Alors que le télétravail a fait exploser le nombre de rencontres, plusieurs travailleurs sont débordés et peinent à trouver le temps d’abattre leur boulot. Comment éviter la réunionite et atténuer ses symptômes?

Des réunions qui s’enchaînent une bonne partie, voire toute la journée, parfois même sans pause entre chacune d’elles. Voilà la réalité de plusieurs travailleurs et gestionnaires depuis le début de la pandémie. Et ce n’est pas qu’une vue de l’esprit : entre 2020 et 2021, le nombre d’heures consacrées à des rencontres a bondi, passant de 14,2 heures à 21,5 heures par semaine, a calculé Reclaim.ai. Cette start-up, qui se spécialise dans les applications de calendrier, a analysé l’activité de 15 000 professionnels. Ses données incluent aussi les rendez-vous à deux.

Quand les 92 employés de Kezber, une entreprise de solutions d’affaires informatiques, ont basculé en télétravail, le problème des interruptions de travail s’est posé. «Nos bureaux sont ouverts, sans cloisons, ce qui favorise la communication, explique Alexandra Bélanger, CRHA, directrice des ressources humaines. Nous avons donc perdu beaucoup de fluidité avec le télétravail. Nous avons dû gérer le fait d’être constamment interpellés.»

Pour éviter la multiplication des appels, rencontres et réunions, les gestionnaires ont passé en revue leur stratégie de communication, raconte-t-elle. «On s’est questionné par rapport à l’accessibilité de l’information. Est-ce que la documentation est assez claire? Doit-on revoir nos modes de diffusion?» L’entreprise a ainsi créé de nouveaux canaux pour concentrer les renseignements, en plus d’y déposer des documents répondant aux questions les plus souvent posées.

C’est d’ailleurs ce que suggère Marine Agogué, professeure agrégée au Département de management de HEC Montréal, alors qu’avec le télétravail, plusieurs interactions se sont transformées en rencontres. «Aujourd’hui, la réunion est devenue le moyen de communication numéro un. Mais est-ce vraiment obligatoire? Peut-on penser à envoyer un message Teams, ou encore, à prévoir un moment dans la semaine où tout le monde est branché et disponible pour répondre aux questions de ses collègues?» Concentrer ainsi les contacts sur une plage horaire permet de limiter les rencontres.

Revenir à l’essentiel

Pour éviter la réunionite, il faut faire la chasse aux rencontres inutiles. Un exercice auquel s’est livrée l’équipe de Kezber, témoigne Alexandra Bélanger. «On a analysé l’essence de chacune de nos réunions. Que veut-on réellement atteindre comme objectif, qui sont les joueurs ayant un réel impact?» Un processus en continu qui a permis de redécouper certains rendez-vous et d’en fusionner d’autres.

En plus de se fixer des buts précis, il faut également se questionner sur la réelle valeur ajoutée à se rassembler, précise Annie Boilard, spécialiste en ressources humaines et présidente du Réseau d’Annie RH. «Quelle est la meilleure façon d’arriver à ses fins? Est-ce vraiment en réunion ou on pourrait tout simplement envoyer un courriel, un mémo, organiser une rencontre individuelle?»

À éviter, selon les deux spécialistes : les rencontres trop longues, celles qui ne servent qu’à rappeler une échéance ou qui se multiplient parce que l’organisation croit qu’elle doit avoir l’accord de tous avant d’aller de l’avant. «Il faut vraiment miser sur des réunions plus courtes, avec des objectifs ciblés, affirme Annie Boilard. Par exemple, est-ce que je veux informer, consulter, prendre une décision ou former mes travailleurs? Si mon objectif est clair, il est beaucoup plus facile de rester concentré.»

«Ce n’est pas le nombre de réunions en soi qui est problématique, mais le fait qu’elles soient inefficaces et inutiles, résume Marine Agogué. Et pourquoi le sont-elles? Parce qu’on a oublié ce qu’on s’était dit la dernière fois.» Pour éviter cette «amnésie organisationnelle», il faut prévoir un débriefing, un suivi, histoire de laisser des traces et de mettre réellement le dossier sur les rails, ajoute-t-elle.

Présence facultative

Pour ne pas surcharger les horaires, le choix des invités est aussi crucial. Chez Kebzer, par exemple, l’équipe marketing se rencontre chaque semaine. La présence de la directrice RH est facultative selon les dossiers en cours. Et s’il n’y a pas de nouveau, le rendez-vous est annulé, précise Alexandra Bélanger. Ainsi, pour chaque réunion, certains participants doivent obligatoirement être présents, d’autres non.

Pour la professeure Marine Agogué, la meilleure façon d’éviter le présentéisme, c’est d’expliquer à chaque personne pourquoi elle est invitée à la réunion. Ce faisant, elle sera plus engagée pendant la rencontre. De la même manière, il faut laisser une certaine liberté aux travailleurs pour juger de la pertinence de leur participation, soutient Annie Boilard. «C’est important de faire confiance aux gens, de créer une culture où ils ont le droit de ne pas être là ou de quitter la rencontre s’ils estiment que leur présence n’est pas nécessaire.»

Prière de ne pas déranger

À éviter aussi : les rencontres qui s’enchaînent sans fin. En train de mener une recherche dans une grande entreprise au printemps 2020, Marine Agogué a vu l’agenda des gestionnaires se remplir à vue d’œil. «Ils étaient en réunion de 8 h à 18 h, sans arrêt. Quand je leur ai demandé à quel moment ils faisaient leur travail, ils ont répondu avant ou après.» Bien entendu, le contexte était particulier, en raison de la pandémie de COVID-19. Mais cette façon de faire pourrait laisser des marques à long terme, pense-t-elle, alors que les travailleurs et les gestionnaires se sont habitués à ce rythme.

Sans compter qu’avec les agendas partagés, il est très facile d’ajouter des rencontres et d’ainsi «remplir» les horaires des membres de l’équipe. D’où l’importance de prévoir un battement entre chaque rendez-vous, que ce soit 5 ou 10 minutes, conseille Annie Boilard. D’autres entreprises, comme Kezber, se sont inspirées du «No Meeting Day» pour encourager les membres de l’équipe à bloquer du temps dans leur calendrier pour du travail individuel. Une bonne habitude à prendre, que ce soit au bureau, en mode hybride ou en télétravail.