Cet article résume la rencontre réalisée avec deux dirigeants chevronnés qui sont pleinement engagés dans le marketing du sport. Anthony Partipilo évoque son expérience de gestion avec le club de baseball, les Blue Jays de Toronto, tandis que Bobby Durbac possède une expérience de marketing avec une équipe professionnelle de soccer en Roumanie.

Il ressort de leurs propos que le marketing du sport implique d’établir un lien direct avec les fans actuels et potentiels et de rapprocher le monde du sport du monde des affaires. Pour cela, il faut concevoir des activités – notamment au moyen de la technologie – qui feront vivre aux fans une expérience de divertissement unique, en plus d’apporter des revenus supplémentaires au club et une visibilité accrue aux commanditaires. Ainsi, toute organisation sportive devrait placer les fans au centre de ses priorités et les inciter à interagir le plus possible avec le club.


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J’ai eu le plaisir de rencontrer deux dirigeants œuvrant dans des entreprises localisées en Roumanie et au Canada qui sont engagés directement dans la gestion et le marketing du sport. Voici une synthèse de leurs réflexions sur le marketing du sport.

andré richelieu : comment définissez-vous le marketing du sport ?

Anthony Partipilo : De manière concise, je dirais qu’il s’agit d’une approche intégrée pour nous connecter à nos partisans, les engager et les inspirer au travers de l’évolution de notre marque. En effet, une marque a une histoire, elle change avec le temps : c’est ce qui fait la spécificité du sport quand on le compare à d’autres produits et services.

Le marketing de marque implique d’établir un lien avec les fans actuels, mais aussi avec ceux qui ont déjà été fans et ceux qui pourraient le devenir. Il implique aussi de susciter l’engagement de ces fans actuels et potentiels en trouvant un message qui aura une résonance en eux. Il implique enfin de se rendre compte que, selon leurs profils respectifs, les fans ont différents besoins, cognitifs et affectifs, lorsqu’ils interagissent avec notre club.

Il importe de développer la loyauté des partisans à travers l’expérience vécue au contact de la marque : c’est ainsi que la connexion émotionnelle renforce la connexion cognitive.

Bobby Durbac : Le marketing du sport, c’est « les affaires pour le sport» et « le sport pour les affaires », au profit des organisations sportives, des commanditaires et des partisans. Il est important de rapprocher le monde des affaires de l’industrie du sport, car cela permet d’augmenter les revenus de l’équipe, d’attirer les fans, de trouver des commanditaires, etc. Cette partie représente 75 % du marketing du sport. Les 25 % restants consistent à informer les gestionnaires sur les bénéfices du marketing du sport de même que sur la nécessité de diversifier les opérations du club, notamment en ce qui a trait aux produits dérivés (merchandising).

André Richelieu : Pourquoi le marketing du sport est-il si pertinent aujourd’hui pour des organisations comme vous et votre organisation?

Anthony Partipilo : Le marketing du sport permet d’unir l’équipe qui travaille en dehors du terrain de jeu avec celle qui travaille pour et sur le terrain de baseball, et ce, autour d’une mission commune. Sans quoi il n’est pas possible de créer un produit gagnant de manière constante. Il faut trouver une façon de bâtir une marque solide même si l’équipe ne gagne pas tout le temps.

Sans le marketing du sport, il n’existerait pas de lien entre les fans et le club, lien qui nourrit le sentiment d’appartenance des fans à l’équipe. À cet égard, je salue le travail du défunt propriétaire des Yankees de New York, George Steinbrenner. Au-delà des chèques de paie qu’il signait pour ses joueurs, il amplifiait la passion des fans des Yankees pour leur équipe et les fans se reconnaissaient en lui.

En un mot, le marketing du sport a un rôle majeur à jouer en réconciliant la dimension des affaires et la dimension sportive de la marque d’un club.

Bobby Durbac : Le sport est un langage universel qui rejoint un vaste auditoire. Si on prend l’exemple de la commandite sportive, le message est transmis plus rapidement, plus largement et il vient nourrir le sentiment d’appartenance des fans au club, comparativement à d’autres industries. Par conséquent, le rendement des investissements pour la promotion dans le sport est potentiellement très bon. Si vous voyez le sport comme faisant partie du monde des affaires à part entière, vous pouvez espérer faire croître le club et nourrir les performances sur le terrain. Mais pour ce faire, vous avez besoin de personnes ayant une bonne feuille de route en affaires, ce qui fait cruellement défaut chez nous, en Europe de l’Est.

André Richelieu : Quels sont les outils ou les techniques que vous considérez comme des catalyseurs majeurs dans votre stratégie de marketing ?

Anthony Partipilo : Nous avons lancé plusieurs initiatives auprès des jeunes et des communautés défavorisées. Ainsi, nous organisons des cliniques de baseball à travers le Canada auxquelles participent d’anciennes gloires des Blue Jays. Par exemple, nous étions au Nouveau-Brunswick au début d’août 2012, et Roberto Alomar, un membre du Temple de la renommée du baseball, était sur les lieux. Cela nous permet de rejoindre des fans avec lesquels nous ne pourrions entrer en contact autrement.

Il y a également le programme Field of Dreams grâce auquel nous contribuons à améliorer ou à construire des installations de baseball dans des quartiers défavorisés, notamment dans la région de Toronto. En plus des infrastructures, nous mettons sur pied des ligues de baseball où les jeunes garçons et filles défavorisés peuvent s’amuser et éviter de faire des bêtises. Dans la même veine, nous commanditons les activités de Baseball Canada pour développer le sport au pays.

Je mentionnerais finalement notre Caravane d’hiver, qui transporte les joueurs des Blue Jays aux quatre coins du pays et qui permet d’établir un contact avec nos fans. En 2013, nous sommes allés au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta.

Bobby Durbac : À ce jour, je dirais que notre stratégie de marketing gravite surtout autour des droits de télévision et des revenus de la publicité. Cela dépend de la créativité de chaque gestionnaire et de sa capacité de concevoir des activités qui apporteront des revenus supplémentaires au club, mais aussi une plus grande visibilité aux commanditaires et une valeur ajoutée aux fans.

Cela dit, les ressources et les compétences ne sont pas les mêmes partout, comme on le voit dans le soccer européen. Les écarts sont énormes entre les quatre plus grands championnats (Allemagne, Angleterre, Espagne et Italie) et le reste de l’Europe, mais aussi entre les meilleurs clubs européens et leurs propres compatriotes nationaux. L’argent attire l’argent et il reste le nerf de la guerre dans le sport, qui plus est lorsqu’on souhaite faire un marketing sportif efficace.

André Richelieu : Y a-t-il des tendances particulières dans l’industrie du sport que les gestionnaires d’aujourd’hui et de demain doivent saisir ?

Anthony Partipilo : Je vois quatre tendances majeures, en lien avec la technologie mobile, le social, les données et les stades.

  • La technologie mobile comprend les tablettes, les téléphones intelligents, Internet sans fil, etc. Ces outils nous permettent de brancher notre marque sur nos fans, un fan à la fois. Et c’est la première fois de l’histoire que nous avons cette possibilité. Les fans sont alors aux commandes de leur expérience sportive et de divertissement et de l’accès à notre marque. La technologie mobile est une tendance majeure dans l’industrie du sport et elle est là pour rester. Son succès dépendra de la façon dont nous l’utiliserons.
  • Le social fait référence aux applications sociales, telles que Twitter et Facebook, ainsi qu’aux interactions que les fans ont avec les joueurs. Les communications d’aujourd’hui permettent de créer des interactions sociales uniques et de renforcer cette activité sociale qu’est le sport.
  • Les données concernent la gestion de la relation client et le programme de fidélité que nous comptons lancer en 2013 et 2014, respectivement. Il n’y a pas une seule équipe du baseball majeur qui peut se vanter d’avoir développé ces deux outils adéquatement. Or, il est primordial de recueillir les données à chaque point de contact du fan avec l’équipe et de récompenser le partisan pour sa fidélité. Aujourd’hui, la technologie nous permet de faire des choses qui étaient impossibles auparavant.
  • Les stades seront de plus en plus modernes, ils fourniront de meilleurs services en offrant des sièges confortables, des menus de restauration sophistiqués, des magasins, des suites thématiques, des musées, etc. Il existe à présent de multiples façons de faire participer et de séduire le partisan durant un match, au-delà de ce qui se passe sur le terrain, et de lui permettre de vivre une expérience de divertissement unique à travers différents points de contact.

Bobby Durbac : Je crois fermement que toute organisation sportive devrait placer les fans au centre de ses priorités et les inciter à interagir avec le club le plus souvent possible : venir aux matchs, discuter en ligne avec les joueurs, acheter les produits dérivés, etc. Les équipes doivent diversifier leurs activités pour les fans, introduire de nouveaux produits, développer les communautés de fans dans le monde physique et virtuel, etc., afin de maximiser la valeur ajoutée pour les commanditaires, les fans et le club. Il est essentiel de faire en sorte que les fans vivent et respirent au rythme de l’équipe.


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André Richelieu : De quelle façon votre organisation parvient-elle à garder un équilibre entre sa volonté d’être une marque et le fait d’être une équipe sportive ?

Anthony Partipilo : Nous y parvenons en adoptant une philosophie synergique entre les affaires commerciales et l’équipe sur le terrain. Tous les membres de l’organisation, du président aux joueurs, en passant par le directeur général, le gérant et le service du marketing, doivent parler le même langage et envoyer le même message aux fans. Même si nous n’avons pas gagné la Série mondiale depuis 1993 et avons été absents des séries de fin de saison depuis lors, les fans croient en nous.

Cela nous donne une période de grâce de quelques années encore avant de livrer la promesse d’une participation à la Série de championnat à nos partisans. Nos fans croient en nous, et cela est dû à la cohérence de notre message, la marque forte que les Blue Jays de Toronto représentent et les interactions que nous avons sans cesse avec nos fans, les événements que nous organisons au stade et à l’extérieur, pour les plus petits (Junior Jays Saturdays) comme pour les plus grands (Summer Friday Fan Festival).

Bobby Durbac : Il faut faire comme David Beckham ! Un atout important est l’histoire du club. Si vous avez une grande histoire et que vos performances sur le terrain suivent, vous avez la possibilité de miser commercialement sur votre marque. Mais attention : certaines équipes deviennent obsédées par l’aspect commercial, en grande partie afin de compenser le manque de succès sportif et de continuer à attirer des fans, des commanditaires, les chaînes de télévision, etc.

À mes yeux, il faut constamment innover, ne pas se reposer sur ses lauriers et créer de la valeur pour les fans et les commanditaires.

Propos recueillis les 27 juin et 16 août 2012 et traduits par André Richelieu.