Et si faire des affaires était un chemin de réconciliation avec les Autochtones? C’est l’idée qui est derrière le rapport Bâtir un capital de confiance rendu public par BMO en juin 2021. Un an plus tard, Gestion fait le point avec Ian Lafrenière, ministre responsable des Affaires autochtones dans le gouvernement du Québec, et deux des personnes qui ont collaboré à ce rapport : Michèle Audette leader innue, nommée au Sénat en juillet 2021, et Charles Milliard, président de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ).

Contexte et recommandations

Revenons brièvement sur le contexte pour comprendre la démarche. Dans les mois précédant la publication du rapport, le décès tragique de Joyce Echaquan, une Atikamekw de Manawan, à l’hôpital de Joliette, et la découverte de restes d’enfants autochtones à proximité d’un ancien pensionnat catholique de Kamloops en Colombie-Britannique avaient créé une onde de choc. Voulant contribuer au rapprochement entre les peuples, BMO, en collaboration avec la FCCQ, a rencontré une dizaine de leaders et entrepreneurs autochtones. Le rapport se concluait sur une série de recommandations (voir encadré) destinées au gouvernement, aux communautés d’affaires non autochtones et aux communautés autochtones elles-mêmes pour développer les relations économiques.

Le rapport Bâtir un capital de confiance comportait 15 recommandations

Aux communautés d’affaires du Québec, il était notamment recommandé de : former dans chaque région des tables de rapprochement entre les communautés (No 1).

Aux gouvernements, il était notamment recommandé de : faciliter l’embauche de travailleurs autochtones par des mesures incitatives comme des crédits d’impôt et la réalisation de stages par des candidats autochtones à l’emploi (No 8).

Aux communautés autochtones, il était notamment recommandé de : promouvoir chez les jeunes l’importance de l’éducation et de la qualification professionnelle pour se réaliser personnellement et contribuer pleinement au développement de sa communauté (No 14).

Il ne s’agissait surtout pas de diminuer l’ampleur des enjeux politiques, mais simplement de reconnaître que la vie, c’est aussi de s’échanger des biens et des services et que dans cette relation économique peuvent s’établir des liens de compréhension et d’amitié.

Sortir la «question autochtone» de son vase clos

La sénatrice Michèle Audette, leader et intellectuelle innue toujours associée à l’Université Laval, estime que la tendance est positive. Dans ses nouvelles fonctions, Mme Audette veut contribuer à désenclaver les enjeux autochtones. «Souvent, on va nous mettre dans le silo de la question autochtone, comme un dossier à part. Mais ce qu’on appelle la question autochtone, ce sont des enjeux qui nous touchent tous. Nous sommes des peuples liés. L’intérêt des Autochtones devrait être transversal, normal, et pris en compte dans l’ensemble des discussions politiques. Et ça inclut les sujets économiques. On doit développer le réflexe d’inclure des Autochtones en amont des décisions», estime la sénatrice. Pour elle, le développement des échanges économiques est une passerelle vers le mieux vivre ensemble. Mais Michèle Audette insiste sur l’importance de l’éducation pour y arriver. L’Université Laval a d’ailleurs signé au printemps une entente-cadre de cinq ans pour accompagner les Innus dans la prise en charge de leurs programmes d’éducation, de la petite enfance à l’enseignement supérieur.

Pour Charles Milliard, la situation est en train de changer. «L’aiguille a bougé dans la perception des entrepreneurs et des employeurs, par rapport aux relations économiques avec les communautés autochtones», dit le président de la FCCQ. Il cite en exemple Le Grand Cercle économique des Peuples autochtones du Québec. Cet événement, sans équivalent depuis 15 ans, s’est tenu en novembre 2021 à Montréal. Il réunissait des représentants des 11 Nations autochtones du Québec et des leaders de la politique et des affaires. Au terme de l’événement, 140 dirigeants d’entreprise ont adopté une déclaration favorisant l’inclusion des Autochtones dans le développement économique du Québec.

Également, en mai dernier, l’entreprise innue Sanitation Pashkui, de Uashat mak Maliotenam sur la Côte-Nord, est devenue la première entreprise autochtone parmi les lauréats du gala des prix Mercure, les plus prestigieux prix d’excellence en entreprise au Québec.

Offrir aux Autochtones des emplois qu’ils vont aimer

Le ministre Ian Lafrenière constate que le développement des relations économiques Autochtones-Québécois suscite de plus en plus d’intérêt. Lors du Grand Cercle économique des Peuples autochtones, son gouvernement a notamment annoncé la création de l’École des dirigeants des Premières Nations, un projet avec HEC Montréal visant expressément à développer les connaissances en gestion des leaders autochtones. Monsieur Lafrenière insiste lui aussi sur l’éducation et le développement de l’employabilité des Autochtones. «Il faut délocaliser les formations, dit le ministre, et on le fait. On offre maintenant, par exemple, des formations en conduite de véhicules lourds dans des communautés autochtones éloignées. Ça permet aux Autochtones d’être formés près de chez eux, et ça montre que nous, comme gouvernement, comme société, on est capables de s’adapter à leur réalité.»

Avec les pénuries de main-d’œuvre et l’économie qui surchauffe, les leaders économiques regardent avec beaucoup d’intérêt la main-d’œuvre autochtone qui est jeune et disponible. «Ils veulent travailler, poursuit Ian Lafrenière, mais nous, nous devons avoir l’intelligence de leur offrir des emplois qu’ils vont aimer et dans lesquels ils vont se sentir valorisés. Réserver des emplois de flagmen aux Autochtones, ce n’est pas ça, une intégration réussie. Cette sensibilité dans les relations se développe beaucoup, notamment dans des entreprises des secteurs de l’énergie et des mines.»

Le président de la FCCQ veut quant à lui favoriser des rencontres entre les communautés pour mieux connaître les biens et services qui pourraient être échangés, et même les coentreprises qui pourraient être formées. «On veut avoir des tables régionales de concertation pour favoriser les maillages. En Gaspésie, en Haute-Mauricie, en Abitibi, particulièrement, il y a vraiment des opportunités de rapprochement entre leaders économiques québécois et des Premières Nations.»

Le contexte est donc favorable à une meilleure intégration des Autochtones à la vie économique du Québec. L’économie dans son ensemble est dynamique. Le développement des compétences et l’éducation sont de plus en plus valorisés dans les communautés autochtones avec des formations offertes localement. Il y a de plus en plus d’entrepreneurs autochtones, qui sont actifs dans un nombre croissant de secteurs d’activité. Il y a un vent d’affirmation qui souffle dans les communautés. Et il y a à travers le Canada une volonté de réconciliation. Cette fois pourrait être la bonne.

Populations autochtones du Québec (au 31 décembre 2019)[1]

Communautés (N)

Résidents

Non-résidents

Total

Abénaquis

2

404

2 683

3 087

Algonquins

9

6 604

6 003

12 607

Atikamekw

3

6 658

1 490

8 148

Cris

9

18 557

 

 

Hurons-Wendats

1

1 503

2 621

4 124

Innus

9

13 109

 

 

Inuit

14

12 362

 

 

Malécites

1

 

1 243

 

Micmacs

3

 

3 893

 

Mohawks

3

15 128

4 505

19 633

Naskapi

1

933

514

1 447


Référence

[1] Source : https://www.quebec.ca/gouv/portrait-quebec/premieres-nations-inuits/profil-des-nations/populations-autochtones-du-quebec