L'expert Guy Paré brosse un portrait des avancées en matière de médecine à distance.

La télésanté désigne l’informatisation des échanges d’information dans le domaine de la santé. Elle recouvre les différents dispositifs qui s’appuient sur les technologies de l’information visant à faciliter et à améliorer la prévention, le diagnostic, le traitement et le suivi médicaux. Elle englobe les interactions entre les patients et les professionnels de la santé ainsi que la transmission de données cliniques entre les intervenants eux-mêmes. Les expériences québécoises en matière de télésanté ne sont pas nouvelles. Cependant, l’engouement qui s’est développé depuis une dizaine d’années repose sur deux éléments principaux. Primo, les progrès technologiques récents ont contribué à une augmentation importante de la capacité et de la vitesse de transmission à distance de données multimédia. Secundo, dans une perspective de mieux coordonner et d’assurer le développement d’initiatives porteuses de bénéfices, le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) du Québec a mandaté chacun des quatre Réseaux universitaires intégrés de santé (RUIS) d’établir ses propres priorités en matière de télésanté tout en portant une attention particulière aux besoins précis de la population vivant sur son territoire.


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En raison de la pénurie sévère de pathologistes qui sévit dans l’est de la province, le RUIS de l’Université Laval a décidé d’investir dans un important réseau de télépathologie qui touche 18 centres hospitaliers, un des plus importants au monde. Lorsqu’il n’y a pas de pathologiste disponible au sein d’un hôpital, les chirurgiens ont trois options, soit : pratiquer des chirurgies plus invasives, procéder à une chirurgie en deux ou en plusieurs étapes (en réopérant le patient lorsque le diagnostic est obtenu) ou transférer le patient vers un centre hospitalier qui dispose d’un pathologiste. On comprend que chacune de ces options comporte sa part de stress et de risque pour les patients. La télépathologie, qui fut déployée au début de 2011, constitue une solution à cette problématique. Lors d’une chirurgie où l’avis immédiat d’un pathologiste est requis afin d’analyser les cellules prélevées, examen mieux connu sous le vocable d’examen extemporané, la technologie permet de numériser les spécimens sur des lames qui sont ensuite acheminées via Internet au pathologiste se trouvant dans un autre établissement. Les écrans à haute résolution permettent au pathologiste consultant d’émettre un diagnostic puis de conseiller le chirurgien sur la suite de la chirurgie. Le processus de numérisation des lames n’ajoute qu’environ cinq minutes à la durée totale d’une chirurgie. Une étude réalisée par une équipe de HEC Montréal¹ a démontré que l’objectif d’assurer des services d’examens extemporanés en tout temps (sans bris de services) au sein des établissements ne disposant pas de pathologiste a été atteint, assurant du coup une meilleure accessibilité aux soins chirurgicaux spécialisés. La mise en place de la télépathologie a par ailleurs contribué à la rétention des chirurgiens en région éloignée.

Le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS) et ses partenaires du RUIS de l’Université de Sherbrooke ont pour leur part priorisé une tout autre forme de télésanté, soit la téléassistance en soins de plaies (TASP). Cette décision fut prise en raison de deux principaux facteurs contextuels, soit une hausse importante au cours des dernières années du nombre de cas de plaies complexes et une disparité grandissante des pratiques infirmières dans ce domaine particulier. Afin de pallier ces problématiques en plus de faire face à la pénurie d’infirmières spécialisées en soins de plaies, un système de téléconsultation fut mis en place en février 2010. Ainsi, par l’intermédiaire de la vidéo, les infirmières expertes assistent à distance les infirmières-ressources de chaque CSSS aux prises avec des problèmes liés aux plaies complexes. À l’aide d’une caméra, l’infirmière-ressource permet à l’infirmière experte de constater la nature et la sévérité de la plaie du patient à partir de son écran d’ordinateur. Grâce à ces cliniques virtuelles, les infirmières-ressources acquièrent de nouvelles connaissances qu’elles peuvent à leur tour communiquer aux infirmières soignantes. Outre le fait que la TASP permette aux patients souffrant de plaies complexes d’avoir accès à des services spécialisés directement dans leur milieu de vie, cette initiative a également permis de consolider la qualité des soins offerts à la population grâce à la mise en place d’un cadre de référence commun qui s’appuie sur les meilleures pratiques cliniques. Entre 2011 et 2014, plus de 2 600 consultations virtuelles ont été réalisées, un signe clair que ce projet de télésanté répond à un besoin important. Il n’est pas surprenant de constater que le succès de l’implantation de la TASP en Estrie suscite de l’intérêt à l’étranger, notamment en France, au Mali, en Colombie et même en Inde.


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En raison du vieillissement accéléré de la population et de la hausse importante des cas de maladies chroniques qui l’accompagne, les autorités du RUIS de l’Université de Montréal ont décidé de prioriser les télésoins à domicile. Ceux-ci consistent essentiellement à suivre à distance l’état de santé d’une cohorte de patients atteints de maladies chroniques telles que l’asthme, le diabète, l’insuffisance cardiaque et l’hypertension. Le patient, muni d’une tablette avec écran tactile et modem intégrés, doit saisir puis transmettre quotidiennement un certain nombre de paramètres cliniques tels que ses signes vitaux, les symptômes liés à sa maladie et sa prise de médicaments. Ces informations, qui sont emmagasinées de manière sécurisée sur un serveur, sont consultées dès leur réception par une infirmière gestionnaire de cas. Le système analyse les données transmises et signale automatiquement une alerte à l’infirmière lorsque celles-ci s’écartent des valeurs attendues. Après avoir discuté avec le patient au téléphone, la gestionnaire de cas pourra demander à une collègue infirmière de se rendre au domicile du patient ou informera le médecin traitant concerné qui décidera des mesures à prendre (p. ex. : procéder à un changement de médication). Deux études médico-économiques² financées par le MSSS ont révélé de nombreux bénéfices associés aux télésoins à domicile, notamment une réduction significative du nombre de retours en salle d’urgence et du nombre d’hospitalisations. Cette baisse de la consommation de services de santé représente une économie nette d’environ 15 % en comparaison aux coûts associés aux suivis à domicile traditionnels. En raison de leurs retombées tant pour les patients que le système de santé dans son ensemble, les télésoins sont en voie d’être implantés à la grandeur du territoire québécois grâce aux efforts concertés des quatre RUIS.

Le RUIS de l’Université McGill, qui assure notamment l’offre de soins spécialisés et surspécialisés dans le Grand Nord québécois et le Nunavik, a opté pour la mise en place d’un modèle centralisé de téléexpertise appelé CvSSS (Centre virtuel de Santé et de Services Sociaux). Depuis son déploiement initial en 2007, le CvSSS a vu l’offre de services s’étendre à plus de 30 spécialités cliniques, dont les plus sollicitées sont la cardiologie, l’ophtalmologie, la santé mentale, la santé de la femme ainsi que les soins de plaies et de stomies. Plus de 1 440 téléconsultations en temps réel ont été réalisées avec des patients des régions concernées en 2013-2014, contribuant du coup à améliorer l’accessibilité aux soins de santé spécialisés. Lors de ces consultations virtuelles, les patients sont accompagnés d’un professionnel de la santé (p. ex. : inhalothérapeute) et d’un proche pour permettre la traduction simultanée, lorsque requise. Selon les responsables du projet, le recours à la télésanté au RUIS de l’Université McGill a d’ailleurs permis une réduction significative des coûts liés aux transferts des patients vers le centre hospitalier universitaire montréalais.

En conclusion, les initiatives décrites ci-dessus révèlent que nous avons été en mesure de relever le défi consistant à mettre la télésanté au service de la population québécoise. Tel que le recommande la Commission de l’éthique en science et en technologie dans son avis publié en 2014 intitulé La télésanté clinique au Québec : un regard éthique, nous sommes d’avis que l’essor de la télésanté « [...] doit reposer sur la demande et la pertinence plutôt que sur l’offre et le développement technologique » (p. XV). Toujours selon cette Commission, il faut continuer d’agir de manière intégrée, cohérente et transparente, dans le respect de trois grands principes, soit : 1) l’évaluation des besoins de la population et la mobilisation des professionnels de la santé, 2) l’utilité clinique et la sécurité des applications informatiques mises en place; et 3) un rapport coût-efficacité avantageux. Sur la base des apprentissages réalisés et des retombées observées à ce jour, il y a lieu d’être optimiste quant à l’avenir de la télésanté au Québec.


Notes

1. Paré, G., Meyer, J., Trudel, M.C. & Têtu, B. (2016). « Impacts of a Large Decentralized Telepathology Network in Canada ». Telemedicine and e-Health 22(3), pp. 246-250.

2. Paré, G., Poba-Nzaou, P., Sicotte, C., Beaupré, A., Lefrançois, É., Nault, D., & St-Jules, D. (2013). « Comparing the Costs of Home Telemonitoring and Usual Care of Chronic Obstructive Pulmonary Disease Patients: A Randomized Controlled Trial ». European Research in Telemedicine 2(2), pp. 35-47.  et Paré, G., Poba-Nzaou, P. & Sicotte, C. (2013). « Home Telemonitoring for Chronic Disease Management: An Economic Assessment ». International Journal of Technology Assessment in Health Care 29(2), pp. 155-161.