Devant la menace d’une nouvelle ère de protectionnisme, il est utile de réfléchir sur deux sujets : l’essence du libre-échange et l’impact du commerce international sur l’évolution de l’emploi manufacturier au cours des récentes décennies. 

Les avantages d’un libre-échange

Les avantages du commerce international peuvent être mis en parallèle avec ceux du progrès technologique, comme le montre la formulation et l’illustration suivantes :

« Il y a deux technologies pour la production de voitures en Amérique. L'une consiste à fabriquer à Détroit et l'autre est de les cultiver dans l'Iowa. Tout le monde connaissant la première technologie, laissez-moi vous parler de la seconde. D'abord, vous plantez des graines, qui sont la matière première à partir de laquelle les voitures sont construites. Vous attendez quelques mois jusqu'à ce que le blé apparaisse. Ensuite, vous récoltez le blé, le chargez sur les navires, et dirigez les navires vers l'est dans l'océan Pacifique. Après quelques mois, les navires réapparaissent chargés de Toyotas.

Le commerce international n'est rien d'autre qu'une forme de technologie. Le fait qu'il existe un endroit appelé le Japon, avec des personnes et des usines, est tout à fait non pertinent pour le bien-être des Américains. Pour analyser les politiques commerciales, nous pourrions tout aussi bien supposer que le Japon est une machine géante avec des rouages mystérieux qui transforment le blé en voitures. »¹

Le libre-échange devient ainsi une source de richesse, qui a les mêmes effets que le progrès technologique mais aussi avec des effets redistributifs.

Cause de la perte d’emplois manufacturiers

Le déclin de l’emploi du secteur de la transformation est un phénomène général. Aux États-Unis, entre 1980 et 2015, il a diminué de 18,7 à 12,3 millions, passant de 20,1 à 8,7 % de l’emploi non agricole. Qu’en est-il pour le Québec? Au cours de la période de 1997 à 2015, il a perdu le sixième de l’emploi dans le secteur de la fabrication et ainsi son importance relative dans l’emploi total a considérablement diminué, passant de 18,4 à 11,9 %. Les emplois manufacturiers d’une entreprise incluent aussi les emplois non reliés directement à la production.

Deux auteurs, Michael J. Hicks et Srikant Devaraj, proposent un simple exercice pour illustrer l’impact important de la croissance de la productivité sur l’évolution de l’emploi manufacturier aux États-Unis : l’application des niveaux de productivité du travail de 2000 à la production de 2010 aurait exigé 20,9 millions d’emplois manufacturiers. Au lieu de ce nombre, il y en avait 12,1 millions, soit 42,1 % de moins. L’étude conclut :

« Trois facteurs ont contribué à l'évolution de l’emploi manufacturier au cours des dernières années: productivité, commerce et demande. De façon écrasante, le plus grand impact est la productivité. Près de 88 % des pertes d'emplois dans la fabrication ces dernières années est attribuable à la croissance de la productivité et les changements à long terme de l'emploi dans le secteur manufacturier sont principalement liés à la productivité des usines américaines. La demande croissante des biens manufacturiers aux États-Unis a compensé une partie de ces pertes L'effet est modeste, représentant une augmentation de 1,2 % des emplois. »²

L’augmentation de la productivité du secteur manufacturier fut aussi favorisée par le transfert vers les pays en voie de développementdes industries utilisant davantage de travailleurs moins spécialisés, comme les industries du vêtement et de la chaussure.

Taux de change et secteur manufacturier canadien

Comme le Canada demeure un petit pays sur la scène internationale, la valeur de sa monnaie fluctue considérablement. Depuis 1950, par rapport à la devise américaine, sa valeur maximale fut de 1,0614 $US en août 1957 et un minimum de 0,6179 en janvier 2002. Ces fluctuations ont des répercussions considérables sur la production et la rentabilité des secteurs exportateurs.

Il est utile de revenir sur la période du début des années 1990 à 2002. Une devise canadienne dégringolant vers sa valeur minimale a isolé le Canada de la contraction de l’emploi du secteur manufacturier ayant cours dans les autres pays : il connut entre 1995 et 2002 une croissance de 22 % de l’emploi dans ce secteur en très grande partie grâce à une diminution d’environ 35 % de la rémunération horaire canadienne relativement à celle des États-Unis provoquée par la chute du dollar canadien. Toutefois, cette évolution atypique de l’emploi manufacturier au Canada nécessita des ajustements plus draconiens avec la montée subséquente de la valeur du dollar canadien.

Conclusion

Face à une menace d’une ère de repli, il est salutaire d’identifier le commerce à une forme de technologie avec les avantages qu’il implique. De plus, il faut prendre conscience que la perte du secteur de la fabrication dans l’emploi provient de la capitalisation de ce secteur, le secteur manufacturier suivant ainsi le même chemin qu’a pris plus tôt l’agriculture.

¹ Steven E. Landsburg (2012). The Armchair Economist: Economics and Everyday Life. Free Press, pp. 252-253

² Michael J. Hicks et Srikant Devaraj (2015). The Myth and the Reality of Manufacturing in America, p. 6