Article publié dans l'édition Automne 2018 de Gestion

L’inconduite et le harcèlement sexuels ont des effets dévastateurs non seulement pour les victimes mais aussi pour leurs collègues. Le mouvement #MoiAussi a permis d’exposer ces agressions au grand jour. Toutefois, au moment où le scandale éclate, le mal est déjà fait. Pistes pour prévenir le harcèlement sexuel au travail.

Le mouvement #MoiAussi (#MeToo en anglais), lancé par l’actrice américaine Alyssa Milano en octobre 2017, a donné lieu à une énorme vague de dénonciations de cas d’agressions à caractère sexuel. Des femmes et des hommes de partout dans le monde ont ainsi révélé avoir été victimes d’agressions sexuelles allant de remarques ou de gestes déplacés jusqu’au viol. Du jour au lendemain, des gens souvent bien en vue se sont retrouvés au cœur d’énormes scandales. Propagé à la planète entière, ce mouvement a enfin permis de discuter ouvertement de ce qui constitue un des plus grands tabous de notre époque : le harcèlement sexuel.

L’inconduite et le harcèlement sexuels peuvent prendre de nombreuses formes, notamment des gestes, des remarques, des appels ou des messages (sextos) ni sollicités ni souhaités. L’absence de consentement constitue la pierre angulaire et l’élément distinctif du harcèlement sexuel. Contrairement à la séduction et au flirt, qui s’inscrivent dans une relation consensuelle, le harcèlement sexuel implique un rapport de force. La personne visée n’est pas consentante, ce qui, bien sûr, change tout à la situation.

Malheureusement, plusieurs victimes hésitent encore à dénoncer leur agresseur par crainte de représailles (exemples : se voir refuser une promotion ou perdre leur emploi). Trop souvent, elles ont peur qu’on ne les prenne pas au sérieux, voire qu’on leur reproche d’avoir provoqué elles-mêmes leur malheur en s’habillant ou en se comportant de telle ou telle façon. Plusieurs personnes se retrouvent donc à subir en silence des situations inacceptables pendant des mois, voire des années, ce qui a inévitablement des effets néfastes sur leur santé physique et mentale. Épuisées, fragilisées et malades, certaines d’entre elles en sont réduites à devoir quitter leur travail.

Bien qu’elles soient particulièrement affectées, les victimes directes ne sont pas les seules à souffrir des effets du harcèlement sexuel. Les collègues de travail témoins de ces situations inadmissibles en subissent eux aussi les conséquences.

Le harcèlement sexuel dans une équipe de travail crée un climat dévastateur (conflits récurrents, faible cohésion, comportements contre-productifs, etc.) qui ne nuit pas qu’aux victimes elles-mêmes, bien au contraire. Bien souvent, dans les équipes où de tels agissements se produisent, les taux d’absentéisme et de roulement du personnel sont anormalement élevés et le rendement diminue. Par ses effets toxiques, le harcèlement sexuel contamine les lieux de travail, ce qui a des conséquences à la fois personnelles et organisationnelles.

Dans de telles circonstances, qu’attendons-nous pour agir ? Pour ce faire, il est essentiel d’aller à la source du mal.

Les racines multiples du harcèlement sexuel

La cause directe du harcèlement sexuel est évidemment la présence d’un agresseur. Lorsqu’une situation de harcèlement existe, c’est parce qu’un individu (patron ou collègue, par exemple) profite du pouvoir dont il dispose pour abuser d’autrui. À cet égard, les recherches confirment que certaines caractéristiques, notamment des traits de personnalité, peuvent prédisposer certains individus à poser des gestes d’inconduite sexuelle.

Cela dit, au-delà des personnes, il existe d’autres facteurs explicatifs, dont on discute moins, qui relèvent pour leur part de la gestion et du fonctionnement de nos organisations. Certains environnements organisationnels sont effectivement plus propices que d’autres au harcèlement sexuel. Ces facteurs environnementaux, bien qu’indirects, ne doivent pas être sous-estimés.

Les recherches montrent entre autres que le harcèlement sexuel est plus fréquent dans les milieux de travail où les relations interpersonnelles sont tendues et compétitives. La précarité en matière d’emploi et les systèmes de récompenses élitistes axés avant tout sur la performance individuelle favorisent l’hostilité entre collègues et sont associés à une plus grande prévalence du harcèlement sexuel.

Dans ces environnements de travail, certaines personnes se sentent effectivement contraintes de tolérer des situations d’abus afin de conserver leurs acquis ou de ne pas nuire à leur cheminement professionnel. Le harcèlement sexuel serait également plus courant dans les milieux de travail et aux échelons hiérarchiques où les femmes sont peu nombreuses ainsi que dans les grandes équipes, possiblement en raison de la difficulté à établir des relations de confiance entre les membres. Il demeure toutefois que le harcèlement sexuel peut se manifester dans tous les milieux de travail, quelles que soient les pratiques de gestion en vigueur. Fermer les yeux sur ce phénomène favorise le développement d’une culture de tolérance à l’endroit de ces comportements abusifs.

Des pistes de prévention

Chacun étant responsable de ses actions, les personnes qui se conduisent de façon inappropriée doivent en assumer les conséquences. Cependant, il existera sans doute toujours des personnes qui accorderont peu de valeur au principe de consentement et auprès desquelles il faudra intervenir.

Au Québec, depuis le 1er juin 2004, la Loi sur les normes du travail stipule d’ailleurs que les salariés ont droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique, ce qui inclut les violences à caractère sexuel. Ainsi, les mécanismes de dénonciation et le traitement efficace des plaintes en matière de harcèlement sont sans contredit essentiels. Toutefois, ces mécanismes ne sont pas suffisants. Puisque les causes du harcèlement peuvent être systémiques, il faut aussi agir en amont afin de prévenir les cas d’inconduite et de harcèlement sexuels, ce que prévoit également la Loi sur les normes du travail du Québec. En plus d’avoir l’obligation légale de mettre fin aux situations de harcèlement, les employeurs sont aussi tenus de les prévenir.

Voici quelques pistes d’action préventives qui s’appuient sur les recherches menées sur la question du harcèlement sexuel en milieu de travail.

Équité et respect au travail

Les environnements de travail individualistes et dont les systèmes décisionnels sont opaques constituent des terreaux fertiles pour le harcèlement sexuel. Ainsi, cultiver la transparence et l’entraide au sein des équipes et des organisations peut contribuer à réduire le nombre de cas de harcèlement. Pour y arriver, il faut notamment mettre en œuvre des pratiques de gestion et de direction qui favorisent le respect et le travail en équipe. Des politiques organisationnelles transparentes et équitables ainsi que des pratiques de reconnaissance qui valorisent les réalisations collectives peuvent contribuer au développement de relations fondées sur la confiance et sur la solidarité.

La diversité des équipes

La faible présence de femmes ou d’hommes dans certaines équipes est également associée à une augmentation du risque en matière de harcèlement sexuel. L’atteinte d’un meilleur équilibre hommes-femmes aux différents types de postes et aux divers niveaux hiérarchiques serait donc un moyen de prévenir, dans une certaine mesure, le harcèlement sexuel. Bien sûr, dans certains domaines et corps d’emploi, le recrutement de femmes ou d’hommes est plus difficile. Dans ces contextes, on peut contribuer à prévenir le harcèlement en instaurant des pratiques qui favorisent le succès de tous, par exemple en donnant de la visibilité tant aux hommes qu’aux femmes, en diversifiant les critères de succès, en offrant de la formation sur l’influence des préjugés inconscients dans les processus d’évaluation, etc. Dans le même ordre d’idées, équilibrer le pouvoir au sein des organisations en soutenant la progression de la carrière des femmes et leur accès aux postes de direction favorise également des rapports plus égalitaires.

Tolérance zéro !

Dans certaines équipes, le harcèlement sexuel fait malheureusement partie du quotidien. En tant que patrons, collègues de travail ou subordonnés, le fait de ne pas intervenir contribue à maintenir le statu quo et à nourrir une culture de tolérance à l’égard de l’inconduite et du harcèlement sexuels. Si un cas de harcèlement a pu survenir, c’est que des comportements inacceptables ont été tolérés. Transmettre de l’information sur les politiques organisationnelles anti-harcèlement et offrir de la formation afin de faciliter l’identification, la gestion et la dénonciation des comportements inappropriés constituent des outils pour faire face à l’inconduite sexuelle. Cela permet aussi de renforcer la responsabilisation collective. Plus on sensibilise et plus on éduque les personnes en matière d’inconduite sexuelle, plus on crée des environnements de travail respectueux et sains.

Et si demain pouvait vraiment être différent?

Le mouvement #MoiAussi a déclenché une réflexion collective cruciale pour l’avenir de nos organisations et de nos sociétés. Toutefois, à l’instar de bien des mouvements, celui-ci n’est pas à l’abri de l’essoufflement. Afin de combattre le harcèlement et les violences à caractère sexuel, nous devons continuer à les dénoncer, favoriser des relations de travail saines et transformer immédiatement nos réflexions en actions concrètes et efficaces.


Pour en savoir plus

Berdahl, J., et Raver, J. L., « Sexual Harassment », dans Zedeck, S. (dir.), American Psychological Association handbook of industrial and organizational Psychology, vol. 3, 2011, p. 641-669.

Cortina, L. M., Rabelo, V. C., et Holland, K. J., « Beyond Blaming the Victim – Toward a More Progressive Understanding of Workplace Mistreatment », industrial and organizational Psychology, vol. 11, n° 1, mars 2018, p. 81-100.

Quick, J. C., et McFadyen, M. A., « Sexual Harassment  – Have We Made Any Progress? », Journal of occupational health Psychology, vol. 22, n° 3, juillet 2017, p. 286-298.