L’année 2004 représente une date importante au chapitre des relations de travail au Québec, puisqu’elle marque le début de la mise en œuvre des dispositions législatives visant à contrer le harcèlement psychologique.

Le harcèlement a toujours existé, il se camoufle au cœur de dynamiques comme l’épuisement professionnel et la dépression, et il engendre des démissions ou des maladies professionnelles de longue durée. Si le concept du harcèlement existe partout et depuis toujours, il pose cependant de nouvelles difficultés lorsqu’il doit être abordé sous l’angle de la médiation.


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Je propose ici quelques réflexions issues de mes expériences récentes à titre de médiateur dans ce domaine. Mes premières observations porteront sur ce que j’appelle les quatre grandes classes de harcèlement psychologique. Pourquoi vouloir faire ainsi des catégories? Essentiellement parce que le type de situation justifiera une adaptation de l’approche en médiation.

Il exigera que le médiateur élabore et adopte une stratégie d’intervention propre aux problèmes vécus et aux parties en cause. Il s’agit donc ici non pas de harcèlement psychologique, mais plutôt de formes de harcèlement psychologique.

Le harcèlement psychologique de nature conflictuelle

La première forme de harcèlement est issue d’un conflit non résolu. Elle constitue une portion très importante des dossiers traités en médiation. Il faut garder à l’esprit que le harcèlement généré par le conflit constitue un affrontement ouvert. Les protagonistes peuvent ne pas être de forces égales, mais ils alimentent tous, mutuellement, le concept d’opposition.

Pour les parties, l’appellation «harcèlement psychologique» sera accolée à ce type de situation, mais, comme intervenant, je parlerais plutôt de dynamiques conflictuelles que de harcèlement. En effet, cette situation implique une symétrie qui aura une incidence sur la stratégie de médiation.

Pour intervenir dans ce contexte, il faut établir l’état du conflit, en déterminer les causes (si possible) et surtout les effets sur chacune des parties. Dans ce genre de médiation, il n’y a pas de victimes réelles, il n’y a que des belligérants. Il sera aussi important d’établir si le conflit est de première ou de seconde génération.

Lorsqu’il s’agit de la première génération, les causes sont connues et reconnues par les parties, alors que lorsqu’il s’agit de la seconde génération, les causes sont confondues avec les effets. La recherche des causes d’un conflit de seconde génération peut facilement constituer un écueil pour le médiateur. L’intervention devra être centrée non pas sur les causes, mais sur l’effet des comportements. Ce type d’intervention ne doit pas servir à rebâtir une réalité, mais à retisser une confiance communicationnelle.

Dans le cas d’un conflit de seconde génération, l’image est celle d’une guérilla, il faut détruire l’autre non pas en vue de combler l’écart, mais essentiellement pour avoir gain de cause. Le conflit de seconde génération peut ressembler à un harcèlement psychologique pur; par contre, les deux parties participent à sa dynamique et l’alimentent réciproquement.

Lorsque la médiation comporte une substance de conflit, l’intervention devra se faire selon le principe de la dualité et de la symétrie. Une intervention comprenant une reconnaissance mutuelle des parts de responsabilité engendrera beaucoup d’intérêt et d’efficacité. La médiation qui amènera les parties à déterminer et à reconnaître leurs responsabilités respectives pourra plus aisément les inciter à envisager des solutions. Elle devrait cependant se faire avec une surveillance constante du climat et un certain recul.

Le médiateur devra être totalement étranger au problème, sinon il servira de caution à l’une ou l’autre des parties, et cela générera une perception de partialité. On comprendra l’importance pour une organisation de recourir à des ressources extérieures qui soient étrangères au foyer conflictuel.

Le harcèlement psychologique pur

Le harcèlement psychologique pur ne crée pas une relation symétrique, mais bien une relation dominant-dominé. Celui qui mène le jeu cherche à soumettre l’autre et à lui faire perdre son identité. Il ne s’agit pas ici de gagner, mais plutôt d’effacer l’autre. Il existe, selon moi, deux types de harcèlement pur : l’un émane du pervers narcissique qui cherche et trouve une victime, l’autre d’une forme de gestion déviante.

Le premier cas provient d’une problématique individuelle, alors que le second résulte d’une culture organisationnelle pernicieuse. Pour les victimes, l’effet est le même : elles ont, au cœur de ces dynamiques, le sentiment d’avoir été maltraitées, méprisées et humiliées. Ici, la notion d’intention n’est pas indispensable; ce qui importe, c’est l’effet destructeur qu’a le conflit sur l’intégrité de la victime.

Plus l’attaque aura été puissante, plus la souffrance sera importante et, dans une certaine mesure, irréconciliable. J’insiste ici sur le mot «irréconciliable», car je suis convaincu que dans certains cas la seule réparation possible ne peut être que punitive.

Dans ce contexte, la médiation peut constituer un écueil. Il sera alors nécessaire de bien évaluer si la victime est capable de participer au processus et si les parties désirent pleinement en venir à une solution. Cette situation très particulière obligera à un rééquilibrage préalable, l’enjeu pour la victime étant de reprendre du pouvoir sur la situation et sur la communication (empowerment).

En médiation, et surtout dans la première phase de la médiation, on devra éviter de placer face à face la personne mise en cause et la victime. Pour que la victime puisse reprendre confiance, il est essentiel qu’elle puisse s’exprimer librement et qu’elle soit entendue avec empathie. L’attitude du médiateur et de l’interlocuteur (employeur ou représentant) jouera un rôle primordial (étape du transfert) et la présence de la personne mise en cause pourrait nuire à cette étape.

Dans un cas de harcèlement pur, la médiation nécessitera une étape préalable très particulière que j’appelle l’étape (effet) du transfert de la souffrance. Si la victime a été attaquée dans son intégrité, il faudra absolument que le médiateur permette l’expression de la souffrance vécue, mais aussi que l’interlocuteur reçoive ou reconnaisse cette souffrance.

Cette étape devrait être incluse dans la première phase d’échange entre les parties. Le médiateur devra être très attentif et surtout très habile en ce qui concerne la gestion de ce transfert, puisque s’il n’y a pas de transfert, il risque d’y avoir obstacle à la poursuite de la médiation.

Pour illustrer mon propos, je donnerai l’exemple d’une expérience récente où la plaignante, après avoir longuement exposé sa situation, a reçu de l’employeur cette phrase clé : «Je comprends que pour toi ces trois dernières années ont été l’enfer.» Ces simples mots ont eu, sur le plan de la médiation, l’effet d’un transfert et d’un levier. Les parties ont pu par la suite parler aisément de l’avenir et des solutions possibles. Ce transfert ne doit pas être assimilé à une reconnaissance juridique, mais il agit dans le même sens que l’excuse.

Le harcèlement et la personnalité particulière

Je propose aussi une troisième forme de harcèlement psychologique que j’appellerai le harcèlement engendré par la personnalité particulière. Il s’agit dans ce cas de personnes présentant des troubles de la personnalité qui inféreront et alimenteront de fausses dynamiques de harcèlement.

Pour ces personnes, le problème est toujours extérieur à elles et tout est ou devient du harcèlement psychologique. En médiation, cette personne cherchera toujours à obtenir du médiateur une caution quant à sa réalité. À mon avis, ce type de dossier ne devrait pas être traité en médiation. Le médiateur aux prises avec ce type de dossier devrait limiter son intervention à un aiguillage, car l’intervention présente un piège certain.

Le cas des paranoïaques, qui se font passer pour des victimes, ne doit cependant pas masquer l’existence de vraies victimes. Il importe de spécifier que des personnes présentant des troubles de la personnalité peuvent aussi être de véritables victimes de harcèlement. Des individus à qui le milieu fait subir de fortes pressions destructrices peuvent développer des maladies cachant une réelle dynamique de harcèlement. Il devient alors difficile de bien saisir la situation.

Le médiateur devra évaluer la pertinence de la médiation et savoir retarder, au besoin, son intervention. Le recours à des ressources psychologiques et l’accompagnement en cours de médiation peuvent être très pertinents. Dans le même ordre d’idées, une médiation hâtive sera vouée à l’échec et des ententes issues de ce contexte pourront démontrer des vices d’appréciation.

Le médiateur devra faire preuve d’énormément de réserve et pondérer son intervention. La personne n’est pas réellement prête à une médiation, ou la médiation ne constitue pas le mode d’intervention approprié, étant donné le temps ou la dynamique.

Le non-harcèlement psychologique

J’aimerais préciser que l’intervention dans un contexte de harcèlement comporte également de nombreux cas qui ne constituent pas des situations de harcèlement au sens des dispositions légales. Il arrivera fréquemment que des salariés soient placés devant des comportements ou des attitudes répréhensibles certes, sans que ces agissements constituent pour autant du harcèlement psychologique.

S’ils ne sont pas gérés adéquatement, ces cas peuvent devenir un terrain fertile pour des dynamiques beaucoup plus lourdes. Je fais ici référence à des situations de mauvaise gestion, de pression indue, d’incivilité, de conflit de personnalité ou de mauvaise communication. Ce type de dossier n’aura pas le même impact que les précédents puisqu’il n’y a pas nécessairement d’atteinte à l’intégrité de la personne.

Dans ce contexte, les parties s’exprimeront ouvertement en ce qui concerne divers problèmes, sans jamais en arriver à une atteinte à l’intégrité. La médiation préventive peut représenter ici une excellente façon de résorber les problèmes avant que ceux-ci ne dégénèrent en des formes plus pernicieuses.

Conclusion

Cet article ne me permet pas de discuter de toutes les pistes que proposent le harcèlement et la médiation, et surtout de toutes les questions que soulève ce type d’intervention. Cependant, je suis pleinement convaincu que la médiation est particulièrement appropriée aux contextes du conflit ou du harcèlement psychologique.

Les fondements de cette conviction émanent du fait que, contrairement au droit, la médiation est centrée sur la parole et la communication. Même si la médiation n’est pas une panacée, elle reste, selon moi, une excellente approche qui offre de nombreuses perspectives de croissance justement parce qu’elle cherche à désamorcer des situations et à remettre des parties en communication.


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Les prochaines années permettront de mieux cerner le cadre juridique ainsi que les cadres psychologiques entourant les formes de harcèlement. La médiation dans un contexte de harcèlement psychologique est appelée à évoluer au gré des expériences et de la compétence acquise.

Cependant, elle nous oblige à mieux diagnostiquer les problèmes et surtout à mieux intervenir, parce que la marge d’erreur n’existe pas lorsque l’enjeu est l’humain. Alors que pour moi la médiation a toujours navigué à la frontière du droit, le harcèlement psychologique nous amène à voyager aux frontières du droit et de la psychologie.