La technique marketing d’écoblanchiment ou greenwashing est bien connue. Elle consiste à faire croire qu’un produit est écologique alors qu’il ne l’est pas. Mais cette stratégie peut aussi s’appliquer à la responsabilité sociale d’entreprise (RSE), et par extension, aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

On a tous déjà été confrontés à une illustration d’ESGwashing. Comme une marque de vêtements qui publicise sa ligne utilisant des fibres recyclées, alors que sa production s’effectue dans des pays où la main-d’œuvre est payée à un salaire de misère. Ou encore une institution financière mettant l’accent sur ses investissements dans des fonds verts alors que l’essentiel de son portfolio est plutôt concentré dans les énergies fossiles.

Caroline Boyce, CRHA, chargée de cours à HEC Montréal, mentionne aussi le cas d’entreprises qui se targuent d’être des championnes de l’inclusion et de la diversité, alors que dans les faits, cela se limite aux postes d’entrée et n’existe plus aux échelons supérieurs de la hiérarchie. Elle assimile d’ailleurs ce manque de transparence et cette façon de biaiser la réalité à «mettre du glaçage sur un gâteau rassis»…

Comparer des pommes avec des poires

 «Il existe différents types d’ESGwashing, mais en général, cela consiste à investir beaucoup dans les médias et la publicité et peu dans la mise en place de stratégies qui seraient vraiment significatives», précise Vincent Fortin, PDG de Republik, création de capital social. Cette agence mise d’ailleurs sur l’honnêteté. «Notre mission ne consiste pas à tenter de convaincre les consommateurs à tout prix. On ne porte pas non plus de lunettes roses. Nous disons à nos clients d’être cohérents et de commencer par amorcer une réelle transition. Ensuite, nous les aiderons à saisir des opportunités d’affaires, mais si et seulement si leur impact en matière d’ESG est mesurable et quantifiable», explique-t-il.

Selon le PDG, l’une des principales difficultés est qu’il n’existe pas de régulation uniformisée. Par conséquent, chacun peut utiliser à sa guise les critères actuellement en vigueur et faire ressortir ceux qui le mettent le plus en valeur. Un constat que pose également Luciano Barin Cruz, professeur titulaire au Département de management à HEC Montréal et directeur du pôle IDEOS.

«Il n’y a pas de règles comptables standardisées et les cadres de référence ne sont pas les mêmes à travers le monde. Résultat : on compare des pommes avec des poires, ce qui est susceptible de créer de l’ESGwashing», déplore-t-il.

«Une entreprise pourrait aussi choisir certains indicateurs qui la placent en bonne posture, au détriment d’autres qui n’en font pas un portrait flatteur», ajoute-t-il. Par exemple, on mettra de l’avant ses bons résultats en termes de diminution d’émissions de GES, mais on balaiera sous le tapis ceux ayant trait à la diversité et à l’inclusion qui, eux, sont médiocres.

Le meilleur parmi les pires

Emmanuel B. Raufflet, professeur titulaire au Département de management à HEC Montréal, note que la mesure des critères ESG repose sur la divulgation d’informations calibrées. «On peut faire de l’ESGwashing en utilisant certaines informations précises, mais mises hors contexte, ou encore en ayant recours à un référentiel moins exigeant ou qui ne peut pas être vérifié», souligne-t-il.

Autre source d’ambiguïté : se mesurer uniquement par rapport aux «meilleurs de la classe» (best in class) dans une catégorie, mais sans considérer le processus de production dans son ensemble. Par exemple, des compagnies d’exploitation de sables bitumineux qui compareraient leurs performances environnementales entre elles, sans toutefois remettre en question la nature même de leur industrie. «Ce faisant, on peut donc s’attribuer le titre de meilleur dans un secteur d’activité, même si on n’est pas du tout dans une perspective de sobriété», constate Emmanuel B. Raufflet. Autrement dit, on est le meilleur élève parmi les cancres…

Le professeur considère que pour se prémunir de l’ESGwashing, les entreprises devraient accomplir un sérieux travail de consolidation et de divulgation d’informations, basées sur des normes reconnues, tout en adoptant de bonnes pratiques. Luciano Barin Cruz estime pour sa part que laisser le marché se réguler par lui-même, et en vertu de ses propres critères, ne constitue pas une voie porteuse. Il appelle d’ailleurs les gouvernements à agir pour mettre en place une réglementation plus stricte et des mesures claires et uniformes. «Il faudrait également rendre obligatoire la divulgation des résultats, car actuellement, celle-ci se fait uniquement sur une base volontaire. Laisser les organisations décider par elles-mêmes de ce qu’elles souhaitent révéler ou pas n’est manifestement pas une bonne solution», conclut-il, appelant aussi à davantage de cohérence entre ce que les organisations disent d’elles-mêmes et les gestes qu’elles posent effectivement.