En éthique et en matière de différences entre les hommes et les femmes, les préjugés sont tenaces. On croit souvent que les hommes sont plus rationnels et suivent davantage de grands principes, ou que les femmes sont plus empathiques et évitent les conflits. Notre récente enquête dans des entreprises québécoises révèle qu’il en est autrement1 : très peu de différences existent entre les sexes quant à leurs théories éthiques préférées.

Hommes et femmes sont en accord avec Emmanuel Kant que le jugement éthique demande, entre autres, l’usage de la raison et sont tous les deux d’avis, comme Jeremy Bentham l’était, que des sanctions légales sont nécessaires dans certains cas. Ces deux approches sont souvent qualifiées de « masculines ». Femmes et hommes sont aussi globalement en accord avec les vues de Simone de Beauvoir ou celles de Carole Gilligan, qui prônent des valeurs d’égalité et de bienveillance, souvent davantage associées à une éthique dite « féminine ». Des différences sont cependant constatées pour certaines pratiques éthiques qui sont préférées par les hommes et les femmes en gestion. Quand on leur demande quelles sont les pratiques qui sont les plus performantes dans leur entreprise en matière d’éthique, les femmes préfèrent davantage celles qui sont plus strictes et plurielles.

De façon marquée, confirmée de façon statistique, les femmes prônent plus que les hommes la mise en place de codes de déontologie et leur application stricte en entreprise. Elles désirent aussi, encore plus que leurs collègues masculins, que ces codes soient revus de façon régulière et qu’ils incluent des politiques de tolérance zéro, interdisant et punissant certains comportements, comme le harcèlement sexuel. Les femmes désirent aussi, encore plus que les hommes, que leur entreprise mette sur pied un comité d’éthique, dont la fonction est d’analyser des enjeux complexes et de renseigner les décideurs.

Enfin, les femmes désirent, plus que les hommes, établir un plafond salarial maximal pour les hauts dirigeants, dans le but de prévenir les abus. Mais si les femmes privilégient des pratiques plus strictes en éthique, elles préfèrent aussi des registres davantage pluriels que leurs collègues masculins. Elles désirent, par exemple, réellement intégrer des valeurs éthiques dans les décisions quotidiennes de leur entreprise et leur mission, et non seulement les valeurs enchâssées dans des codes juridiques ou des valeurs financières. Elles désirent, encore plus que leurs collègues masculins, promouvoir des pratiques environnementales saines et prioriser l’achat et l’offre de produits issus du commerce équitable. Et, de façon encore plus forte que les hommes, elles proposent de mettre en place des formations artistiques en entreprise, afin de stimuler des aspirations éthiques profondes, ainsi que d’améliorer la gestion des émotions au travail.

Notre enquête ne révèle pas d’oppositions franches entre les hommes et les femmes quant à leurs pratiques éthiques préférées en gestion, mais suggère des préférences différentes. Nommer plus de femmes dans des postes de gestion, de direction et de gouvernance, c’est-à-dire accroître la parité et la complémentarité entre les hommes et les femmes en entreprise, est susceptible de rendre leurs pratiques en matière d’éthique à la fois plus strictes et plurielles. 


Note

1. Voir la thèse de doctorat de Joé Martineau, Pratiques de gestion de l’éthique organisationnelle : états des lieux et taxonomie, 2014, analysant les réponses de 441 gestionnaires québécois à un questionnaire-sondage sur les pratiques d’éthique utilisées dans leur entreprise.