administrateurs ne doivent pas craindre d’accorder leur confiance à un candidat qui a moins d’expérience, mais ils doivent veiller à ne pas le brûler, fait remarquer Richard Fortier, président du conseil d’administration de Retraite Québec. Le processus d’embauche doit permettre de vérifier que le candidat peut relever le défi et les administrateurs doivent lui fournir un soutien adéquat dès le début.»

Qu’on opte pour quelqu’un de l’interne ou pour un candidat de l’extérieur, qu’on cherche un gestionnaire chevronné ou un jeune au fort potentiel, le choix doit répondre aux besoins de l’entreprise. «Les candidats de la courte liste sont toujours bons, mais ils feront prendre à la société des directions différentes, souligne Louis Gosselin, président du conseil d’administration de Croix Bleue du Québec. Il faut bien identifier ce qu’on recherche. Un PDG pour développer l’organisation? Pour la reconstruire après une crise? Pour en changer la culture? Pour innover?»

Une bonne transition, clé de la réussite

La firme de Geneviève Falconetto continue de soutenir les PDG qu’elle recrute pour ses clients un an après leur embauche. « L’intégration représente le plus grand risque d’échec d’un nouveau PDG, surtout quand il arrive de l’extérieur et qu’il doit s’adapter à la culture en place, explique-t-elle. Il doit s’affirmer et faire sa marque dans les 100 premiers jours, sans commettre de grosses erreurs.»

L’ancien PDG peut aussi rester en poste pendant quelques mois pour faciliter la transition. En 2017, Groupe Croix Bleue Canassurance a embauché Sylvain Charbonneau comme vice-président exécutif, mais tout le monde savait dans l’entreprise qu’il était le prochain PDG. Il a d’ailleurs piloté le développement des orientations stratégiques et chapeauté l’ensemble des activités dès son arrivée, avant de devenir PDG en avril 2018. «Cela lui a donné le temps d’effectuer une révision stratégique, de bien comprendre les forces et les faiblesses de la société, et de nouer des contacts avec les autres vice-présidents», résume Louis Gosselin, déjà en fonction au moment de ce recrutement.

L’intégration du nouveau PDG peut durer de quelques mois à un an. Le président du conseil d’administration joue un rôle clé dans la réussite de ce processus. «Il doit rencontrer le PDG environ deux fois par mois au début, conseille Richard Fortier. Pas pour agir à sa place, mais pour voir comment il se porte, l’écouter, lui faire l’historique de certains dossiers, lui transmettre la culture de l’entreprise et commenter sa manière de se présenter devant le conseil.» Selon lui, le besoin pour ces entretiens s’estompe naturellement au fur et à mesure que le PDG prend ses marques et se sent plus à l’aise dans ses fonctions.

De son côté, Louise St-Pierre note que certains conseils encadrent moins bien un PDG issu de l’interne. «On chouchoute celui qui arrive de l’extérieur, mais on croit – à tort – que celui qui vient de l’interne se débrouillera aisément, puisqu’il connaît bien l’entreprise, déplore-t-elle. Or, devenir PDG n’est facile pour personne.»

S’il s’amène de l’externe, le PDG mettra un certain temps à former son cercle rapproché, une étape importante de la transition. «Au début, il ne saura pas trop à qui se fier ; il devra donc mettre les gens à l’épreuve, soutient Pierre Lefebvre. Pendant cette période, il aura tout de même besoin d’aller chercher des idées et des opinions. Il pourra alors se tourner vers le président du conseil, un mentor ou un coach, des consultants ou des proches. Petit à petit, il les remplacera par des gens de l’interne qui auront gagné sa confiance

De toute évidence, l’embauche d’un PDG pose plusieurs défis. Voilà pourquoi il vaut mieux, par exemple, ne pas attendre qu’un PDG annonce sa retraite pour amorcer un processus de remplacement. Dans un article publié dans la Harvard Business Review[2], Victoria Luby et Jane Edison Stevenson[3] parlent même d'un exercice qui devrait se poursuivre en continu au conseil d’administration. En agissant de la sorte, les administrateurs s’assurent de ne jamais être pris au dépourvu quand viendra le moment d’assurer la relève pour cet important poste à la tête de l’entreprise.


Notes

[1] Pour en arriver à cette conclusion, le cabinet a compilé les données de plusieurs études et sondages réalisés au cours des vingt dernières années.

[2] Luby, V., et Stevenson, J. E., « 7 tenets of a good CEO succession process » (en ligne), Harvard Business Review, 7 décembre 2016.

[3] Victoria Luby est associée et directrice de la région de la Baie de San Francisco pour la firme américaine Korn Ferry. Jane Edison Stevenson est vice-présidente des services de recrutement d’administrateurs et de PDG au sein de la même organisation.