Pour plusieurs, désaccord est synonyme de conflit. Or ce n’est pas toujours le cas. Laisser place aux avis différents, générer les discussions et écouter les critiques s’avère bénéfique pour les entreprises comme pour les gens qui y travaillent. Alors, comment célébrer les divergences?

Quand il travaillait en entreprise, Charles Baribeault faisait souvent réviser ses projets par ses collègues les plus critiques : «Je voulais m’assurer de ne pas avoir eu d’angles morts, que j’étais solide avant de présenter le tout aux employés.» Les désaccords dans une équipe jouent un peu ce rôle, selon le maître d’enseignement au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. «Quand personne n’ose émettre un avis différent, les idées sont moins bien testées», note-t-il.

Laisser place à la discussion permet à la fois de mieux cerner les faiblesses d’une proposition, d’identifier les risques et d’optimiser les solutions. «Si on évite les désaccords, on répète toujours les mêmes solutions, les mêmes façons de faire. C’est néfaste non seulement pour les entreprises, mais aussi pour les employés, car ils sont plus souvent dans l’ennui que dans la créativité», avertit Ghislaine Labelle, CRHA, psychologue organisationnelle et médiatrice au Groupe Conseil SCO.

Quand ils sont récurrents, les conflits peuvent également être le symptôme d’un problème sous-jacent, comme l’explique Jean Poitras, professeur titulaire au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. «Si les gens sont mécontents parce qu’ils doivent travailler la fin de semaine, cela pourrait être le signe qu’il faut changer la façon de gérer les horaires», donne-t-il en exemple. Les leaders doivent donc apprendre à décoder de tels signaux.

Écoute active

Pour ne pas tuer toute discussion dans l’œuf, il faut d’abord dédramatiser la situation, d’après Charles Baribeault. «C'est important d’envoyer le message aux employés que c’est correct d’avoir des avis différents. On peut ensuite utiliser ces désaccords comme un point de départ pour trouver un terrain d’entente nouveau, créatif, faisant en sorte que la solution qui est envisagée sera plus forte parce qu’on a permis d’adopter un autre point de vue. Mais les gestionnaires ont aussi à jouer un rôle de garde-fou, pour éviter que cela devienne émotif.»

Souvent, dès qu’un conflit semble poindre, on utilise des stratégies d’évitement. «Cela suscite parfois le malaise, mais il faut passer par-dessus ce sentiment. Quand il y a débat, on peut aller dans une salle, en discuter, écrire nos idées au tableau…», suggère Charles Baribeault, qui ajoute : «En fait, il faut ramener la discussion vers des aspects concrets, qui vont amener des pistes de solution.» Il donne en exemple certaines entreprises, comme RONA, qui ont même aménagé des salles de créativité, où les employés peuvent se rencontrer pour échanger : «Cela donne un signal clair comme quoi on a le droit de remettre en question les façons de faire.»

Des discussions fructueuses

Il est possible de tirer avantage de ces divergences, à condition de mettre en place «un processus de gestion des conflits», estime Jean Poitras. Pour y arriver, il faut d’abord se défaire du réflexe qui consiste à argumenter immédiatement à propos des idées des autres membres de l’équipe, pour plutôt écouter réellement leurs points de vue et tenter de comprendre leurs préoccupations. «C’est souvent à cette étape que cela dégénère, car on tente de convaincre l’autre; on le voit comme quelqu’un qui nous met des bâtons dans les roues, dit-il. Un dialogue de sourds s’installe alors.»

Pour décomposer le problème, le professeur suggère de commencer par un tour de table. «En général, 20% des choses qui dérangent causent 80% des irritations, précise-t-il. Les identifier permet de voir quels changements seront les plus payants.» Cela permet d’établir des priorités et, ensuite, de chercher des solutions mieux adaptées.

Le fait de ramener le débat sur les idées permet aussi d’éviter que la discussion prenne un tour personnel et dégénère en conflit.  «C’est une technique qui est relativement simple et, à force de l’appliquer, cela devient un réflexe pour le groupe», soutient Jean Poitras. Par ailleurs, si un gestionnaire estime qu’il est incapable d’arbitrer ce genre de débat, il peut demander à un collègue qui se sent à l’aise dans un tel contexte de mener la rencontre.

Valoriser la différence

Plutôt que de cacher les désaccords sous le tapis, il est possible de valoriser les idées différentes et de mettre à profit les expériences de chacun. «On peut renforcer les efforts des gens pour s’exprimer, et souligner l’intérêt d’une opinion tranchée, par exemple celle d’un employé ayant un regard neuf. On est aussi en mesure de faire appel aux silencieux en les interpellant pour savoir ce qu’ils pensent», propose Ghislaine Labelle.

Elle suggère également d’utiliser des techniques comme celles du remue-méninges pour faire ressortir les suggestions des uns et des autres, même les plus loufoques. «Dans les équipes où les discussions s’avèrent difficiles, on peut également se tourner vers le remue-méninges silencieux : plutôt que de discuter à voix haute, les gens écrivent leurs idées sur papier. Ensuite, l’idée est de déterminer ensemble quelles sont les solutions possibles», détaille-t-elle.

«Il y a aussi moyen de suggérer aux travailleurs que chacun se jumelle avec un binôme, un collègue ayant une vision complètement différente de la leur, pour que cette personne puisse confronter leurs idées», affirme Charles Baribeault. Si c’est peut-être difficile à imposer, le gestionnaire pourrait lui-même donner l’exemple. Plus simplement, le maître d’enseignement propose de «faire miroiter» les solutions novatrices nées de la confrontation et de remercier ceux qui osent émettre leur opinion. «Cela se joue beaucoup au quotidien», résume-t-il.