Et si nous inventions une entreprise organisée comme le cerveau du plus grand génie du siècle? À quoi ressemblerait-elle? Pour le savoir, il faut d’abord découvrir l’incroyable histoire du cerveau d’Einstein.

Nous sommes le 18 avril 1955. Albert Einstein s’éteint à 76 ans à l’hôpital de Princeton dans le New Jersey. Il était malade et il ne voulait pas d’opération ou de traitement. Il avait laissé des consignes strictes pour le repos éternel de son âme : il voulait être incinéré et désirait que ses cendres soient répandues. Il était formellement opposé à ce que ses restes deviennent des reliques ou que son corps soit idolâtré de quelconque manière. Il est huit heures du matin. L’autopsie est pratiquée par Thomas Harvey. Diagnostic : rupture d’anévrisme. Dossier classé. Enfin… presque.

Le pathologiste est seul avec l’illustre dépouille… et il prend une décision totalement folle : voler le cerveau d’Einstein. Dans le plus grand secret, il divise l’organe en 240 morceaux, qu’il envoie à ses confrères pour tenter de comprendre les raisons biologiques de l’intelligence d’Albert. En vain. Il faudra attendre 20 ans pour que l’affaire soit révélée par Steven Levy, un jeune journaliste du New Jersey Monthly. Le cerveau est alors « reconstitué », mais il faudra encore attendre que les techniques évoluent pour comprendre réellement le fonctionnement du génie. L’anthropologue Dean Falk en a fait un résumé étonnant, que nous allons tenter de comprendre à notre manière.

La taille ne compte pas

Non… le cerveau d’Einstein n’était pas plus gros que le vôtre. Au contraire : il pesait 1230 grammes (contre 1350 pour un homme de son âge, à cette époque). 9 % de moins, donc. Or, il avait 17 % de plus de neurones. Pas plus de matière grise, non… mais plus de matière « blanche ». Matière blanche?

Plus de connexions

Dans le cerveau d’Einstein, le corps calleux était beaucoup plus volumineux que la moyenne. Cette partie est le « système central » du cerveau. Un super réseau de 200 millions de fibres nerveuses, qui relie les différentes parties du cerveau entre elles. Ce réseau, c’est la matière blanche. Chez Einstein, ces terminaisons étaient très épaisses et assuraient un transfert très efficace entre les différentes zones de son cerveau. C’est donc le transfert d’information qui compte. Einstein n’avait pas plus de matière grise : il avait plus de matière blanche! Voyons quelles zones étaient irriguées par ces informations, et pour quel bénéfice.

Sentir, comprendre et se souvenir

Le lobe pariétal est le siège des sens (la vue, le toucher, l’ouïe…), mais il est aussi responsable de la compréhension et de l’organisation de la mémoire. Le surdéveloppement du lobe pariétal est assez courant chez les mathématiciens et les scientifiques, mais celui d’Einstein était 20 % plus gros que la moyenne de ses contemporains.

Penser de manière abstraite

Dans le cerveau d’Einstein, il existait une inclinaison particulière du sillon latéral, ce qui aurait pour effet d’augmenter « la taille de la zone du raisonnement abstrait au détriment de la zone du langage ». D’ailleurs, interrogé par le mathématicien Jacques Hadamard sur le rôle du langage en 1943, Einstein avait répondu que ses idées lui venaient plutôt de manière visuelle et que le langage ne jouait aucun rôle dans son processus créatif.

Une pensée exécutive

Le cortex préfrontal est le siège des fonctions exécutives, qui (pour simplifier) nous guident pour nous aider à « faire ce qui doit être fait ». Il guide les actions pratico-pratiques. Celui d’Einstein était particulièrement développé.

Que faut-il retenir?

Si on devait créer une organisation sur le modèle du cerveau d’Einstein, elle serait bâtie autour de trois départements : un département « sensoriel », dont la mission serait d’appréhender mieux que quiconque le monde qui nous entoure; ensuite, un département de création, dont la mission serait d’imaginer (avec des images, donc) des concepts, et de retarder au maximum l’expression des idées (les mots); enfin, une direction exécutive pratico-pratique, qui sait prioriser ce qui doit l’être, axé sur le concret et sur l’action. Enfin et surtout, ces départements ne seraient rien sans la matière blanche : des agents de liaison doués pour faire circuler l’information, transmettre adéquatement des idées d’un département à l’autre.

Sentez le monde, laissez votre esprit « imaginer », retardez la formulation de votre réflexion, misez sur le concret et l’action. Et surtout, faites circuler l’information! Un dernier conseil : ne vous faites pas voler votre cerveau, vous allez en avoir besoin.