Article publié dans l'édition été 2018 de Gestion

Les PME constituent le tissu même de l'économie québécoise: ce sont elles qui la font vivre et qui lui donnent sa vigueur. Mais disposent-elles de tous les leviers financiers dont elles ont besoin ? Tour d'horizon1.

Selon les dernières données disponibles, le Québec compte 239 370 PME sur un total de près de 240 000 entreprises2. Les PME occupent donc plus de 99 % du paysage entrepreneurial de la province. Or, le marché du financement répond-il bien aux besoins des PME ? En fait, l’adéquation entre les demandes exprimées et l’offre de financement du capital d’investissement proposée n’est pas toujours optimale. C’est le cas dans le commerce de gros et de détail ainsi que dans le secteur de la construction, sans oublier les nombreuses entreprises qui, arrivées à un stade avancé de leur développement, éprouvent des difficultés à cet égard. Ce constat s’impose lorsqu’on croise certaines données financeurs- financés par secteur d’activité et à chaque étape du cycle de développement des PME3.

Le portrait du marché du financement

Dans un premier temps, on constate que les grandes institutions bancaires accaparent une part de plus en plus significative du financement d’entreprise au Québec. Par ailleurs, il existe du capital d’investissement (aussi appelé « placement privé ») qui se décline sous deux formes principales : le capital de risque (venture capital) et le capital de développement (private equity4).

On note également que le gouvernement du Québec favorise une stratégie de maillage entre investissement public et privé. Ainsi, la majorité du capital d’investissement au Québec est sou- tenu, directement ou indirectement, par le gouvernement. Les liens qu’entretiennent les fonds privés avec les fonds fiscalisés, institutionnels et gouvernementaux sont nombreux, solides et complémentaires. De plus, l’objectif de l’approche privilégiée par le secteur public québécois est de faire en sorte que les entrepreneurs demeurent en situation de contrôle en matière d’actionnariat et de gestion. À ce titre, cette approche diffère du modèle américain, qui préconise l’acquisition du contrôle de l’entreprise par les bailleurs de fonds.

Ainsi, alors que les fonds étrangers représentent 40 % des investissements en capital de risque au Canada, ils n’en constituent que 21 % au Québec.

Les types de financement utilisés par les PME

Offre de capital de risque et demande de financement par stade de développementLes besoins des entreprises

Les PME québécoises sont dominées par des structures de petite taille dont plus de 50 % comptent au maximum quatre employés. Environ 80 % des PME sont établies depuis plus de cinq ans et environ la moitié sont concentrées dans quatre grands secteurs d’activité : le commerce de gros et de détail ; la construction ; l’hébergement et la restauration ; les services professionnels, scientifiques et techniques. Les besoins en financement des PME ne cessent de croître. En 2014, près de la moitié d’entre elles (46,5 %) avaient fait une demande de financement externe, un taux en hausse constante.

De plus, les entreprises qui ont recours à des pratiques commerciales performantes comme l’exportation, l’innovation et la protection de la propriété intellectuelle affichent un taux de demande significativement supérieur à celui de l’ensemble des PME.

Des secteurs négligés

Les analyses statistiques démontrent que deux secteurs sont mal servis par le marché du capital d’investissement : le commerce de gros et de détail ainsi que le domaine de la construction.

Offre de capital de risque et de développement par rapport à la demande de financement par secteur d'activité Dans le cas du commerce de gros et de détail, l’offre de financement est nettement insuffisante par rapport aux besoins exprimés. Ainsi, alors qu’en 2014, 22 % des demandes de financement provenaient de PME actives dans ce secteur, le capital de risque ne lui a consacré, en moyenne de 2012 à 2016, que 3,7 % de ses investissements, et le capital de développement, 9,5 %. Ce secteur d’activité représente pourtant 21 % des PME québécoises et attire un entrepreneuriat émergent (jeunes propriétaires et nouvelles entreprises). On y observe un recours à des pratiques commerciales performantes, particulièrement en matière d’innovation. Cette industrie affiche donc un potentiel intéressant pour les investisseurs, qu’il s’agisse de capital de risque ou de capital de développement, car elle répond à plusieurs critères de ces deux groupes.

Du côté de la construction, toujours pour les mêmes années, les PME qui y sont actives constituent 16 % des petites et moyennes entreprises québécoises qui ont fait une demande de financement externe. Or, le capital de développement n’a consacré, en moyenne, que 4,5 % de ses transactions à cette industrie et le capital de risque y est à 2 %. Ce secteur fait pourtant montre d’un taux de croissance enviable et d’un potentiel intéressant. Il possède aussi les caractéristiques propres à un entrepreneuriat émergent, même si les pratiques commerciales performantes y sont sous-représentées. Les usages plutôt traditionnels des PME de ce secteur en font des candidates moins naturelles pour le marché du capital de risque. Cependant, le poids de ce secteur d’activité dans le paysage québécois (environ 15 % des PME de la province), ses caractéristiques socioéconomiques et son potentiel de croissance en font un domaine à considérer pour les investisseurs en capital de développement.

Des stades de développement sous-financés

L’analyse des données révèle aussi que l’offre en capital de risque se concentre majoritairement aux premiers stades de développement des entreprises, alors que la demande de finance- ment des PME est beaucoup plus significative aux stades avancés de développement.

Pourtant, les PME parvenues à cette étape présentent de nombreux attraits, notamment des pratiques commerciales performantes et une bonne prédisposition à des sources de financement diversifiées. Néanmoins, elles nécessitent un apport financier considérable que les fonds en capital de risque peuvent difficilement soutenir, ceux-ci craignant une trop grande concentration de leurs portefeuilles.

Deux enjeux à surveiller

Tout d’abord, le secteur du commerce de gros et de détail et le domaine de la construction constituent des occasions de diversification pour l’industrie du capital d’investissement. Une telle diversification permettrait notamment de réduire la dépendance de ces secteurs envers l’emprunt bancaire, qui peut restreindre l’atteinte de seuils de performance accrue en raison des limites inhérentes à ce type de financement.


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De plus, l’insuffisance de fonds relevée aux stades avancés du développement des entreprises signifie que des PME prometteuses peuvent se retrouver sans option viable de financement, alors qu’elles se rapprochent d’une phase commerciale intéressante. À terme, cette situation favorise l’entrée d’investisseurs étrangers, ce qui pourrait menacer le savoir-faire et l’expertise des acteurs financiers québécois dans ce créneau.

Le financement des PME demeure un enjeu stratégique pour la croissance économique du Québec. S’il est mieux orienté, il permettra à un nombre accru d’entreprises – quels que soient leur secteur d’activité, leur taille ou leur stade de développement – d’atteindre leur plein potentiel.

Article écrit en collaboration avec Emmanuelle Gril, journaliste.


Notes

1- Le contenu de cet article est tiré du travail présenté par l’auteure dans le cadre de son EMBA à Iwan Meier, professeur titulaire au Département de finance de HEC Montréal.

2- Principales statistiques relatives aux petites entreprises, Statistique Canada, juin 2016.

3- Cette analyse s’appuie sur les bases de données du secteur du capital d’investissement compilées et tenues à jour par la société Thomson Reuters ainsi que sur les résultats d’enquêtes menées par Statistique Canada (disponibles jusqu’au 31 décembre 2016).

4- L’association Réseau Capital fournit un lexique des termes propres au capital d’investissement sur son site internet à l’adresse suivante : reseaucapital.com/documents/lexique.