Présentée comme un avantage aux employés, la flexibilité comporte aussi certains désavantages. Le fait de mieux en comprendre ces limites permet aux employeurs de mieux encadrer ces pratiques et d’éviter que cela ne devienne un cadeau empoisonné.

Avec la pandémie, le télétravail, la flexibilité et le travail hybride se sont imposés dans plusieurs organisations. «Autrefois, c’était considéré comme une avancée en matière de qualité de vie au travail, comme une marque de reconnaissance. Depuis, les choses ont changé et c’est vraiment devenu un besoin, surtout chez les plus jeunes», remarque Mouna Knani, professeure agrégée au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal.

Si cette flexibilité apporte des avantages certains, elle compte aussi un côté sombre, selon elle. D’abord, les travailleurs se trouvent isolés, ce qui pèse sur leur santé mentale. De plus, ces nouveaux modèles de travail brouillent les frontières entre la vie personnelle et professionnelle. «On a tendance à être constamment connecté, à prendre ses courriels à tout moment, et à augmenter les heures consacrées au travail. Cela peut créer une certaine fatigue, perturber le sommeil et augmenter le stress.» 

Fatigue décisionnelle et épuisement

Entre les courriels, les appels, les notifications, l’attention des travailleurs est constamment divisée, engendrant difficultés à se concentrer, stress et perte de productivité. «Certaines études montrent que ce n’est pas que le volume de travail qui peut mener à l'épuisement. Le fait d’entrecouper nos tâches, d’être constamment interrompu peut aussi créer une surcharge», note pour sa part Paméla Bérubé, CRHA, vice-présidente et cofondatrice de Go RH.

Mouna Knani pointe aussi du doigt le «techno-stress» engendré par l’utilisation d’outils informatiques pour lesquels les employés n’ont pas été adéquatement formés. La flexibilité au travail peut aussi engendrer de la fatigue décisionnelle, puisque les travailleurs doivent prendre beaucoup de décisions en solo chaque jour. Avec le temps, cette combinaison de stress, d’attentes élevées, d’isolement social et de manque de soutien peut avoir des effets dévastateurs. «Aujourd’hui, on parle même du burnout de la flexibilité», affirme la professeure.

Une question de personnalité

«Il existe plusieurs types de personnalités en emploi. Certaines personnes ont besoin d’être très encadrées et ont de la difficulté à naviguer dans l’incertitude, dans l’ambiguïté, observe Paméla Bérubé. D’autres vont être capables de se fixer des lignes directrices claires pour atteindre leurs objectifs, de mettre en place des conditions gagnantes. Mais avoir ces bons réflexes n’est pas donné à tout le monde.»

C’est pourquoi offrir la flexibilité tous azimuts sans diagnostic préalable n’est pas une bonne idée, d’après Mouna Knani. «Est-ce que c’est bon ou pas pour cet employé? Est-ce qu’il maîtrise les outils pour travailler à distance? Est-il capable de gérer seul son stress? Certaines personnes sont de plus en plus anxieuses. Si elles sont isolées, ça peut décupler leur anxiété. Donc, est-ce vraiment avantageux ou est-ce plutôt un cadeau empoisonné pour l'employé?»

Selon elle, il est possible d’outiller les travailleurs et de les aider à développer leurs compétences pour être plus autonomes, nuance-t-elle. «Avant d'envoyer ses employés en télétravail, il faut absolument les former à l'autonomie, à la gestion de soi, du stress, des propriétés. Il faut aussi les sensibiliser aux questions de vie privée et à la conciliation travail-famille.» Ce qui passe aussi par du mentorat, du coaching ou des programmes de pairage pour briser l’isolement, donne en exemples Paméla Bérubé.

Une liberté encadrée

«La flexibilité sans règles et sans repères devient vite une source de confusion pour les employés», illustre Mouna Knani. C’est donc à l’employeur de mettre des balises claires, en proposant des horaires de travail commun pour tout le monde, des règles de travail précises, des objectifs, une politique de déconnexion, etc. En somme, il faut établir clairement le terrain sur lequel se jouera le travail.

C’est la même chose pour le travail hybride, qui doit être encadré, soutient Paméla Bérubé. «Tout porte à croire que le fait d’imposer des journées fixes de présence obligatoire a un effet bénéfique sur la productivité, mais aussi sur la santé mentale des employés. On est alors capable de déterminer des dossiers prioritaires sur lesquels se pencher durant ces moments, de réserver du temps pour du travail d’équipe, par exemple.»

Les gestionnaires doivent aussi prendre le pouls régulièrement du terrain, souligne Mouna Knani. Pour cela, elle suggère de s’inspirer du cycle PCDA (plan, do, check, act). Il faut donc planifier des rencontres régulières avec ses employés, assorties d’objectifs clairs, où le gestionnaire note tous les détails de la rencontre. «À l'étape de la vérification, je vais regarder si mon employé est sur la bonne voie ou non. Est-ce qu'il suit les objectifs fixés? Est-ce qu'il adopte une bonne façon de faire pour exécuter ses tâches? Est-ce qu'il est capable d’être autonome? Est-ce qu'il maîtrise les outils technologiques?» S’il y a un écart, il faut ne pas le laisser se creuser et aider l’employé à y remédier.

«L’arbre de la flexibilité doit être bien taillé si on veut qu’il soit solide et ne se déracine pas au moindre coup de vent, au moindre changement», conclut la professeure.