Électrification des transports : attention, danger!
2025-01-06

French
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2024-12-10
Électrification des transports : attention, danger!
Opinion , Stratégie

En 2018, le Québec lançait sa Politique de mobilité durable – 2030, qui est toujours en vigueur aujourd’hui. Elle intègre les principes de développement durable et de lutte contre les changements climatiques, et vise à ce que les personnes puissent se déplacer et les marchandises être transportées de manière «efficace, sécuritaire, équitable, intégrée au milieu et compatible avec la santé humaine et les écosystèmes». L’électrification des transports y est évidemment abordée, mais seulement dans l’une des différentes dimensions de la mobilité durable.
Au cœur de cette mobilité se trouve la prise en compte de l’approche réduire-transférer-améliorer (R-T-A) selon laquelle il faut d’abord chercher à réduire les besoins de déplacements motorisés, par exemple par l’aménagement du territoire ou l’urbanisme. Ensuite, il faut transférer les modes de transport énergivores, comme l’auto solo, vers d’autres qui le sont moins, comme les transports collectifs et actifs. Finalement, il faut améliorer les véhicules. C’est dans ce troisième volet que l’électrification entre en jeu.
Quel volet domine alors les discours et les actions lorsqu’on fait référence à la mobilité? La plupart du temps, l’électrification est bien sûr privilégiée : subventions aux véhicules électriques, réseaux de bornes de recharge, normes sur les véhicules zéro émission, etc. La réduction et le transfert arrivent bien plus loin dans les discours et les actions gouvernementales.
Il y a certes eu l’idée d’une stratégie ferroviaire pour le Québec, annoncée en 2019 par le ministre des Transports de l’époque, François Bonnardel. Ce dernier évoquait explicitement le transfert des camions lourds vers le rail. Mais ce concept est mort avec les premiers symptômes de la COVID-19 en 2020. L’électrification des transports, quant à elle, est toujours présentée comme la pierre angulaire de la décarbonation. Non seulement elle n’a pas cette importance, mais elle comporte trois écueils majeurs, sur lesquels nous butons déjà.
Écueil 1 : l’approvisionnement en ressources
Électrifier les transports, en particulier le transport routier, exigera le recours à des batteries. Ces batteries font appel à une panoplie de ressources dont la production est très concentrée dans un nombre restreint de pays qui sont concernés par des enjeux sociaux et environnementaux. La Chine est évidemment le plus grand producteur de la majorité des minéraux nécessaires. Près de 75% de la production mondiale de cobalt est assurée par la République démocratique du Congo.
L’électrification des transports vise, à juste titre, à nous libérer du pétrole, mais démontre aussi de manière assez évidente qu’elle nous enchaînera à des matières premières importées qui posent problème. En tant que consommateurs, allons-nous renforcer notre complicité dans le bafouement des droits de la personne et des règles environnementales?
Même quand le plan suppose une production locale, des enjeux multiples se dessinent. L’acceptabilité sociale n’est pas toujours au rendez-vous. Une mine québécoise de lithium «qui divise» a d’ailleurs fait les manchettes. Le cuivre, un autre métal essentiel pour l’électrification, verrait sa demande augmenter. Sommes-nous vraiment prêts à ouvrir plusieurs autres fonderies Horne?
Pensons aussi aux approvisionnements électriques des mines et des usines de batteries. Au Québec, les blocs d’énergie réservés aux batteries, comme les 350 mégawatts destinés à Northvolt, constituent un enjeu dont nous n’avons pas fini de parler, notamment parce que nous n’avons encore qu’effleuré la question des répercussions sur le prix de l’électricité.
Écueil 2 : le coût économique
Toute la stratégie d’électrification repose sur un montage financier extrêmement préoccupant. Véhicules plus chers et subventions tout au long de la chaîne de valeur, dans un contexte d’endettement élevé des gouvernements et des ménages. Nous subventionnons grandement une électrification du transport routier, alors que ce transport est de loin le plus coûteux (hormis l’avion).
C’est une stratégie ruineuse que les gouvernements tentent de protéger de l’effondrement en imposant des tarifs douaniers sur les véhicules électriques chinois. Le problème, c’est que ce protectionnisme mènera à des conflits commerciaux qui risquent de pénaliser d’autres secteurs.
Au lieu de privilégier des modes de transport globalement plus économiques, comme le train, le transport en commun et le transport actif, nous priorisons l’électrification, ce qui alourdira la facture du transport, déjà trop élevée.
Écueil 3 : la congestion
Enfin, les enjeux de productivité de l’économie canadienne reviennent régulièrement dans l’actualité. L’explosion de la taille du parc automobile et de celle des véhicules crée une congestion qui contribue à affaiblir la productivité des transports et de l’économie.
Perpétuer le transport routier par son électrification comporte le risque de légitimer encore plus les véhicules individuels, en leur donnant une apparence «verte». Cela renforcera la présence de ces véhicules sur les routes, causant encore plus de congestion.
Il devient urgent d’avoir un regard plus critique sur la mobilité. Il faut revenir aux priorités : réduire et transférer avant d’améliorer. La Politique doit être ressortie du recoin de la mémoire gouvernementale où elle sommeille actuellement. Sinon, nous nous dirigerons vers de gros écueils, qui s’avèreront coûteux sur tous les plans.
Article publié dans l’édition Hiver 2025 de Gestion
Opinion , Stratégie