Article publié dans l'édition Printemps 2014 de Gestion

Le développement d’une entreprise résulte de sa capacité de recruter puis de mobiliser les compétences nécessaires.

Or, de nombreuses entreprises se caractérisent par des besoins spécifiques de compétences en lien, notamment, avec des phénomènes de saisonnalité de leurs activités (les domaines de l’agriculture, de l’agroalimentaire, du tourisme, du nautisme, etc.), de taille de structure (la présence majoritaire de très petites entreprises et de petites et moyennes entreprises dont les besoins de compétences sont partiels), de demandes particulières et ponctuelles de leurs clients.

Nombre d’entreprises butent aujourd’hui sur la difficulté à répondre à ces besoins qui exigent une forte flexibilité de leur part. Cela les amène à devoir combler des besoins de compétences ponctuels pouvant s’inscrire dans un temps limité (quelques mois par an, par exemple), ou dans un temps hebdomadaire réduit mais dans la durée (besoin de compétences deux jours par semaine tout au long de l’année, par exemple). Ces besoins limités ou fragmentés de compétences spécifiques interrogent les formes d’emplois en vigueur dans les entreprises.


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En effet, les formes standards de contrat à durée indéterminée à temps plein ne peuvent répondre à ces besoins spécifiques des entreprises. Les formes plus flexibles de gestion de l’emploi comme l’intérim, le temps partiel ou les contrats à durée déterminée restent associées à la précarité, voire à la paupérisation des salariés et ne répondent pas à leur besoin de sécurité. Ces constats engendrent des difficultés de recrutement et des situations de pénurie de compétences dans certaines entreprises, pouvant mettre en péril leurs projets et leur pérennité avec potentiellement des conséquences sur leur territoire d’implantation.

Le besoin d’innovation en matière de gestion des emplois apparaît nécessaire pour contrer ces risques de pénurie. Mais comment garantir la satisfaction conjointe du besoin de compétences à temps partiel ou ponctuel des entreprises et du besoin de sécurité des salariés ?

Le groupement d’employeurs semble une innovation utile en matière d’emploi pouvant satisfaire ces besoins conjoints souvent perçus comme contradictoires1. Institué en France par la loi du 25 janvier 1985 pour permettre aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux petites et moyennes industries (PMI) d’un même territoire de se regrouper afin d’employer une main-d’œuvre qu’elles n’auraient pas les moyens (budget et charge de travail) de recruter seules, le groupement d’employeurs est la résultante d’une configuration interorganisationnelle spécifique.

La mutualisation des ressources humaines leur permet de disposer de compétences que chacune des parties prenantes prise individuellement ne pourrait pas employer à temps complet, notamment pour des raisons de coût ou de saisonnalité de leurs activités2. Cette relation d’emploi tripartite – entreprises d’un même territoire, salariés, groupement d’employeurs – permet de concilier des exigences contradictoires liées à l’impact de l’évolution de l’environnement (économique, technologique, social, etc.) sur le besoin de flexibilité de l’entreprise et sur celui d’une stabilité et d’une sécurité relatives du salarié.

Ainsi, le groupement d’employeurs permet de transformer, à travers une mutualisation de la gestion de l’emploi, des besoins occasionnels ou à temps partiel en contrat à durée indéterminée à plein temps3. Les entreprises membres du groupement peuvent résulter d’un même secteur (groupement d’employeurs agricole, groupement d’employeurs monosectoriel) ou de plusieurs secteurs d’activité privés (groupement d’employeurs multisectoriel) ou associa- tifs (groupement d’employeurs associatif), et partagent un même besoin de compétences à temps partiel ou un même objectif (groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification)4.

Le salarié à temps partagé, employé par le groupement d’employeurs, dispose d’un seul contrat de travail (unicité de contrat et de salaire). Son employeur est le groupement d’employeurs (unicité d’employeur) et il est mis à disposition de deux ou plusieurs entreprises adhérentes du groupement d’employeurs. Sa rémunération est déterminée, au moment de la signature du contrat, avec le groupement d’employeurs. Celui-ci aura au préalable discuté de la rémunération du salarié avec chacune des entreprises d’accueil.

Ses niveaux de salaires pourront être différents dans les deux entreprises selon les missions et le temps de travail demandés par chacune. Les augmentations de salaires seront négociées directement entre le salarié et le groupement d’employeurs. Cette rémunération, établie lors du contrat de travail et évoluant dans le temps, garantit ainsi le pouvoir d’achat du salarié et répond à son besoin de sécurité.

L’analyse des emplois existants montre que tous les métiers peuvent être exercés dans le cadre du temps partagé5. Cependant, le métier de responsable des ressources humaines nous semble particulièrement innovant et important pour le développement des entreprises et de leur territoire. Pourtant, il est constaté que le temps partagé en général et le métier de responsable des ressources humaines à temps partagé en particulier sont peu développés dans les entreprises. Les travaux scientifiques sur cette forme d’emploi sont rares tant en France qu’à l’étranger. Les statistiques nationales sur les emplois à temps partagé en général, et sur les responsables des ressources humaines à temps partagé en particulier, dans le cadre de groupements d’employeurs sont inexistantes.

Ainsi, malgré la structuration de Centres de ressources des groupements d’employeurs dans certaines régions françaises (Bretagne, Poitou-Charentes, Pays de Loire, etc.) et les efforts faits en matière de communication, la méconnaissance de cette forme d’emploi semble encore grande aujourd’hui, freinant d’autant son développement au sein des territoires.

En décembre 1999, le directeur des ressources humaines Jean-Yves Banchereau s’interrogeait déjà sur l’avenir du métier de responsable des ressources humaines à temps partagé. Quinze ans plus tard, cette question reste d’actualité et conduit à recenser les avantages et les freins au développement de cette forme d’emploi. Sur la base d’une littérature rare et d’une étude qualitative envisagée dans la perspective de la méthode prospective métier6 avec 28 entretiens menés auprès d’acteurs-experts (voir l’encadré 1), l’objectif de cet article est de mettre en avant les enjeux et les avantages de cette forme d’emploi ainsi que de repérer les freins à son développement afin de faire des recommandations pour accroître sa présence dans les organisations.

Les enjeux et les avantages du métier de responsable des ressources humaines à temps partagé

Les enjeux et les avantages du métier de responsable des ressources humaines à temps partagé touchent aussi bien les entreprises que les salariés concernés par cette fonction.

Enjeux et avantages pour l’entreprise

Intégration et structuration de la fonction ressources humaines dans les petites et moyennes entreprises.

Le métier de responsable des ressources humaines à temps partagé permet l’intégration de la fonction ressources humaines dans les entreprises de taille réduite et répond ainsi au besoin de structuration de la gestion des ressources humaines dans les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME)7. De nombreuses entreprises, en effet, expliquent l’absence de cette fonction ressources humaines en leur sein par leur insuffisance financière ou l’inexistence d’un besoin de compétences à temps plein. Le temps partagé permet de dépasser ces contraintes et de contribuer à la création de valeur ajoutée dans les entreprises par une maîtrise des contraintes diverses liées à la gestion des individus (notamment la présence d’un droit du travail exigeant et mouvant), par le développement de la gestion des emplois et des compétences (la détermination des besoins – les fiches de postes – et des compétences disponibles – l’évaluation), par le développement de la formation, de la rémunération, de la santé et de la sécurité du travail.

Cette intégration et cette structuration paraissent d’autant plus importantes aujourd’hui que l’évolution de l’environnement organisationnel (quelle que soit la taille des entre- prises) rend le besoin d’une fonction ressources humaines de plus en plus pressant. Des contraintes juridiques toujours plus nombreuses et complexes en France amènent les dirigeants à ne plus pouvoir répondre à ce besoin sans une compétence spécifique. Les environnements économique et technologique instables les conduisent à se concentrer sur les aspects techniques, financiers et commerciaux, ce qui leur laisse peu de temps pour répondre aux attentes des salariés.

Cette instabilité des environnements oblige à valoriser la fonction ressources humaines dans les organisations. Les défis de compétitivité, de productivité et de flexibilité qui résultent de la limitation de la croissance économique, de l’accroissement de la concurrence, de l’évolution technologique et de l’exigence des clients font de la compétence, de la motivation et de la fidélisation des salariés un avantage concurrentiel indéniable pour l’entreprise, que seules la présence et la structuration de la fonction ressources humaines, en apportant une réponse aux attentes des salariés, peuvent contribuer à construire.

Innovation en matière de recrutement et fidélisation des salariés sur un territoire.

Le responsable des ressources humaines à temps partagé apporte, en raison de son statut, un regard nouveau sur les formes d’emplois et le « champ des possibles » en matière de recrutement : il peut donner une impulsion au recours à cette forme d’emploi dans d’autres métiers que le sien. Cette ouverture lui permet de recourir à des compétences spécifiques à temps partiel et renforce ainsi les compétences collectives des entreprises dans lesquelles il exerce ses fonctions.

Ces compétences obtenues dans le cadre d’un groupement d’employeurs assurent un contrat à durée indéterminée à temps plein aux salariés recrutés à temps partagé et contribuent ainsi à raffermir les parcours professionnels des personnes et à améliorer la gestion territoriale des emplois et des compétences. Dans des territoires parfois peu attrayants, le temps partagé peut aider à retenir de jeunes diplômés susceptibles d’être tentés de rejoindre de plus grosses structures dans les grands centres urbains. La qualité de vie offerte sur des territoires plus petits, associée à la sécurité d’emploi, est en effet un argument de plus en plus convaincant pour les salariés.

Le développement de la « flexisécurité ».

Au moment où l’instabilité économique est présente dans tous les esprits, aussi bien du côté des entreprises que du côté des salariés, la frilosité des employeurs peut les conduire à privilégier le recours à des contrats précaires, au détriment des contrats à durée indéterminée : recruter un responsable des ressources humaines à temps plein, à l’interne et en contrat à durée indéterminée, est aujourd’hui une charge trop lourde pour nombre d’entreprises. Et ce, alors même que les candidats à cet emploi, comme à d’autres emplois, sont soucieux de trouver un emploi stable.

Des difficultés de recrutement peuvent dès lors apparaître, et la solution du temps partagé semble pouvoir contrer ces difficultés. En ce sens, recruter un responsable à temps partagé semble répondre parfaitement à cette double exigence de flexibilité et de sécurité. Cela permet, comme le souligne un responsable d’un groupement d’employeurs, de « pallier le manque de visibilité et de répondre à un besoin à court terme, mais en disposant de compétences rares dans la durée » (I68). « C’est permettre aux entreprises d’avoir une ressource immédiate, tout en fidélisant des compétences », affirme encore cette responsable des ressources humaines à temps partagé (I8).

Ainsi, le fait d’offrir un contrat à durée indéterminée accroît la fidélisation des salariés et répond au besoin de flexibilité des entreprises quant à des compétences ponctuelles, comme celles liées aux ressources humaines. Comparativement aux autres formes d’emplois traditionnellement associées à ce besoin de flexibilité (comme l’intérim ou le contrat à durée déterminée), le temps partagé améliore la maîtrise des coûts rattachés au travail, garantit une simplification administrative (car le groupement d’employeurs gère le contrat du salarié mis à disposition) et offre une vision à long terme au salarié, qui, en retour, renforce son engagement à l’égard de l’entreprise.

La création de valeur par l’accès à des compétences « extérieures » mutualisées et la mise en réseau.

Le temps partagé permet aussi de recourir à des spécialistes des ressources humaines dont l’expertise est nécessaire ponctuellement, pendant une durée déterminée ou indéterminée. Il permet à l’entreprise de disposer d’une personne compétente et qualifiée dans ses locaux, à l’interne, en fonction de son besoin spécifique, lié souvent à la taille de la structure, mais de façon pérenne. Parce que le responsable des ressources humaines à temps partagé ne se trouve pas tous les jours dans la même entreprise, certains estiment que la prise de recul indispensable à l’exercice de ce métier est plus aisée et, de ce fait, que la création de valeur de la fonction est immédiate.

Tout en connaissant l’entreprise, ce responsable garde en quelque sorte une vision extérieure, source d’« une certaine objectivité ». « Il a un regard neuf sur le fonctionne- ment global et spécifique de l’entreprise » (I9). Finalement, il « est reconnu comme l’apporteur d’idées, la boîte à idées » (I1). L’innovation en matière de ressources humaines semble plus facile et rapide du fait de la distanciation que permet le changement imposé par le temps partagé.

Au-delà de cette création de valeur liée à l’innovation sociale facilitée, ce responsable à temps partagé crée de la valeur par son regard neuf, son écoute et sa disponibilité. Il devient en quelque sorte la « bouffée d’air frais » (I9) pour les salariés au sein des différentes structures dans lesquelles il intervient. Venant de l’extérieur, il porte un regard différent sur l’organisation et les pratiques de management. Contrairement à un responsable à temps plein, son positionnement distancié lui permet de comparer les modes de fonctionnement, d’organisation et de management et de les faire évoluer de manière positive.

Cette analyse comparée entraîne une mutualisation et une mise en réseau, sources d’une plus grande productivité dans l’exercice de la fonction ressources humaines. Ainsi, le temps partagé serait « un pont entre les entreprises ». Pour les PME « qui n’ont pas forcément beaucoup de relations, qui ne font pas partie d’associations, de groupes de travail ou de clubs, c’est aussi la faculté d’entrer dans un réseau, de discuter avec d’autres chefs d’entreprise, des salariés. C’est enrichissant pour eux aussi » (I10). Les outils mis en place dans une organisation faisant appel à un responsable des ressources humaines à temps partagé pourront être utilisés dans les autres entreprises.

Cette mutualisation des outils s’accompagne d’une mutualisation des informations (évolution du droit social, nouvelles contraintes, etc.). Elles engendrent un gain de temps certain pour toutes les entre- prises qui en bénéficient. Chacune d’elles profitera en effet de compétences nouvelles, de procédures et d’outils mutualisés. Si cette mutualisation peut être remise en question du point de vue de la confidentialité – point sur lequel nous reviendrons lorsqu’il sera question des freins au développement de ce métier –, ce partage peut aussi être considéré comme une source d’innovation et de diversité dans les entreprises. Une telle solidarité entre les entreprises, soit une réponse conjointe, d’une part, à leurs besoins de flexibilité et d’innovation et, d’autre part, au besoin de sécurité du salarié, est assurément un déterminant de la création de valeur et de la pérennité de ces entreprises.

Enjeux et avantages pour le responsable des ressources humaines à temps partagé

Notre étude montre aussi que le métier de responsable des ressources humaines à temps partagé est perçu par les acteurs comme « un métier aux multiples avantages », expression qui revient souvent dans les entretiens. « Travailler à temps partagé permet aux salariés de « grandir », aussi bien sur le plan professionnel que sur le plan personnel », témoigne l’un des salariés rencontrés (I6).

Plus précisément, trois types de bénéfices semblent essentiellement retirés d’une telle forme d’emploi : d’abord, la diversité des tâches, associée à une absence de routine et à un enrichissement professionnel; ensuite, la richesse des échanges, créatrice de liens sociaux; enfin, la garantie d’un emploi stable.

La diversité des tâches.

Toutes les personnes rencontrées s’accordent à dire qu’une expérience de responsable des ressources humaines à temps partagé, diversifiée et multiple, apporte de réelles compétences. Si ce métier est aussi largement vécu comme un enrichissement, c’est essentiellement dû au fait que ce responsable est amené à évoluer, de manière simultanée, dans des secteurs d’activité divers, avec différentes conventions collectives à maîtriser, des fonctionnements d’entreprises variés qu’il doit connaître et intégrer.

Toutes les tâches et les difficultés sont multipliées par le nombre d’entreprises dans lesquelles il intervient. Ainsi, dans un temps donné, et de manière très dense, il acquiert deux à trois fois plus d’expériences, de connaissances et de compétences qu’un responsable des ressources humaines exerçant son métier dans une seule entreprise.

Les multiples compétences ainsi acquises à travers une expérience de travail à temps partagé améliorent l’employabilité des salariés concernés. Cette expérience peu commune semble en effet susciter la curiosité des recruteurs, en particulier au regard des dimensions comportementales qu’ils ont pu intégrer en travaillant à temps partagé. Au-delà des compétences techniques, le savoir-faire et le savoir-être rattachés au métier de responsable des ressources humaines à temps partagé sont recherchés dans de nombreuses monoentreprises.

Ainsi, le sens de l’organisation, la polyvalence et l’autonomie du responsable sont des atouts pour n’importe quelle entreprise. Le fait d’éviter la monotonie et le besoin de changer d’ambiance et de contexte apportent à ce responsable une réponse à sa demande d’évasion9 qui implique son adaptabilité permanente et accroît son expérience. Tout cela contribue au besoin d’innovation des organisations et incite à leur remise en cause. Ainsi, selon le dirigeant d’un groupement d’employeurs, le temps partagé « permet d’éviter la routine, on n’a pas le temps de s’ennuyer ». Il s’agit d’une occasion de « diversité et de changement »10.

La richesse des échanges.

Le temps partagé serait un « moyen d’améliorer son capital humain11 ». Les témoignages recueillis vont aussi dans ce sens. Du fait de son temps de présence limité, le responsable des ressources humaines à temps partagé doit en effet réussir, au cours des échanges parfois rapides qu’il a avec ses collaborateurs, à comprendre et à transmettre à la fois les valeurs et l’ensemble des connaissances, explicites et tacites, nécessaires à l’exercice de sa fonction. Au-delà de cette intensité communicationnelle, les échanges nombreux au sein de plusieurs structures, le travail d’équipe plus que jamais indispensable pour lui, impliquent un besoin décuplé de communiquer.

Parce que ce métier s’exerce dans plusieurs organisations, voire plusieurs secteurs d’activité, il représente également pour certains une manière de se faire connaître, d’étendre leur réseau et d’asseoir leur reconnaissance au sein d’un territoire donné.

La garantie d’un emploi stable.

En évitant les formes de contrats précaires (intérim, contrat à durée déterminée, temps partiel, etc.), le temps partagé dans le cadre d’un groupement d’employeurs garantit au salarié une sécurité financière et une stabilité d’emploi : pour un responsable des ressources humaines à temps partagé en particulier, cette garantie lui permet de vivre pleinement de son emploi et de se consacrer en toute sérénité à l’exercice de sa fonction, en l’envisageant dans la durée. Comparativement à un emploi « classique », certains estiment que la sécurité d’emploi est même accrue pour le salarié à temps partagé : le fait de travailler dans plusieurs entreprises a pour effet que la fin d’un contrat de travail avec l’une d’entre elles est vécu avec moins d’angoisse.

C’est ce qu’affirme cette responsable des ressources humaines à temps partagé : « C’est vrai qu’il y a toujours cette sécurité permettant de se dire qu’on a encore trois ou quatre jours minimum par semaine » (I7). Cet aspect des choses est d’une grande importance : il résout l’incompatibilité pouvant exister entre le besoin de stabilité du salarié en matière d’emploi et la crainte qu’il risque d’éprouver d’une durée de vie trop courte des petites entreprises, lesquelles, de ce fait, se révèlent moins attrayantes que les grandes entre- prises sur le marché du travail.


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On remarque que le travail à temps partagé peut être une transition professionnelle, spécialement dans le cas du responsable des ressources humaines. Celui-ci ayant su démontrer la valeur ajoutée de cette fonction dans l’une des entreprises utilisatrices, il a parfois la possibilité d’accroître son temps de travail pour finalement être embauché à temps plein. Le groupement d’employeurs doit alors gérer cette « rotation positive » en recrutant une autre personne pour continuer à répondre au besoin de l’autre entreprise utilisatrice.

Il doit aussi combler le temps partiel de cette jeune recrue par la recherche d’un temps de travail dans une nouvelle entreprise utilisatrice. Ce cercle vertueux offre parfois une possibilité de retour dans l’emploi à des personnes écartées du fait de leur âge (les travailleurs âgés) ou de leurs par- cours de vie (le retour au travail des femmes après un congé parental de longue durée), qui ont des capacités et des expériences avérées pour la conduite de projets en matière de ressources humaines.

Les avantages du métier de responsable des ressources humaines à temps partagé sont donc nombreux (voir le tableau 1). Toutefois, le développement limité observé de cette forme d’emploi nous conduit à recenser les freins à son développement.

Les freins au développement du métier de responsable des ressources humaines à temps partagé

Ce métier fait l’objet de craintes, d’à priori pouvant faire obstacle à son développement. Par-delà cette dimension essentiellement culturelle, liée à des réticences vis-à-vis d’une forme d’emploi innovante et, dans une moindre mesure, à un questionnement persistant sur la valeur ajoutée de la fonction ressources humaines, d’autres freins sont apparents, surtout de nature juridique (voir le tableau 2).

Les freins d’ordre culturel vis-à-vis d’un emploi innovant

Étant donné que le temps partagé se différencie des modes traditionnels d’organisation du travail, on relève un certain nombre de freins au développement du métier de responsable des ressources humaines à temps partagé. Ces freins concernent d’abord une absence de « culture des ressources humaines » dans certaines entreprises. Ils émergent ensuite de problèmes de confidentialité dus à la notion même de « partage » du salarié. Ils résultent enfin d’une image parfois négative du temps partagé, encore associé au temps partiel et à la précarité.

En effet, malgré une prise de conscience évidente, dans nombre d’entreprises, du besoin de développer la fonction ressources humaines, certains employeurs s’inquiètent des coûts visibles et immédiats, à court terme, du recrutement d’un responsable des ressources humaines à temps partagé. Quelle est la valeur ajoutée de la gestion des ressources humaines ? Quel sera le rendement de cet investissement ? Telles sont les questions que certaines PME se posent.

À ces interrogations s’ajoutent parfois d’autres doutes ou inquiétudes, rattachés à la disponibilité effective d’un responsable à temps partagé et à la confidentialité dont il devra faire preuve. En exerçant son activité dans plusieurs entreprises, ce responsable sera-t-il suffisamment disponible pour gérer les projets et les dossiers d’une entreprise en particulier ? Mais surtout, comment partager un métier qui revêt, tel celui-ci, un caractère confidentiel ou stratégique évident ?

Selon une responsable des ressources humaines à temps partagé rencontrée, « la confidentialité qui entoure ces dossiers de ressources humaines limite l’arrivée de responsables des ressources humaines à temps partagé dans les PME » (I5). En effet, certaines PME « ne souhaitent pas partager leurs salariés, craignant que le climat social à l’interne soit connu à l’extérieur » (I5). Il revient au responsable d’apaiser les craintes et d’inspirer confiance aux dirigeants d’entreprise.

Enfin, pour beaucoup, une méconnaissance du temps partagé a pour conséquence la production d’une image négative de cette forme d’emploi. Restant très souvent associé au temps partiel, le temps partagé est ainsi victime d’une représentation erronée, assimilée à une forme de précarité. En effet, beaucoup estiment incompatible le fait de rechercher des compétences spécifiques avec un statut à temps partiel.

C’est pourtant là un problème que pallie le groupement d’employeurs, « en facilitant la recherche de salariés compétents, qui accepteront de cumuler plusieurs temps partiels dans diverses structures » (I11), tout en travaillant selon un contrat à durée indéterminée.

Les freins d’ordre juridique pour une forme d’emploi inédite

Sur le plan juridique, le travail à temps partagé présente certaines faiblesses susceptibles de nuire à son développement. En effet, des questions subsistent aujourd’hui, d’un point de vue légal, sur les conditions de travail du salarié à temps partagé, qu’il soit responsable des ressources humaines ou qu’il travaille dans d’autres services de l’entreprise. Si la loi impose l’application de la convention collective du groupement d’employeurs aux salariés du groupement, elle reste floue sur l’équité de traitement entre ses salariés et ceux de l’entreprise d’accueil.

Ainsi, la rémunération du salarié du groupement d’employeurs, mis à disposition dans deux ou plusieurs entreprises adhérentes, sera déterminée lors de la signature du contrat avec le groupement. Celui-ci aura au préalable fixé la rémunération du salarié avec chacune des entreprises d’accueil. Cette relation d’emploi tripartite – entreprises d’un même territoire, salariés, groupement d’employeurs – peut générer la perception d’une absence d’équité de traitement lorsque les conditions d’emploi du salarié du groupement d’employeurs sont trop éloignées de celles des salariés des entreprises partenaires. Cette perception est de nature à compliquer leur intégration et à les mettre en position de retrait vis-à-vis des organisations dans lesquelles ils travaillent.

En ce qui concerne les entreprises adhérant à un groupement d’employeurs, des contraintes légales peuvent générer des résistances au déploiement de telles associations, la plus importante étant la solidarité financière à laquelle les entreprises adhérentes sont tenues. En effet, sur le plan juridique, le groupement d’employeurs est un instrument de mise à disposition de personnel à des entreprises regroupées au sein d’un collectif, obligatoirement constitué sous forme d’association selon la loi de 1901, et ce, afin de garantir le but non lucratif de la mise à disposition qui doit être limitée aux membres du groupement.

Il est basé sur une relation tripartite : le groupement recrute des salariés dont il est l’employeur juridique et les affecte aux différents membres du collectif au prorata de leurs besoins respectifs. Cependant, la triangulation de la relation ne compromet pas pour autant le plein exercice de la responsabilité de l’ensemble des membres du collectif à l’égard de chacun des salariés. Ainsi, un principe fondamental a été retenu par le législateur, celui de la responsabilité solidaire des membres du groupement.

Les membres du collectif sont solidairement responsables du passif social et doivent assurer aux salariés la rémunération, les cotisations sociales et les indemnités dues en cas de départ de l’un d’entre eux. Pour créer un groupement d’employeurs, il faut donc que les entreprises travaillent en réseau. Elles doivent se connaître et se faire confiance, l’individualisme des entreprises n’ayant pas de place dans cette forme d’organisation. Le temps partagé, dans le cadre du groupement d’employeurs, implique un fonctionnement solidaire de la part des entreprises, en réseau, tant du point de vue de la gestion que du point de vue juridique.

Cela peut faire naître de la crainte chez les dirigeants d’entreprise au regard de l’environnement extrêmement compétitif et concurrentiel que l’on connaît actuellement. Le temps partagé constitue pourtant un levier du développement et de la pérennité des organisations, en particulier pour de petites structures, ainsi que de leur territoire.

Ces différents freins nous conduisent à proposer des pistes d’action pour développer le métier de responsable des ressources humaines à temps partagé et pour profiter au mieux des avantages recensés.

Recommandations pour le développement du métier de responsable des ressources humaines à temps partagé

Voici des recommandations susceptibles de donner une impulsion au métier de responsable des ressources humaines à temps partagé.

Recruter un profil spécifique et exigeant

L’étude réalisée montre que le métier de responsable des ressources humaines à temps partagé est exigeant et comporte des contours malléables. Le développement de cette forme d’emploi exige donc de préciser la fiche de poste standard (voir l’encadré 2). Cette fiche pourra ensuite être précisée par les entreprises partenaires et le groupement d’employeurs. Notre étude permet de dégager le savoir, le savoir-faire et le savoir-être nécessaires au développement de ce métier.

Un savoir standard : le besoin d’un expert en ressources humaines.

La mission d’un responsable des ressources humaines à temps partagé s’apparente à celle d’un responsable des ressources humaines dans une monoentreprise. Notre étude révèle que l’évolution et la complexité de la législation sociale conduisent les TPE et les PME à considérer comme indispensable la veille juridique et à vérifier la conformité des règles d’administration du personnel. La multiplicité des obligations légales en matière de droit social engendre en effet un risque certain de non-conformité dans ces petites entreprises que des poursuites éventuelles peuvent lourdement sanctionner, mettant ainsi en péril ces petites structures dans lesquelles la trésorerie peut être limitée.

Le responsable des ressources humaines à temps partagé intervient ainsi en tant qu’expert en droit social pour s’assurer du respect de la loi en matière de contrat de travail, de gestion de la paie, de procédures de gestion disciplinaire, d’élection des délégués du personnel, de signature d’accords, de négociation collective, de règles de santé et de sécurité du travail.

Au-delà de cette mission d’administration du personnel, les TPE et les PME, conscientes des défis en matière de ressources humaines qu’elles ont à relever dans un contexte d’instabilité et de forte concurrence, sont amenées à mettre au point des projets de ressources humaines pour y faire face. Le responsable à temps partagé intervient alors pour piloter ces projets. La mise en place d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences fait face, par exemple, au départ massif à la retraite des salariés et au besoin de transférer leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être aux générations plus jeunes.

L’élaboration d’une politique de rémunération permet de mettre à plat les niveaux et les règles d’attribution de la rémunération, de répondre aux éventuelles perceptions d’injustice, de contrer les problèmes de pénurie de recrutement ou d’absence de fidélité. La mise en œuvre d’une politique d’information et de communication développe le sentiment d’appartenance des salariés à travers des outils tels que le journal d’entreprise, le livret d’accueil, le site Internet ou l’organisation d’événements.

Elle rationalise les procédures d’envoi d’informations aux acteurs internes et externes (organismes de sécurité sociale, inspecteur du travail, médecin du travail, organisme paritaire collecteur agréé ou OPCA, réseaux de ressources humaines, etc.). La formalisation d’une politique de santé et de sécurité du travail va sensibiliser les acteurs (dirigeants, gestionnaires et équipes) à déterminer puis à prévenir les risques d’accidents et de maladies professionnelles.

Ainsi, la mission évoquée lors des entretiens fait du responsable des ressources humaines à temps partagé à la fois un expert opérationnel et un pilote de projets en matière de ressources humaines. Les compétences nécessaires pour tenir ces rôles sont importantes, car si la mission reste standard, le contexte de son exercice change.

Afin d’assurer son rôle d’expert administratif et de veiller à la conformité légale des pratiques de gestion du personnel, le responsable doit maîtriser le droit du travail et la législation. Il doit connaître les conventions collectives et le contenu des accords signés au sein des entreprises dans lesquelles il travaille. La réactualisation de ce savoir est nécessaire compte tenu de l’instabilité croissante des réglementations sociales.

Son rôle de pilote de projets liés aux ressources humaines exige la maîtrise des principaux processus de gestion des ressources humaines : le recrutement, l’organisation du travail et du temps de travail, la formation, la rémunération, l’évaluation, la gestion des carrières, la santé et la sécurité du travail.

Une demande d’opérationnalité rapide ressort des entre- tiens. Le dirigeant se reposant entièrement sur l’expertise de ce responsable à temps partagé, ce dernier devra répondre promptement aux demandes précises de la direction, mais également à celles des gestionnaires et des partenaires sociaux, des salariés des entreprises dans lesquelles il travaille, des acteurs externes (organismes de sécurité sociales, inspecteur du travail, etc.).

La relation tripartite fait que les rapports avec le dirigeant sont particuliers. Le lien de subordination étant moins visible, le responsable des ressources humaines à temps partagé est souvent perçu comme un conseiller, un apporteur d’idées nouvelles, « un empêcheur de tourner en rond » (I1). Les attentes quant à une innovation sociale véritable sont ainsi évoquées dans les entretiens. Ces attentes rattachées aux connaissances spécifiques et d’expertise dans le domaine des ressources humaines sont couplées au besoin d’un savoir-faire spécifique.

Un savoir-faire renforcé : le syndrome du « caméléon rigoureux ».

Le fait de travailler dans deux ou plu- sieurs entreprises au cours d’une même période de temps (souvent la semaine) conduit à devoir acquérir un savoir-faire spécifique.

D’abord, il est indispensable d’apprendre à organiser son travail et son temps de travail. Savoir anticiper et planifier son travail, établir des priorités dans les tâches, aller à l’essentiel dans le temps imparti par chacune des entreprises, cela constitue des conditions de l’efficacité du travail du responsable des ressources humaines à temps partagé. Cette rigueur doit s’allier à une capacité de déléguer, car la contrainte temporelle fait que les projets doivent continuer à progresser lors de l’absence du responsable.

Il faut savoir « être là quand on est absent » (I2), savoir identifier une personne-relais qui assurera la continuité des projets et saura informer le responsable des événements qui se sont déroulés pendant son absence. Il faut « accepter de ne pas tout maîtriser et de transmettre les dossiers aux collègues afin que les choses avancent » (I3). La capacité de s’organiser fait ainsi écho à la capacité de faire confiance aux collaborateurs de l’entreprise.

Ensuite, il faut avoir une capacité de mémoriser. Le changement permanent de lieu de travail complexifie la tâche du responsable des ressources humaines à temps partagé qui devra mémoriser plus d’informations, de manières de travailler, de processus mais également de personnes. Les individus avec lesquels il est en lien sont plus nombreux, ce qui exige de lui qu’il retienne le nom et le visage de chacun.

Enfin, la capacité de s’adapter s’avère essentielle. Passer d’une entreprise à une autre exige une capacité d’adaptation tant sur le plan technique (outils informatiques utilisés, procédures à respecter, processus mis en place, etc.) que sur le plan culturel (valeurs de l’entreprise, codes, usages et coutumes) ou sur le plan relationnel (mode de management, mode de fonctionnement, mode de communication des entreprises, des dirigeants, des gestionnaires, des équipes, des partenaires sociaux, etc.).

Le responsable des ressources humaines à temps partagé est un « véritable caméléon dynamique capable de s’adapter à des contextes différents avec des modes de travail différents afin de répondre aux besoins de l’entreprise dans laquelle il est placé » (I4). Il se doit de « changer de casquette, d’être à 100 % dans une entreprise un jour, puis à 100 % dans une autre les jours suivants » (I4). Cette habileté à passer d’une entreprise à l’autre s’accompagne d’une capacité d’être discret, car la confidentialité est attendue dans les entreprises d’accueil. Un savoir-être spécifique est ainsi requis.

Un savoir-être exigeant : le syndrome du « roseau résistant».

La discrétion est un trait de personnalité exigé de tous les responsables des ressources humaines compte tenu de la nature des informations dont ils disposent. Toutefois, cette exigence est renforcée dans le cadre du temps partagé en raison du passage d’une entreprise à l’autre et des comparaisons qui peuvent être faites entre les deux entreprises.

Il en est de même pour le goût et la facilité pour les relations de ce responsable. Le besoin de rechercher des informations et celui d’être en relation permanente avec des acteurs internes et externes de l’entreprise requièrent une ouverture d’esprit, de la curiosité, de la disponibilité, de l’écoute, de la compréhension, de l’empathie, de la patience et de la communication. Le temps partagé accentue le besoin de ces traits de personnalité du fait de la diversité des nombreuses per- sonnes rencontrées.

Il est aussi nécessaire de faire preuve de souplesse et de flexibilité vu le besoin de gérer les imprévus dans les diverses structures dans lesquelles le responsable intervient : « Quand vous avez d’un seul coup un préavis de grève qui arrive, vous ne pouvez pas dire à votre dirigeant : « Eh bien, je suis désolée, votre directeur des ressources humaines n’est là que le lundi et le mardi, on traitera ça la semaine prochaine » » (I4). Cette souplesse oblige, comme le roseau, à plier pour s’adapter aux contraintes nouvelles et imprévues en toute autonomie.

Mais cette souplesse doit se doubler d’une grande résistance physique et psychologique. En effet, ce rythme de changement permanent, cette exigence d’adaptation continue, peut entraîner une fatigue physique et un stress important. Le temps partagé peut se transformer en « temps mélangé » (I5) qui empiète sur le temps personnel et rend le temps de récupération limité. La résistance à la fatigue physique et mentale est alors indispensable pour que la personne puisse se maintenir dans ce poste dans la durée.

Ainsi, les entretiens menés mettent en avant que le métier de responsable des ressources humaines à temps partagé est exigeant en termes de savoir, de savoir-faire et de savoir-être. Ce niveau d’exigence amène les répondants à croire qu’il faut posséder une expérience antérieure pour occuper ce type d’emploi et qu’il serait plus difficile pour les jeunes de manifester l’autonomie et le pragmatisme attendus de cet emploi. Ce niveau constitue certainement un frein au développe- ment de ce métier dans les organisations étant donné que les candidats potentiels peuvent s’interroger sur leurs capa- cités réelles de mettre en œuvre ce savoir, ce savoir-faire et ce savoir-être importants (voir l’encadré 2).

Développer le «faire savoir» sur le métier de responsable des ressources humaines à temps partagé

L’exigence du profil de compétences attendues montre que le recrutement d’un responsable des ressources humaines à temps partagé n’est pas aisé sur un territoire donné. Il est donc impératif d’assurer une formation à ce type de profil et de faire des communications au sujet de cette forme d’emploi.

Former à ce métier.

Le niveau d’exigence attendu pour occuper un poste de responsable des ressources humaines à temps partagé impose de former les étudiants ou les personnes en reprise d’études non seulement au savoir, mais également au savoir-faire et au savoir-être requis. Un module spécifique « temps partagé » doit ainsi être intégré dans le cursus de formation en gestion des ressources humaines afin de préparer au mieux les futurs candidats à ce type de poste. L’intégration dans les programmes scolaires et universitaires d’une formation sur les différents statuts et formes de travail possibles permettrait aussi de changer les représentations des emplois capables de satisfaire le besoin de sécurité des salariés.

Faire des communications sur cette forme d’emploi.

Il nous semble aussi nécessaire de faire connaître cette forme d’emploi spécifique par une médiatisation des expériences menées par les groupements d’employeurs, les entreprises partenaires et les salariés à temps partagé dans les supports médiatiques (papier, Internet, sites d’entreprises, etc.), mais également dans les structures liées à l’emploi – telles que les maisons de l’emploi ou le Pôle emploi –, dans les réseaux et les clubs d’entreprises. Cette action permettrait, d’une part, de faire connaître cette forme d’emploi et, d’autre part, d’inciter, par les expériences positives entendues, les entreprises à la développer.

Les travaux scientifiques étant rares, il serait souhaitable que les enseignants-chercheurs puissent s’emparer de cet objet de recherche qu’est le temps partagé afin de contribuer à sa connaissance et à son développement.

Renforcer le suivi des salariés à temps partagé

Les freins d’ordre juridique montrent toute l’importance du rôle du groupement d’employeurs et de ses dirigeants dans leur capacité d’établir des règles claires concernant les modes de rétribution de chacun des salariés mis à disposition, de les accompagner par une relation de proximité dans leur quotidien, leurs craintes et leurs difficultés éventuelles. Cela ne concerne pas uniquement le responsable des ressources humaines à temps partagé, mais tous les salariés travaillant selon ce statut.

Ainsi, le service des ressources humaines du groupement d’employeurs doit lui-même être structuré et doté de compétences réelles afin de garantir cet accompagnement nécessaire et d’effacer les réticences éventuelles à accepter cette forme d’emploi. De la même manière, ce service doit garantir que le temps partagé répond bien au temps de travail souhaité par le salarié (temps plein ou temps partiel), même en cas de rupture de contrat de l’une des entreprises.

Développer la responsabilité territoriale des entreprises

Enfin, la réussite de cette forme d’emploi résulte du partage de valeurs et d’un objectif commun de développement du territoire de la part des entreprises partenaires du groupement d’employeurs. C’est particulièrement vrai pour le métier de responsable des ressources humaines à temps partagé, pour lequel nous avons pu constater les réticences des entreprises et leurs craintes au regard de l’aspect confidentiel qui lui est associé.


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Ce partage impose de passer d’une logique concurrentielle à une logique partenariale, d’une posture autocentrée du dirigeant à une posture d’ouverture afin d’établir les relations et les réseaux indispensables à la création puis à la réussite de groupements d’employeurs et au développement de formes d’emplois à temps partagé. Cette évolution culturelle prendra sans doute du temps, mais elle nous semble impérative pour combler les besoins de compétences spécifiques à temps partiel et assurer ainsi la pérennité des organisations.

Conclusion

À travers l’étude rapportée dans cet article, notre principal objectif était de mieux comprendre les contours de ce métier innovant qu’est celui de responsable des ressources humaines à temps partagé. Nous avons constaté que ce métier méconnu répond pourtant à une demande croissante de nombreuses entreprises en matière de développement de la fonction ressources humaines.

En améliorant la connaissance de ce métier, tant de ses avantages que de ses inconvénients, nous avons proposé des pistes de solutions pour favoriser son développement. Au-delà de ce métier, il apparaît que le temps partagé, de manière générale, est une solution à nombre de dysfonctionnements actuels en matière de gestion de l’emploi. Cela est d’ailleurs le cas, notamment, dans de petites structures et dans des secteurs particuliers comme le secteur associatif, là où la professionnalisation est croissante avec des moyens financiers insuffisants pour recourir à des formes d’emplois classiques.

Pourquoi le recours à cette forme d’emploi n’est-il pas plus répandu aujourd’hui dans ces secteurs ? Les salariés eux-mêmes y sont-ils réticents ? Ce sont là quelques pistes de prolongement possibles des travaux à mener sur le temps partagé.


Notes

1 Les propos développés ici sur le fonctionnement du groupement d’employeurs et sur le temps partagé en général ne concernent pas uniquement les responsables des ressources humaines à temps partagé, mais également les salariés à temps partagé pouvant exercer d’autres métiers ou œuvrer dans d’autres fonctions.

2 Martin (2006).

3 Zimmermann (2003).

4 Fadeuille et Dalichoux (2005), Delalande et Buannic (2006).

5 L’analyse des sites Internet des groupements d’employeurs situés dans la région de la Bretagne montre que les emplois à temps partagé occupés concernent des emplois de production et de maintenance (opérateurs, conducteurs de machine, techniciens de maintenance, etc.), la logistique (agents de quai, caristes, préparateurs de commandes, etc.), les fonctions de soutien (comptabilité, ressources humaines, communication, veille informatique, webmestre, gestion de projet, hygiène, sécurité, environnement, etc.), les ventes (responsables de l’exportation, développement commercial, etc.). Voir la liste des groupements sur le site du Centre de ressources des groupements d’employeurs de Bretagne, [En ligne] (Page consultée le 17 février 2014).

6 Boyer et Scouarnec (2009).

7 Une version synthétique du guide d’entretien est proposée dans l’annexe 1.

8 Vilette (2010).

9 Pour la majorité des salariés rencontrés, la décision de s’orienter vers le temps partagé fut choisie et non subie. À ce titre, ils mettent en avant l’attrait qu’a représenté pour eux le caractère non routinier de cette forme d’emploi ainsi que la multiplication des expériences qu’elle offre.

10 Berthe (2006).

11 Berthe (2006).

Références

Banchereau, J.-Y. (1999), « DRH à temps partagé, un métier d’avenir ? », Revue Personnel, n° 404, p. 37-39.

Berthe, B. (2006), Travailler dans un groupement d’employeurs, Presses Universitaires de Rennes.

Boyer, L., Scouarnec, A. (2009), La prospective des métiers, EMS.

Delalande, F., Buannic, L. (2006), Groupements d’employeurs. Mode d’emploi, Eyrolles.

Fadeuilhe, P., Dalichoux, J. (2005), Les groupements d’employeurs, Éditions Liaisons.

Martin, D.P. (2006), « Relation d’emploi et mutualisation des ressources humaines entre entreprises d’un même territoire : le cas des pratiques de rémunération des groupements d’employeurs », dans Berthe, B. (dir.), Travailler dans un groupement d’employeurs, Presses Universitaires de Rennes, p. 121-141.

Vilette, M.A. (2010), Le travail à temps partagé, entre forme particulière de transformation du travail et outil d’introduction de la GRH dans les PME, thèse de doctorat en sciences de gestion, Université d’Auvergne.

Zimmermann, B. (2003), « Régime de mobilisations des salariés à temps partagé et parcours individuels. Le cas des groupements d’employeurs », dans Actes des IXe Journées de sociologies du travail, « Contraintes, normes et compétences au travail. Les régimes de mobilisations », Paris, vol. 2, p 461-468.