Article publié dans l'édition été 2018 de Gestion

Les entrepreneurs sont partout, y compris dans les plus petites communautés, souvent loin des grands centres et des universités. La formation à distance peut rendre accessible le soutien aux entrepreneurs du monde entier, notamment ceux des pays émergents.

Entreprendre, c’est avoir une idée et la mettre en œuvre. C’est aussi percevoir un besoin, chercher des solutions aux obstacles et aux défis qui se dressent devant soi, s’entourer de personnes compétentes afin de combler les éventuels manques, voire d’ajouter à la valeur de l’ensemble, puis aboutir sur quelque chose qui aura le potentiel de changer le monde, ne serait-ce qu’un peu : une entreprise, une organisation, un projet.

Du soutien aux entrepreneurs des pays émergents

D’une part, les pays émergents connaissent un décollage économique accéléré. Ce marché d’un milliard d’habitants, au sein duquel on compte un nombre considérable de pays francophones, a de réels besoins en matière d’éducation et de formation aux jeunes adultes. D’autre part, les formations en entrepreneuriat jouissent actuellement d’un fort engouement puisque la majorité des gouvernements reconnaissent qu’une partie de la richesse collective provient de la création d’entreprises et du soutien accordé aux entrepreneurs. Enfin, les avancées en matière de technologie et de technopédagogie offrent désormais la possibilité de s’initier à grande échelle à l’entrepreneuriat, d’acquérir de solides bases en gestion et… de rêver !

Une équation pas si simple à résoudre

Comment bien former et soutenir des entrepreneurs de divers pays de la francophonie ? D’aucuns diraient ceci : « un savoir + une technologie + un marché = un cours à distance en entrepreneuriat! » mais on devine que les choses ne sont pas aussi simples. En effet, enseigner l’entrepreneuriat et enseigner la gestion relève de deux logiques distinctes1. L’apprentissage de l’entrepreneuriat se situe à la jonction de deux modes de pensée à la fois analytiques et créatifs. Il requiert certes des savoirs mais également des savoir-être et des savoir-faire. Muni des incontournables notions conceptuelles qu’il doit inclure dans son coffre à outils théorique, l’étudiant-entrepreneur doit également puiser à même ses ressources (savoir-faire) et mobiliser les compétences (savoir-être) qu’il a acquises au fil de sa formation. En somme, les cours doivent amener à réfléchir, à définir puis à concevoir ex nihilo un projet entrepreneurial et, surtout, à le mettre en œuvre.

La variable technologique a son importance dans l’équation. Certes, l’arrivée des formations en ligne ouvertes à tous (FLOT) a suscité un enthousiasme sans pareil dans le domaine de l’éducation postsecondaire. Mais au-delà de l’attrait de la nouveauté, quelle est la véritable portée d’un tel vecteur éducatif ? Les recherches, encore trop peu nombreuses à propos de ce mode d’enseignement qui ne compte qu’une décennie d’existence, laissent ainsi entrevoir un taux d’achèvement sous la barre des 10 % seulement. Certaines études soulignent que les FLOT tendent à favoriser les étudiants qui ont un degré élevé de littératie numérique, laissant ainsi pour compte les étudiants défavorisés sur le plan socio-économique. Les défis de l’enseignement à distance sont manifestes.

À ces deux variables, il faut ajouter celle des marchés auxquels se destinent ces programmes à distance. Pour les pays émergents de la francophonie, les choses ne sont jamais évidentes en raison de leur situation politique, de la précarité des conditions de vie pour l’immense majorité de la population et, dans le cas qui nous occupe, de leurs infrastructures technologiques et communicationnelles, caractérisées notamment par de faibles taux de pénétration d’internet et par des bandes passantes de très faible puissance.

Un modèle… pour ici comme pour ailleurs ?

Le Québec, le Canada et les pays développés ont eux aussi tout à gagner à promouvoir l’entrepreneuriat à l’intérieur de leurs frontières compte tenu de la place occupée par les petites et moyennes entreprises (PME) dans leurs structures économiques. De fait, selon les plus récentes données compilées par Statistique Canada, plus de 99 % des entreprises canadiennes (sur 1,17 million d’entreprises avec employés recensées au pays) sont des PME. Ces mêmes PME – comptant de 1 à 499 employés – regroupent 70 % des emplois du secteur privé au Canada. C’est tout dire de leur importance2.

Les défis qui se posent aux pays développés portent davantage sur l’intérêt envers l’entrepreneuriat, sur le vieillissement des entrepreneurs et sur la reprise des PME. Autres contextes, autres défis, que le modèle élaboré pour le projet « Jeunes leaders de la francophonie » peut contribuer à surmonter. Car si l’élément technologique ne constitue pas, a priori, un obstacle à l’apprentissage de l’entrepreneuriat au Québec et au Canada, la formation en ligne, l’accompagnement sur mesure et le suivi déployés au bénéfice des entrepreneurs en herbe des pays émergents pourront devenir des facteurs clés de succès qui pourront aussi être appliqués chez nous.


Que faire ?

Pour aller plus loin

Normandin, F., « Initiative Jeunes leaders de la francophonie – Favoriser l’essor des pays émergents », HEC Montréal Mag, vol. 16, n° 2, printemps 2018, p. 20-21.

Barès, F., et Cova, C. (coord.), « Dossier – L’entrepreneuriat peut-il sauver le monde ? », Gestion, vol. 42, n° 3, automne 2017, p. 40-84,

Hamori, M., « Can MOOCs solve your training problem? », Harvard Business Review, janvier février 2018, p. 71-76.

L’équation initiale ainsi décortiquée démontre toute la complexité du défi de la formation et du développement de l’entrepreneuriat à distance, surtout dans les pays émergents. Mais ce n’est pas une mission impossible à accomplir : une formule hybride originale, élaborée conjointement par trois partenaires, permettra d’atteindre cet objectif.

« Jeunes leaders de la francophonie » est le fruit du travail et de la collaboration de HEC Montréal, d’Affaires mondiales Canada, de l’agence universitaire de la francophonie et de l’Université de Moncton. Il vise à encourager et à développer l’entrepreneuriat dans quatre pays d’expression française : le Bénin, le Burkina Faso, le Sénégal et Haïti.

Ce programme en trois phases a pour objectif de former les participants, notamment les femmes, aux rudiments de l’entrepreneuriat, de les accompagner dans l’élaboration et la réalisation de leur projet entrepreneurial et de lancer à terme des entreprises viables et créatrices d’emplois.

HEC Montréal est responsable de la première phase, qui a pour but de prodiguer, à compter de janvier 2019, une formation de base en entrepreneuriat à 10 000 personnes au moyen de 10 cours en ligne. L’Université de Moncton prendra ensuite le relais lors de la deuxième phase, alors que 1100 participants, sélectionnés au terme de l’étape précédente, auront l’occasion de peaufiner leurs modèles d’affaires et d’approfondir leurs connaissances sur des thématiques spécifiques à leur projet entrepreneurial. La troisième phase, toujours sous la gouverne de l’Université de Moncton, donnera la chance à 250 entrepreneurs issus de la phase 2 de bénéficier de l’appui d’un incubateur d’entreprises et de l’expertise de mentors ou de coachs d’ici ou de là-bas.

À terme, c’est-à-dire cinq ans après le lancement du projet, on espère ainsi voir aboutir environ 250 projets entrepreneuriaux qui pourraient permettre de créer ou de soutenir 2 000 emplois directs et indirects dans ces pays.

Un mariage de technologie et de soutien personnalisé

Au-delà d’une formation qui alterne entre l’apprentissage en ligne et l’apprentissage présentiel, l’accompagnement devient de plus en plus personnalisé à mesure que les projets des étudiants avancent. Les experts en contenu, formateurs, mentors et coachs canadiens et locaux, se consacrent au cheminement des participants. Une démarche structurée facilite donc progressivement l’élaboration des modèles d’affaires en s’appuyant sur les connaissances entrepreneuriales et financières acquises par les étudiants.

Bien entendu, cette formule s’appuie sur une indispensable architecture technologique, mais c’est surtout grâce à la présence d’une communauté forte composée d’enseignants disponibles que doivent s’opérer les changements recherchés auprès de participants persévérants et résilients. Ces deux facteurs clés du succès de l’éducation à distance sont absolument nécessaires pour que l’entrepreneuriat puisse essaimer dans ces régions à très fort potentiel. Le fondement même de l’entrepreneuriat n’est-il pas justement de lancer des projets dont les probabilités de succès sont incertaines mais dont les retombées sociales, écologiques et économiques peuvent contribuer à l’amélioration de nos sociétés ?


Notes

1- Barès, F., et Filion, L.-J., « Récit d’un pèlerinage pédagogique en entrepreneuriat », Entreprendre & Innover, vol. 2, n° 33, 2017, p. 66-71.

2- Principales statistiques relatives aux petites entreprises, Statistique Canada, juin 2016.