Article publié dans l'édition Printemps 2022 de Gestion

Afin de pouvoir compter sur des équipes de travail efficaces, les organisations ont tout intérêt à investir dans le développement professionnel de leurs gestionnaires. Or, plusieurs entreprises estiment que les initiatives qu’elles ont soutenues à ce sujet peinent à produire les résultats escomptés. Devant un tel constat, que faire?

Avec la pandémie de COVID-19, nous avons pris conscience de l’impressionnante résilience des personnes travaillant dans le secteur de la santé. Les équipes composées d’infirmières, de médecins, de préposées aux bénéficiaires et d’autres types d’employés font preuve d’abnégation et d’ingéniosité tout en étant capables de relever des défis d’une ampleur inouïe. Et même lorsque la pandémie connaît des périodes d’accalmie, ces équipes demeurent sous forte pression, que ce soit en raison de la pénurie de personnel, du report de nombreuses interventions chirurgicales ou de la crainte d’une nouvelle éclosion de COVID-19.

Cependant, le succès de ces équipes n’est ni automatique ni garanti. Il est donc bien illusoire de croire que le simple fait de regrouper des individus, aussi compétents et dévoués soient-ils, suffira au bon fonctionnement de ces unités de travail. Dans le secteur de la santé comme dans plusieurs autres, nous savons que le leadership des gestionnaires est le déterminant le plus puissant du succès d’une équipe.

Nous commençons seulement à comprendre les mécanismes et les conditions qui sous-tendent le développement de la capacité de ces leaders à gérer efficacement une équipe de travail. Ces connaissances sont pourtant d’une importance capitale, compte tenu notamment des sommes considérables investies annuellement dans le développement professionnel de ces gestionnaires.

Les compétences clés à maîtriser

La théorie du leadership fonctionnel procure un cadre d’analyse idéal pour déterminer les compétences fondamentales que le gestionnaire d’équipe doit posséder. Selon cette théorie, le rôle principal d’un leader consiste à s’assurer que les besoins actuels et futurs de son équipe sont adéquatement satisfaits, et à y répondre le cas échéant[1]. Bien que les différents membres de l’équipe puissent faire preuve de cette forme de leadership, il faut toutefois reconnaître le rôle crucial que joue le gestionnaire et l’influence qu’il exerce sur le bon fonctionnement d’une équipe.

Plusieurs chercheurs ont eu recours à cette théorie pour établir et classer les compétences utilisées par les gestionnaires lorsqu’ils dirigent une équipe de travail (voir le tableau ci-dessous).

Les compétences clés pour la bonne gestion d’une équipe de travail

Compétences

Exemples d’actions

Préciser les attentes auprès des membres de l’équipe et fixer les objectifs de performance

Formuler des objectifs de performance ambitieux, mais atteignables

Structurer et planifier le travail

Clarifier les rôles de chacun des membres

Surveiller la progression des tâches

Demander à l’équipe de faire état de l’avancement de ses tâches

Fournir différentes ressources

Exprimer et défendre les besoins de l’équipe auprès de la haute direction

Soutenir les apprentissages et le développement de l’équipe

Encourager l’expérimentation de nouvelles procédures

Gérer les frontières entre l’équipe et son environnement externe

Prémunir l’équipe contre l’influence néfaste d’acteurs externes

Remettre en question le statu quo

Cerner les limites des manières habituelles de travailler

Soutenir l’autonomie de l’équipe

Demander à l’équipe d’estimer le temps nécessaire pour accomplir ses tâches

Favoriser l’émergence d’un climat de sécurité psychologique

Faire valoir l’importance des connaissances et des points de vue de chacun des membres au moment de prendre des décisions

Motiver l’équipe

Souligner les bons coups de l’équipe et expliquer en quoi ils contribuent au succès de l’organisation

Réduire et résoudre les conflits

Aborder de manière franche et respectueuse les opinions divergentes

Comment développe-t-on son expertise?

Selon une croyance populaire, le sens du leadership serait inné. Certains individus disposeraient des qualités permettant de gérer efficacement une équipe de travail, tandis que d’autres en seraient dépourvus. Auquel cas ne suffirait-il pas de recruter et d’embaucher des gestionnaires qui possèdent tout simplement ces précieuses qualités? Or, cette capacité peut se développer! Elle est bien sûr le fruit d’un processus complexe et requiert un engagement soutenu à la fois de la personne en processus d’apprentissage et des autres acteurs organisationnels clés, tels les gestionnaires intermédiaires.

Sur le plan individuel, une combinaison de mécanismes comportementaux et psychologiques façonne la courbe d’apprentissage des gestionnaires d’équipes. À l’évidence, ces derniers doivent d’abord reconnaître leurs besoins en matière de développement professionnel, pour ensuite être en mesure d’adopter les comportements d’apprentissage appropriés. Il est souhaitable, par exemple, qu’ils analysent les conséquences de leurs interventions et qu’ils sollicitent une rétroaction auprès des membres de leur équipe.

Ces leaders peuvent aussi aller à la rencontre de collègues plus expérimentés pour leur poser des questions, leur demander conseil ou tout simplement pour observer leurs interventions auprès de leur propre équipe de travail.

Expérimenter de nouvelles pratiques de leadership peut également conduire à une plus grande maîtrise des compétences nécessaires à la gestion des équipes. En s’aventurant hors des sentiers battus, les gestionnaires ont la chance de découvrir des manières originales et efficaces de mener leurs troupes.

Fait intéressant, les gestionnaires qui estiment être de bons leaders seraient plus enclins à assumer de nouvelles responsabilités[2]. Une forte conviction dans leur capacité à réussir les inciterait à sortir de leur zone de confort et à mieux saisir les occasions d’apprentissage qui s’offrent à eux, comme accepter la gestion d’un nouveau projet. Leur engagement à parfaire leurs compétences serait intimement lié à la construction de leur identité en tant que leader. Plus ils se considèrent comme de véritables gestionnaires d’équipes, plus ils sont motivés à agir conformément à l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et, donc, à vouloir maîtriser les compétences rattachées à leur rôle[3].

Une responsabilité partagée

Les organisations ont elles aussi un rôle à jouer dans le développement professionnel des gestionnaires d’équipes. Sans grande surprise, la plupart des sommes qu’elles y investissent sont allouées à des programmes de formation. Tout en facilitant l’acquisition d’une vaste gamme de connaissances sur le leadership et le fonctionnement des équipes de travail, plusieurs de ces programmes encouragent la mise en pratique de ces connaissances à l’aide de méthodes d’enseignement actives (jeux de rôle, simulations et projets structurés autour de la résolution de problèmes notamment).

Malgré certains doutes émis au sujet de l’efficacité de ces programmes de formation, des chercheurs en sont venus à la conclusion qu’ils contribuent de manière considérable aux apprentissages des gestionnaires, au transfert de connaissances ainsi qu’à l’amélioration de la performance des équipes et des organisations[4]. Du même souffle, leur étude précise que ces programmes sont plus susceptibles de porter leurs fruits lorsqu’ils découlent d’une analyse rigoureuse des besoins de formation, sont étalés sur plusieurs sessions, comprennent des mécanismes de rétroaction, se déroulent en personne et combinent plusieurs méthodes d’enseignement.

De nombreuses organisations misent aussi sur le coaching comme levier de développement de leurs gestionnaires d’équipes. Le coach est la personne tout indiquée pour les aider à remettre en question certains lieux communs sur le fonctionnement d’une équipe et sur le leadership. Il a également pour rôle de cultiver chez eux la passion de l’apprentissage et de les accompagner dans l’identification de leurs forces et de leurs limites.

Les coachs les plus efficaces auraient tendance à proposer une démarche d’accompagnement structurée, comportant des objectifs d’apprentissage précis et des indicateurs de performance ciblés, à conseiller le gestionnaire sur la modification de certaines pratiques ou l’adoption de nouvelles, à le soutenir sur le plan émotionnel et à lui fournir une rétroaction constructive sur la base d’informations recueillies au moyen d’évaluations, d’observations et de discussions auprès d’acteurs organisationnels[5].

Le milieu de travail est en soi une source extrêmement puissante d’apprentissage. De l’aveu même des gestionnaires d’équipes, la possibilité de vivre des expériences professionnelles riches et stimulantes serait à l’origine du développement de plusieurs de leurs compétences[6]. Afin d’optimiser les retombées de ces expériences de travail, les organisations devraient permettre aux gestionnaires de superviser l’implantation d’un changement (en réorganisant le travail de leur équipe autour d’une nouvelle technologie, par exemple), de s’aventurer en terrain inconnu (en dirigeant une équipe multifonctionnelle pour la toute première fois) et de travailler au-delà des frontières de leur équipe (en négociant l’obtention de ressources additionnelles auprès de la haute direction).

En somme, il ne fait aucun doute que les initiatives favorisant le développement professionnel des gestionnaires d’équipes sont justifiées et doivent se poursuivre, à la condition qu’elles reposent sur l’engagement conjoint de ceux-ci et de leur organisation.


Notes

[1] Morgeson, F. P., DeRue, D. S., et Karam, E. P., «Leadership in teams: A functional approach to understanding leadership structures and processes», Journal of Management, vol. 36, n° 1, janvier 2010, p. 5-39.

[2] Chan, K. Y., et Drasgow, F., «Toward a theory of individual differences and leadership: Understanding the motivation to lead», Journal of Applied Psychology, vol. 86, n° 3, juin 2001, p. 481-498.

[3] Epitropaki, O., Kark, R., Mainemelis, C., et Lord, R. G., «Leadership and followership identity processes: A multilevel review», The Leadership Quarterly, vol. 28, n° 1, février 2017, p. 104-129.

[4] Lacerenza, C. N., Reyes, D. L., Marlow, S. L., Joseph, D. L., et Salas, E., «Leadership training design, delivery, and implementation: A meta-analysis», Journal of Applied Psychology, vol. 102, n° 12, juillet 2017, p. 1686-1718.

[5] Gentry, W. A., Manning, L., Wolf, A. K., Hernez-Broome, G., et Allen, L. W., «What coaches believe are best practices for coaching: A qualitative study of interviews from coaches residing in Asia and Europe», Journal of Leadership Studies, vol. 7, n° 2, août 2013, p. 18-31.

[6] Ford, J. K., Learning in Organizations: An Evidence-Based Approach, Londres, Routledge, 2020, 358 pages.