S’il existe de nombreux outils pour mesurer la performance individuelle, évaluer celle d’une équipe de façon collective est une tâche moins évidente. Souvent utilisés, les taux d’engagement et d’absentéisme sont loin d’être suffisants et éclairants. Alors, que faut-il considérer?

Jean-François Bertholet, consultant en ressources humaines et chargé de cours à HEC Montréal, établit un parallèle avec le monde du sport. «Chaque joueur a une bonne fiche individuelle, mais a-t-on gagné la partie pour autant?», interroge-t-il. Pour mesurer les conditions de succès d’une équipe, on devrait donc, selon lui, s’attarder à la cohésion, la confiance, la qualité de la collaboration. On devrait se demander si les différents membres se sentent à l’aise d’exprimer leur point de vue, par exemple. «Pour ma part, j’aime bien mesurer le climat émotif : les gens sont-ils stressés, anxieux? Quelle est la dynamique à l’œuvre dans l’équipe? Cela fournit de bons indices», estime-t-il.

Série L'équipe idéale

Choisir des indicateurs

De son côté, Estelle M. Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal et membre du Consortium de recherche sur l’intelligence émotionnelle appliquée aux organisations, privilégie l’approche du professeur de psychologie sociale et organisationnelle de l’Université Harvard, Richard Hackman. «Il préconise d’évaluer le niveau de satisfaction de la clientèle, la capacité à maintenir l’engagement des membres de l’équipe et, enfin, les occasions que leur offre le travail de poursuivre leur développement», énumère-t-elle.

Corinne Prost, chargée de cours en comportement organisationnel au Département de management de HEC Montréal, va également dans ce sens. Elle souligne que les nombreux travaux de recherche démontrent que lorsqu’on parle de succès d’équipe, il ne faut pas uniquement considérer des indicateurs de performance, mais également des indicateurs plus humains. «Par exemple, pour une équipe de contrôle de la qualité, on pourrait s’attacher à mesurer le taux de retour et de plaintes des clients. Mais cela ne donnerait qu’un portrait tronqué de la réalité. Il faut donc avoir une vision élargie du succès, qui va au-delà des résultats et de ce qui a été livré ou produit. C’est pourquoi l’équipe doit se doter d’indicateurs humains», explique-t-elle. On pense notamment à la qualité de l’expérience des membres à œuvrer au sein de leur équipe (qualité de l’expérience groupale), ou à leur capacité à s’adapter, c’est-à-dire à apprendre ou à développer de nouvelles façons de faire. Ces deux aspects ont d’ailleurs été cruciaux durant la pandémie, alors que les équipes ont dû composer avec de nombreux changements quant à l’organisation du travail causés par la crise sanitaire. Corinne Prost mentionne qu’il existe des outils diagnostics permettant d’évaluer l’équipe sur des dimensions clés d’efficacité.

Utile ou pas le team building?

Si le gestionnaire n’est pas satisfait des résultats obtenus par son équipe, est-il possible d’améliorer la performance de celle-ci avec des activités de team building? À cet égard, les avis sont réservés, voire dubitatifs. Pour sa part, Jean-François Bertholet estime qu’elles ne sont guère efficaces. «Les employés se retrouvent dans un environnement artificiel dans lequel on se borne à évaluer la performance individuelle. Cela ne peut donc en aucun cas contribuer à réguler les enjeux de climat de travail», juge-t-il.

Estelle M. Morin précise pour sa part que des recherches ont démontré que les activités de consolidation d’équipe s’avèrent inutiles. «Elles consistent généralement à vivre une expérience ensemble. Cela peut être divertissant sur le moment, mais l’effet ne dure pas et les vraies discussions n’ont pas lieu. Ce qui est efficace, en revanche, c’est de réfléchir sur comment on travaille ensemble et sur la façon dont on interagit les uns avec les autres», souligne-t-elle.

Corinne Prost constate que dans ces activités, on met beaucoup l’accent sur la dimension sociale. «Cela n’est pas mauvais en soi, mais il faudrait que les discussions soient animées autour des dimensions d’efficacité d’une équipe, ce qui lui permettrait de rester alignée sur sa mission, sur les compétences qu’elle peut mobiliser pour la servir, ainsi que sur ses stratégies pour y parvenir. C’est là que les résultats d’un outil diagnostique peuvent être utiles pour guider les conversations», assure-t-elle.

Estelle M. Morin fait aussi état de travaux[1] ayant révélé qu’une consolidation d’équipe efficace passe par plusieurs étapes. «Tout d’abord, amener les gens à reconnaître ce qui fait défaut : objectifs, clarté des rôles, capacité à résoudre des problèmes, gestion des relations interpersonnelles, etc. Ensuite, on intègre des exercices pratiques et des discussions pour aider les individus à prendre conscience de leurs préoccupations et des enjeux qui affectent leur efficacité», illustre-t-elle. Enfin, il faudra guider l’équipe pour qu’elle puisse s’entendre sur des actions concrètes favorisant sa performance. C’est à ces conditions, et non pas dans le cadre d’une activité sociale certes distrayante, mais peu efficace, qu’on pourra véritablement améliorer le succès et l’engagement.


Référence

[1] Lacerenza et al., «Team development interventions: Evidence-based approaches for improving teamwork», American Psychologist, vol. 73, n° 4, mai 2018, p.517-531.