Analyser les réactions émotionnelles et cognitives des utilisateurs pourrait devenir un véritable outil concurrentiel pour les entreprises qui proposent des produits ou des services numériques. L’expérience utilisateur serait-elle devenue le nerf de la guerre?

Les expériences émotionnelles humaines sont composées de deux éléments : la valence émotionnelle et l’intensité émotionnelle. Chaque émotion se compose donc de ces deux éléments. Par exemple, la joie est une émotion de forte intensité et de valence positive, alors que l’ennui est une émotion de faible intensité et de valence négative. En utilisant des outils neuroscientifiques, il possible de cartographier les réactions émotionnelles des utilisateurs d’un produit ou d’un service numérique, et de comparer également leurs réactions sur des interfaces concurrentes. 

Or, l’expérience utilisateur n’est pas uniquement émotionnelle. L’état cognitif de l’utilisateur est aussi très important. Par exemple, l’effort cognitif consenti, soit la charge mentale qu’impose l’interface sur les ressources cérébrales de l’utilisateur, est lui aussi un facteur déterminant dans la capacité à utiliser facilement un produit ou un service numérique.

Plusieurs outils de mesure permettent de capter l’activité cérébrale d’un utilisateur, notamment les appareils électroencéphalographes qui servent à mesurer l’activité électrique du cerveau, et donc à mesurer avec précision la charge mentale d’un utilisateur.

Toutefois, un tel appareillage peut paraître encombrant pour des tests utilisateurs. Il existe donc des moyens plus simples de mesurer la charge mentale d’une personne. L’oculomètre, par exemple, est un appareil qui permet non seulement de mesurer les mouvements oculaires de l’utilisateur, mais il permet aussi d’enregistrer la dilatation de sa pupille. En général, plus la pupille se dilate, plus la charge mentale d’une personne est amplifiée. L’avantage de cette technique? Elle ne demande aucun capteur; l’oculomètre mesure automatiquement, 300 fois par seconde, la taille de la pupille en millimètres, et ce, sans interférer avec la tâche de l’utilisateur devant son écran. La combinaison de la valence, de l’intensité émotionnelle ainsi que de la charge mentale permet alors de comparer entre elles les expériences vécues sur différentes interfaces.

Comment utiliser les réactions émotionnelles en entreprise?

Afin de comprendre et de comparer au sein d’une industrie l’expérience émotionnelle réelle vécue par les utilisateurs, les équipes de la Chaire de recherche industrielle du CRSNG-Prompt en expérience utilisateur (Chaire UX) ont développé un index émotionnel basé sur les émotions que vivent réellement les utilisateurs. À l’aide d’un algorithme propriétaire, elles parviennent à extraire les principales dimensions de l’émotion de l’utilisateur et à produire un score émotionnel entre 0 et 100. Ce score prend en compte autant la nature de l’émotion vécue par l’utilisateur que son intensité.

Ce nouvel index a été récemment utilisé afin de comparer l’expérience émotionnelle vécue par des utilisateurs dans l'industrie bancaire canadienne. Ainsi, les équipes ont analysé l’expérience émotionnelle vécue lorsque l’utilisateur consulte la page d'accueil du site Web ainsi que le compte Instagram de chacune de ces banques.

index émotionnel

Les résultats sont révélateurs : certaines institutions bancaires génèrent des émotions positives plus fortes que la moyenne de l'industrie à la fois pour leur logo, leur site Web et leur compte Instagram. C’est le cas par exemple de la Banque TD, ce qui indique un bel équilibre en matière d’expérience utilisateur émotionnelle entre son image de marque, sa plateforme commerciale (site Web) et sa plateforme sociale (Instagram). Cependant, d’autres institutions financières génèrent plus d’émotions positives sur leur logo (CIBC ou RBC), sur leur site (BMO) ou sur leur compte Instagram (Banque Scotia), dénotant ainsi un certain déséquilibre de l’expérience utilisateur.

Ces résultats exposent bien la difficulté de convertir le capital émotionnel acquis sur une plateforme de nature plus commerciale et de le transposer sur une plateforme sociale comme Instagram. Un tel index émotionnel permet de suivre cette évolution et de s’assurer d’offrir une expérience utilisateur en harmonie sur toutes les plateformes de l’organisation. Cet outil donne également des pistes d’analyse intéressantes aux entreprises qui souhaitent offrir une expérience de marque omnicanale cohérente.

Les résultats des projets présentés tout au long de cette série d’articles, dont plusieurs ont été menés en collaboration avec Deloitte, démontrent à quel point des résultats neuroscientifiques peuvent être utiles pour les gestionnaires dans leur prise de décision, qu’elles soient de nature tactique ou stratégique. Les données neuroscientifiques révèlent des informations de gestion uniques, qui ne peuvent pas être obtenues par des méthodes traditionnelles.

L’utilisation des neurosciences en gestion n’en est qu’à ses débuts. Plusieurs avancées sont à prévoir, notamment l’analyse en temps réel des états affectifs et cognitifs des utilisateurs afin que les interfaces s’adaptent à ces derniers. En ce sens, les chercheurs de la Chaire UX mènent présentement des projets dans lesquels l’engagement et la charge cognitive de l’utilisateur sont utilisés afin d’adapter l’interface en temps réel et ainsi permettre d’optimiser l’expérience de l’utilisateur et, conséquemment, d’en bonifier sa performance.