Dans l’imaginaire collectif, les représentations de la personne douée mais dysfonctionnelle ne manquent pas. Or, le haut potentiel intellectuel (HPI) est un phénomène complexe que les gestionnaires doivent mieux comprendre, afin de favoriser une meilleure intégration de ces individus dans leur équipe.

Si, pendant longtemps, on ne parlait pas ouvertement de haut potentiel intellectuel ou de douance par crainte d’être accusé d’élitisme, le portrait est bien différent aujourd’hui. En effet, l’espace médiatique occupé par la douance[1] a significativement augmenté au cours des dernières années, au point où certains parlent même d’une «mode de la douance»[2].

Outre une meilleure connaissance du phénomène, cette médiatisation a également permis de normaliser l’existence d’enfants doués, mais tout de même aux prises avec des difficultés. De nombreux parents ont alors ciblé la douance comme étant la cause des problèmes de leur enfant. Si cette croyance a pu mener plusieurs individus sur une fausse piste, elle a eu aussi pour effet d’engager la conversation sur les expériences que vivent les personnes douées, ce qui n’était pas nécessairement le cas durant la scolarisation de plusieurs individus, aujourd’hui adultes.

Manifestement, l’absence de dépistage systématique du HPI met un voile sur le nombre réel de personnes vivant avec une douance et sur les particularités du phénomène. De plus, alors qu’il existe une quantité considérable d’études sur les enfants à haut potentiel, il n’est pas possible d’en dire autant au sujet de la recherche portant sur les adultes. À l’instar de plusieurs de ces jeunes qui se retrouvent en situation d’échec à l’école, se pourrait-il que d’autres vivent une expérience similaire une fois arrivés à l’âge adulte?

Vivre à haute vitesse

Le quotidien des personnes HPI est rythmé par l’intensité de leurs émotions. Si cette intensité peut être grandement bénéfique, par exemple pour tout ce qui touche à l’imagination, elle peut malheureusement aussi compliquer la gestion de ces ressentis. En effet, chez les personnes douées, l’accumulation de stimuli dans le cadre du travail peut vite les mener à un état de surstimulation.

Le degré de sensibilité varie certes d’une personne à une autre, ce qui signifie qu’une situation surstimulante pour l’une ne le sera pas nécessairement pour l’autre[3]. Néanmoins, les personnes douées semblent ressentir les émotions plus intensément que la moyenne, et il est donc probable qu’elles vivent les moments de stress et les conflits au travail de manière plus forte que leurs collègues.

Une efficacité qui surprend

Une des principales caractéristiques de ces personnes réside dans le traitement de l’information. Grâce à ce qu’on appelle la pensée en arborescence, elles arrivent à traiter, trier, recouper et colliger rapidement les données pour ensuite mieux les conceptualiser. Parallèlement, elles possèdent aussi une excellente mémoire qui leur permet d’emmagasiner de grandes quantités d’informations.

En contexte de travail, leur créativité et leur capacité à résoudre des problèmes complexes les poussent spontanément vers l’innovation et l’amélioration de leur environnement immédiat. Apprenant facilement par elles-mêmes, les personnes douées sont naturellement autonomes et exigent généralement peu de supervision de leur employeur. Ces différents éléments peuvent leur permettre d’accomplir une somme de travail substantielle dans un temps plus court que la moyenne. Cette vitesse d’exécution leur demande cependant de déployer beaucoup d’énergie, qu’elles doivent puiser dans leurs réserves personnelles. D’un point de vue réaliste, ce rythme ne peut être maintenu indéfiniment.

La difficulté de s’adapter au monde du travail

Bien que peu de recherches aient porté particulièrement sur les adultes à haut potentiel en contexte de travail, les spécialistes ont identifié plusieurs zones de vulnérabilité chez cette population. Ainsi, ces adultes vivraient une plus grande peur de l’échec et afficheraient une sous-performance dans leur milieu de travail. Selon différentes études effectuées aux Pays-Bas, un tiers des adultes HPI néerlandais connaîtraient une situation de chômage. Cette précarité professionnelle de même que la sursollicitation dans leur environnement professionnel sont toutes deux corrélées à un risque d’épuisement[4].

Comme c’est le cas pour tous les employés, le type d’environnement dans lequel ces personnes travaillent a des répercussions importantes sur leur qualité de vie. Il a été observé qu’elles éprouvent davantage de difficulté à s’adapter aux entreprises plus conventionnelles et organisées en fonction d’une hiérarchie stricte. De même, elles répondent moins bien à une gestion axée sur le contrôle qui limite leur autonomie ainsi qu’aux milieux qui ne reconnaissent pas la contribution de leurs employés[5].

Recommandations aux gestionnaires

Alors que de plus en plus de tests de dépistage sont effectués en milieu scolaire et que du soutien y est aussi offert, peu de ressources existent encore pour accompagner les adultes dans ce processus. En ce sens, l'épuisement professionnel vécu par les personnes douées s’inscrit dans une discussion beaucoup plus large sur la santé mentale, où le fardeau repose grandement sur l’individu alors devenu adulte. Il est néanmoins possible, en tant que gestionnaire, de mettre en place des mesures dans son milieu de travail, afin de favoriser le bienêtre de ces employés à haut potentiel.

1 - S’informer sur le sujet

Les gestionnaires qui accueillent une personne HPI au sein de leur équipe devraient d’abord lire sur le sujet, afin de mieux comprendre le phénomène et le mode de fonctionnement de ces individus[6].

2 - Sensibiliser les employés et mettre à leur disposition des outils de dépistage

Considérant que plusieurs adultes doués n’ont pas été pris en compte plus jeunes, il est important de sensibiliser ses employés à ce sujet en leur proposant notamment des ressources de dépistage et, le cas échéant, du soutien dans leur cheminement.

Les profils d’employés auxquels il faut s’intéresser sont, par exemple, ceux qui performent à un rythme beaucoup plus élevé que leurs collègues. À surveiller également : des employés qui se distinguaient nettement auparavant et qui, sans raison évidente, se retrouvent maintenant dans la moyenne pourraient montrer des signes d’épuisement professionnel. Il sera essentiel d’amorcer le dialogue avec ces employés et de les guider, afin d’alléger le fardeau que peuvent porter certains d’entre eux.

3 - Moduler les attentes

Dans le but de prévenir la sursollicitation des adultes HPI, les gestionnaires doivent revoir la charge de travail qui leur est attribuée et s’assurer qu’ils ne sont pas surchargés. Une charge de travail jugée démesurée pour un employé typique risque de l’être d’autant plus pour un employé à haut potentiel intellectuel.

La recherche sur les adultes HPI n’en est encore qu’à ses débuts et beaucoup d’éléments restent à clarifier afin d’obtenir un portrait juste de cette population. Toutefois, les gestionnaires peuvent dès maintenant adapter leurs pratiques de gestion du personnel pour reconnaître les besoins particuliers de ces employés et favoriser le rayonnement de leur plein potentiel.

Article publié dans l'édition Été 2022 de Gestion


Références

[1] Bien que les termes haut potentiel intellectuel et douance soient interchangeables, nous privilégions la plupart du temps l’emploi de la première expression puisqu’elle nous semble plus neutre.

[2] Voir à ce sujet : Allard, M., «La douance à outrance?» (article en ligne), Le Soleil, 20 février 2021.

[3] Tordjman, S., et Kermarrec, S., «Mythes et réalités sur les enfants à haut potentiel intellectuel en difficulté : les apports de la recherche», Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, vol. 67, n° 3, mai 2019, p. 130-139.

[4] Jaffré, Y.-G., Dulon, L., et Verbeek, S., «Travail, emploi et douance», Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé, vol. 21, n° 1, juillet 2019, p. 1-32.

[5] Ibid.

[6] Par exemple, lire les ouvrages suivants : Jaffré, Y.-G. (dir.), Nauta, N., Ronner, S., Dulon, L., et Verbeek, S., Travail, emploi et douance – Pour l’intégration professionnelle de toutes les ressources de l’intelligence humaine, Paris, L’Harmattan, 2019, 262 pages ; Adda, A., et Brunel, T., Adultes sensibles et doués – Trouver sa place au travail et s’épanouir, Paris, Éditions Odile Jacob, 2015, 304 pages.