La vague de suicides vécue au sein de l'entreprise lui vaut son chapitre dans le livre noir du capitalisme...

L'épisode a fait grand bruit chez nos amis français, et pour cause... Pour faire une histoire brève avec un pan peu glorieux de l'histoire de l'entreprise France Télécom, rappelons que dans la foulée du plan NExT (Nouvelle Expérience des Télécommunications), ce plan de rationalisation et de redressement financier mis en branle en 2006 et qui visait à supprimer 10 % des forces vives de l'entreprise (22 000 postes à l'époque), 60 employés s'enlèveront la vie entre 2006 et 2009. Vous avez bien lu! 60 employés! Et tout cela, sans compter les dommages collatéraux causés par la détresse des familles et des êtres proches qui auront à supporter longtemps la disparition des leurs...

Les conséquences...

Passons, l'espace et le temps d'un paragraphe, sur les responsables appréhendés de cette situation : nous y reviendrons en conclusion. Interrogeons-nous toutefois sur les impacts d'une telle tragédie sur France Télécom (devenue Orange en 2013) et ses diverses parties prenantes. Qu'une entreprise veuille rationaliser ses activités et redresser sa rentabilité, passe toujours. Nous sommes en économie capitaliste après tout, et ce genre de choses ne devrait surprendre personne. Mais ce qui a de quoi choquer dans l'épisode, c'est l'ampleur et la manière. Déjà, le grand manitou d'alors, Didier Lombard, avait annoncé la couleur des jours à venir chez France Télécom. N'avait-il pas déclaré à ses cadres supérieurs : « Je ferai les départs d'une façon ou d'une autre, par la fenêtre ou par la porte »? Le message n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd! Caution morale en poche, les dirigeants de France Télécom seront alors invités à mettre en œoeuvre tous les moyens afin d'atteindre ces objectifs. Laissons Emeline Cazi, du quotidien français Le Monde (lire son article « Suicides à France Télécom : des dirigeants menacés de poursuites pour harcèlement moral »), relater la chose :

« Le message toxique est passé; la méthode a fonctionné. Progressivement, mais sûrement, les conditions de travail se sont dégradées. Tout était bon pour faire craquer le personnel. Affecter les mères de famille sur un poste à deux heures de route de chez elles, offrir à un cadre des responsabilités nettement inférieures à celles qu'’il occupait précédemment. Mais aussi "oublier" des salariés lors d’un déménagement, les laisser quelques semaines sur un plateau vide, sans chaise ni bureau, loin de leurs anciens collègues. »

En somme, en plaçant un accent démesuré sur la quête absolue de rentabilité à très court terme et en délaissant tout considération pour les femmes et les hommes de l'entreprise, cette dernière a rompu le difficile mais essentiel équilibre qui devrait normalement prévaloir entre les considérations économiques et humaines au sein de toute organisation.

Vision à court terme, problèmes à long terme...

À qui profite le crime? À personne, de toute évidence... Comme l'illustrent les données boursières colligées et présentées dans le tableau ci-contre, les actionnaires de France Télécom, que l'on désirait avant tout satisfaire avec cette chasse à la rentabilité, sont loin d'en avoir eu pour leur argent. De fait, la valeur de l'action de l'entreprise a chuté d'environ 40 % durant la période 2008-2010, passant de plus de 25 € à moins de 15 €. Évidemment, la médiatisation de la situation de crise au sein de l'entreprise aura largement contribué cette mauvaise performance boursière.

Mais pis encore, et tâchons de voir la chose à moyen et long terme, qui voudra désormais aller travailler au sein d'une entreprise qui traîne une telle réputation? L'acquisition par l'entreprise d'une main d'œuvre compétente, motivée et mobilisée et l'élaboration d'une marque-employeur attrayante devient, on le devine, beaucoup plus complexe avec un tel boulet...


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Ils sont en mis en cause...

Même si ces tristes événements ont eu lieu voilà huit ans, les séquelles sont encore là, bien présentes, à la fois pour les familles de ces victimes d'un capitalisme froid et sans âme, mais également pour l'entreprise qui continue à traîner cette histoire comme un boulet. Comme l'indique le titre de l'article d'Emeline Cazi, plus haut cité, sept hauts dirigeants de l'ancienne France Télécom, dont le PDG Didier Lombard, auront éventuellement à répondre de leurs paroles et de leurs gestes devant les instances judiciaires. Ces derniers devront défendre et justifier ce qui est apparu aux yeux de l'un des syndicats de l'entreprise comme « [des] méthodes de gestion d’'une extraordinaire brutalité ». Des accusations, rarissimes doit-on préciser, de harcèlement moral pourraient être portées contre les dirigeants visés par la justice française. Le jeu en valait-il vraiment la chandelle? La réponse est évidente...