S’il peut être tentant d’embaucher quelqu’un qui ressemble au reste de l’équipe, les gestionnaires ont tout avantage à laisser place à la diversité au sein de leur organisation, ce qui signifie qu’il faut changer certains réflexes en matière de recrutement. Explications. 

Pendant longtemps, les écoles de gestion ont fait la promotion de cultures d’entreprise fortes, considérant les équipes homogènes comme un gage de performance, comme le rappelle Tania Saba, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance à cette même université. «La raison est simple : les équipes qui se ressemblent sont plus faciles à gérer, parce qu’elles ont le même profil, les mêmes références, le même langage», résume-t-elle. Toutefois, les études montrent qu’au fur et à mesure que le monde se complexifie, les entreprises qui comptent sur des équipes diversifiées affichent une meilleure rentabilité.

En effet, c’est dans le choc des idées que naît l’innovation, selon Hubert M. Makwanda, CRHA, président et fondateur de Concilium Capital Humain. «Pour moi, la créativité est alimentée par la rencontre des contraires, mais les êtres humains ont tendance à chercher leur clone. C’est un réflexe naturel; or c’est un piège», prévient-il. Ce faisant, les organisations freinent le développement de l’intelligence collective, qui se nourrit de la somme des expériences de chacun. Les recherches montrent aussi que les entreprises les plus diversifiées ont plus de facilité que les autres à conquérir de nouvelles parts de marché et sont plus rentables.

Penser autrement

«C’est naturel d’avoir le réflexe d’embaucher une personne qui nous ressemble, puisque c’est rassurant», souligne Hubert M. Makwanda. Il s’agit d’un mécanisme normal, surtout dans un contexte où il faut pourvoir rapidement un poste. En fait, on répertorie plus de 150 biais cognitifs, dont plusieurs peuvent interférer lors de la sélection de candidats, comme l’explique Tania Saba : «Le cerveau ne peut traiter qu’une certaine portion de l’information; c’est pourquoi il a besoin de raccourcis mentaux. Aller vers ce qu’on a déjà expérimenté parce que cela a bien fonctionné en fait partie.»

C’est pourquoi il faut se méfier des processus qui se basent sur une impression, et c’est souvent ce que sous-entend la culture fit (adéquation), selon Fran Delhoume, analyste en équité, diversité et inclusion (EDI) à URelles, un cabinet-conseil qui se spécialise dans ces sujets. «Le danger, c’est que la culture de l’entreprise, c’est très intangible, dit-elle. Parfois, on n’a même pas fait l’exercice de la définir. Dans ce cas, comment évalue-t-on le fit? On risque plutôt de sélectionner une personne parce qu’elle nous fait vibrer et non parce qu’elle correspond aux valeurs portées par l’organisation.»

Pour éviter ce piège, la conseillère croit qu’il faut d’abord se questionner sur ce qui compose sa culture. «Cela s’ancre dans différents éléments, comme la façon dont les décisions se prennent, le niveau d’autonomie, le style de management, l’équilibre entre le travail et la vie personnelle…» Pour savoir si le candidat fonctionnera bien dans ce cadre, Fran Delhoume suggère qu’on lui soumette des mises en situation en entrevue. «Avec ses réponses, on pourra évaluer si la personne a montré de l’initiative ou le sens du travail d’équipe. On peut ensuite voir si les valeurs de l’entreprise sont portées par ses choix», fait-elle valoir.

Pour éviter les biais inconscients, la spécialiste des initiatives en EDI propose aussi aux gestionnaires de mesurer des critères objectifs liés au travail plutôt que de focaliser sur des traits de personnalité : «Oui, j’aimerais travailler avec quelqu’un qui est souriant, mais si je cherche une personne pour trier des courriels et répondre au téléphone de façon courtoise, est-ce nécessaire?» Avec ce genre d’a priori, il est facile d’exclure des candidats neurodivergents – comme les personnes autistes – qui pourraient être parfaits pour le poste.

Éviter la subjectivité

Faire participer plusieurs personnes au processus de recrutement, avec un comité de sélection diversifié, constitue aussi un rempart contre les préjugés. «Cela permet d’avoir différents sons de cloche, de s’assurer que rien ne tombe dans son angle mort, estime Hubert M. Makwanda. Par exemple, au Québec, dès que quelqu’un parle doucement et regarde par terre, on ne se sent pas en confiance. Pourtant, c’est souvent un signe de respect pour l’autorité ailleurs dans le monde.»

De plus, il est possible d’élargir son bassin de recrutement, que ce soit en allant directement dans des écoles situées en territoire autochtone, en créant des ponts avec des associations ou des réseaux de femmes, etc. «Plusieurs organisations ont aussi des pratiques très intéressantes, par exemple en utilisant des CV anonymisés», mentionne Tania Saba. L’utilisation de l’intelligence artificielle, qui propose des algorithmes de sélection des candidatures, se veut une autre option prometteuse, à condition bien sûr que ceux-ci soient programmés sans biais. Autant de pistes à explorer pour rendre le recrutement plus objectif et éviter la discrimination.