Article publié dans l'édition hiver 2017 de Gestion

Les questions de compétitivité sont d’une grande acuité dans notre environnement mondial incertain. Pourtant, nous vivons le début de la quatrième révolution industrielle. C’est une époque formidable pour qui sait la saisir et accroître la compétitivité de son organisation.

Les avantages comparatifs du Québec sont nombreux et lui permettent d’être un partenaire fort au sein des chaînes de valeur mondiales. Plusieurs entreprises québécoises collaborent de façon intensive avec des partenaires américains, européens et canadiens afin de concevoir et de produire des biens et des services de premier rang à l’échelle mondiale. Le Québec doit néanmoins tenir compte des grands changements en ce début de XXIe siècle pour renforcer sa compétitivité sur la scène internationale.

À l’heure actuelle, la mondialisation est dans une phase accélérée par rapport à celle de la deuxième moitié du XXe siècle. Le centre de gravité s’est déplacé vers l’Asie. Ce changement est sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Pourtant, il serait simpliste de conclure que la mondialisation mène à l’homogénéisation du monde et qu’ainsi les stratégies des entreprises seront les mêmes sur toute la planète. Au contraire, la mondialisation fait en sorte que le monde devient de plus en plus complexe. Depuis l’ouvrage The World Is Flat de Thomas L. Friedman, paru en 2005, la recherche en sciences économiques et en sciences de la gestion s’est attelée à démontrer la grande complexité – sans parler des incertitudes – de ce nouveau monde.

Ainsi, dans un environnement mondial de plus en plus complexe et de plus en plus risqué, comment les États peuvent-ils acquérir de nouveaux avantages compétitifs ? Et comment les entreprises peuvent-elles gagner en compétitivité ?

Mondialisation, risques et possibilités

Où en sommes-nous depuis la crise financière de 2008 ? En ce qui concerne le classement des pays selon la croissance moyenne du PIB en période de sortie de crise (2009-2013) par rapport aux cinq années qui ont précédé la crise (2003-2007), il est intéressant de noter que parmi les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), seules la Chine et l’Inde font partie des 20 premiers pays qui ont connu la plus forte croissance. L’Inde était le quinzième pays avant la crise en matière de croissance moyenne du PIB et est restée quinzième après la crise. La Chine était septième avant la crise et a amélioré sa position en devenant sixième après la crise.

croissance moyenne des pib

Croissance moyenne des PIB - Cinq ans avant et après la crise de 2008

Source : World Development Indicators (2014) et calculs des auteurs.

Seuls sept pays émergents figuraient parmi les 20 meilleurs pays cinq ans avant la crise : l’Éthiopie, le Turkménistan, la Mongolie, la Chine, le Bhoutan, l’Inde et le Nigeria. Il est aussi très intéressant de noter que parmi ces sept pays, à part l’Inde et le Nigeria, tous les autres ont même amélioré leur classement en période de sortie de crise par rapport aux cinq années qui ont précédé la crise. Cette dernière information est un indicateur supplémentaire quant à la résilience de leur croissance. Nous pouvons en outre observer que le Brésil est passé de la 106e position avant la crise à la 94e position après celle-ci. Quant à la Russie, elle est passée de la 29e à la 119e position. Enfin, à part le Royaume-Uni, qui a glissé de la 125e à la 136e position avec une moyenne de croissance de 3,31 % avant la crise à -0,09 % après la crise, les pays à hauts revenus sont souvent remontés dans le classement après la crise : le Canada est passé de la 134e à la 113eposition, les États-Unis de la 131e à la 116e position et la France de la 143e à la 134eposition.

Ainsi, lorsqu’on y regarde de plus près, la croissance mondiale est de plus en plus alimentée par des pays émergents comme la Chine et l’Inde, mais le développement des autres pays émergents est encore fragile. Le risque économique est encore très élevé de nos jours, tout comme le risque politique qui est également au plus haut. En effet, avec la montée du populisme en Europe et ailleurs, il semble difficile d’être optimiste quant à notre environnement mondial et l’état de santé politique de la planète.

Mondialisation et avantages compétitifs des nations

Examinons désormais les degrés d’innovation dans les entreprises championnes en recherche et développement (R&D) dans le monde. Cela nous permettra deconstater quels sont les pays dont les infrastructures et la qualité des institutions ouvrent la voie à l’innovation au sein des entreprises. C’est important, car la quatrième révolution industrielle à laquelle nous assistons maintenant trouve sa source dans l’innovation technologique. Quels sont les pays qui sont les plus structurants pour leurs entreprises au cœur de cette révolution ? Les données sur l’innovation du tableau de bord sur les investissements en R&D industrielle de la Commission européenne, qui recense les investissements en R&D effectués par les 1 000 entreprises investissant le plus dans le monde, nous donnent quelques réponses (voir tableau, p. 71). On remarque ainsi, dans les graphiques suivants, d’une part que les États-Unis et le Japon sont les deux pays où les entreprises investissent le plus et sont en croissance et, d’autre part, que les investissements en Chine sont très soutenus et ont dépassé ceux effectués au Canada en 2008.

Les États-Unis sont en tête. Il est intéressant de constater que la Chine, Taiwan et la Corée du Sud comptent parmi les dix premiers pays où se trouvent les plus gros investisseurs en innovation. Les pays de tête font tous partie du G20, ce qui confirme la prémisse néoclassique selon laquelle les entreprises des pays développés sont celles qui cherchent le plus à innover. La qualité des institutions et les politiques industrielles des pays développés demeurent très probablement des atouts pour ces entreprises. Le Canada se trouve à la 22e position dans ce classement tandis que la Chine est à la sixième place, confirmant la transition de ce dernier pays vers une économie du I savoir en dépassant même des pays historiquement tournés vers l’innovation.

investissement RD

Source : Tableau de bord 2004-2013 sur les investissements en R&D industrielle de la Commission européenne

Afin de raffiner notre comparaison des pays où se trouvent les chefs de file en matière de R&D mondiale, il est intéressant de ramener le nombre d’entreprises présentes parmi les 1 000 meilleures au PIB du pays concerné. C’est l’objet du graphique page 71. Ici, les États-Unis accusent un grand recul par rapport au classement précédent et le Canada se trouve à la 30e position. La Chine se situe à la 27e position. Cela signifie qu’en matière de pourcentage du PIB, la Chine devance maintenant le Canada en nombre d’entreprises parmi les chefs de file de la R&D mondiale.

Le développement des marchés émergents et la quatrième révolution industrielle sont des occasions sans précédent en cette première partie du XXIesiècle. Néanmoins, le monde doit aussi faire face à des risques très élevés, notamment les risques politiques et les risques macroéconomiques. Dans ce contexte, les entreprises québécoises doivent continuer leur expansion à l’échelle internationale tout en ajustant leurs stratégies vers des pays qui offrent à la fois une stabilité institutionnelle et une capacité à profiter de la révolution numérique des processus d’affaires.

Dr HECtoR, le robot expert en affaires internationales

Devant les risques de plus en plus importants qui pèsent sur l’environnement mondial des affaires et en complément des activités de recherche de nombreux professeurs de HEC Montréal, le projet www.drhector.org a vu le jour. Dr HECtoR s’appuie sur une plateforme de calcul très performante fondée sur l’utilisation de la science des données pour l’analyse des affaires internationales (cette plateforme est également utilisée par Mondo international au Centre interuniversitaire en analyse des organisations.) Son objectif consiste à fournir de l’information pour l’analyse du contexte et des enjeux des affaires internationales tout en s’appuyant sur l’analyse des données massives et sur une approche basée exclusivement sur les faits. Dr HECtoR, c’est OK Google, Siri ou Cortana avec une expertise en affaires internationales !

Cependant, il est clair que la tâche est complexe. En effet, ce qui est vrai pour un pays n’est pas vrai pour une industrie. Par exemple, une entreprise peut choisir un pays pour son internationalisation et regretter très rapidement la faiblesse de la grappe industrielle dans le pays où elle s’implante, quand bien même tous les grands indicateurs étaient au vert. La mondialisation est synonyme de complexité. Il faut donc passer un peu plus de temps à faire ses devoirs et avoir un plan d’évaluation et de gestion des risques à l’international. Cela requiert des données, de l’analyse et des ressources. La bonne nouvelle : cela existe au Québec !

Nombre d'entreprises présentes en RD par pays en 2012 

Parmi les 1000 meilleures à l'échelle mondiale

nb d'entreprises presentes en Rd par pays

Sources : Tableau de bord 2004-2013 sur les investissements en RD industrielle de la Commission européenne, World Development Indicators 2013 et The World Factbook 2013 (Central Intelligence Agency, États-Unis).

Les trois éléments qu'il faut retenir

  1. Une forte présence des pays développés. Les États-Unis sont très bien placés et offrent une infrastructure forte aux entreprises innovantes. Le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France offrent également un environnement propice aux innovations.

  2. Les pays émergents sont encore loin. Seule la Chine réussit à se hisser en haut de classement, devant Taïwan et la Corée du Sud.

  3. Le Canada semble pouvoir mieux faire. Pas très loin derrière l’Australie, le Canada ne semble pas se trouver à la place qu’il devrait occuper si on tient compte de son poids au sein de l’économie mondiale.


Pour aller plus loin

  • Warin, T., et Hadengue, M., « Un monde en émergence : menaces et opportunités pour Québec inc. », dans L’Économie du Québec 2015 – Contexte et enjeux internationaux, Montréal, Presses internationales de Polytechnique, 2015, p. 25-58.
  • Friedman, T. L., The World Is Flat – A Brief History of the Twenty-First Century, New York, Farrar, Straus & Giroux, 2005, 488 p.
  • Ghamawat, P., « Why the World Isn’t Flat », Foreign Policy, n° 159, mars-avril 2007, p. 54-60.