Article publié dans l'édition été 2016 de Gestion

Comment un des pays les plus pauvres au monde a mis sur pied une compagnie aérienne nationale et réussi à se distinguer sur le continent africain.

L’ambition était immense, à la hauteur des nombreux problèmes auxquels se heurte la République du Congo, ou Congo-Brazzaville, ce petit pays de l’Afrique équatoriale sis au bord du fleuve Congo. En effet, la réalité congolaise est difficile et complexe : une population dont presque la moitié (45,5 %) des quelque cinq millions d’habitants vit sous le seuil de la pauvreté, une espérance de vie qui s’établit à 58 ans, un taux de chômage supérieur à 50 %, des infrastructures de transport et de communication vétustes… Pourtant, Fatima Beyina-Moussa, directrice générale d’Equatorial Congo Airlines (ECAir) depuis ses débuts en 2007, a su relever tous ces défis afin que les Boeing vert et blanc prennent leur envol.


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Voler de ses propres ailes

La volonté de doter le Congo d’un transporteur national peut en effet surprendre dans un pays où tout est à bâtir et où les priorités ne manquent pas. « La volonté de créer une ligne aérienne résolument nationale est venue de haut », explique Mme Beyina-Moussa. De très haut en effet, puisque c’est le président de la République lui-même, Denis Sassou Nguesso, qui a voulu la chose, suite logique de la politique de diversification économique et de modernisation qu’il a pilotée. Mais au-delà de cette volonté politique, la question demeurait entière : par où commencer quand tout est à faire ?

« Par le début ! », lance avec un sourire la directrice générale. Depuis la volonté présidentielle de créer cette ligne aérienne, en 2007, jusqu’au premier vol commercial d’ECAir, en septembre 2011, quatre années se seront écoulées, au cours desquelles il aura d’abord fallu définir la mission et l’envergure de l’entreprise, dont le gouvernement congolais demeure l’actionnaire majoritaire. Ce point de départ, comme l’affirme Fatima Beyina-Moussa, c’était cette volonté de doter le pays d’une ligne aérienne résolument congolaise, au service des Congolais, avec une identité propre au pays. Certes, au début, les ressources matérielles et humaines faisant cruellement défaut dans le pays, la directrice générale n’a eu d’autre choix que de s’en remettre à des partenaires européens. À cet effet, l’indispensable coup de main de partenaires tels que Lufthansa Consulting, le bureau d’études du transporteur allemand, la suisse PrivatAir et la belge Jetairfly fut précieux, tant du point de vue technique et opérationnel que managérial. L’objectif était clair : établir une première liaison intérieure entre la capitale politique, Brazzaville, et la capitale économique du pays, Pointe-Noire, ville sise sur la façade atlantique du pays et distante de quelque 400 kilomètres à vol d’oiseau. Pour ce faire, ECAir a fait l’acquisition d’un premier aéronef, un Boeing 737 comptant dix-huit années de service pour la néerlandaise KLM. Rebaptisé Rivière Kouilou, du nom d’un cours d’eau congolais, l’appareil a inauguré officiellement les liaisons aériennes d’ECAir le 24 septembre 2011, emportant ses premiers passagers vers Pointe-Noire.

Très rapidement, la directrice générale d’ECAir a visé à accroître les activités de l’entreprise, à la fois en matière de vols et de destinations. Trois mois après l’inauguration officielle et le premier aller-retour Brazzaville–Point-Noire, ECAir est passée à trois rotations hebdomadaires. Puis, à peine un an après le début de ses activités, ECAir s’est lancée à l’assaut de l’Europe en offrant trois liaisons par semaine vers Paris. Au cœur de ce développement national, régional et même international, l’aéroport Maya-Maya joue un rôle clé : « Nous souhaitons que Maya-Maya devienne un véritable hub régional pour l’Afrique équatoriale et l’Afrique de l’Ouest », affirme Fatima Beyina-Moussa. L’aéroport, rénové en 2010 dans le but de se conformer aux standards internationaux en la matière, est aujourd’hui la base opérationnelle d’ECAir et le point de départ des liaisons vers Dakar (Sénégal), Douala (Cameroun), Cotonou (Bénin), Libreville (Gabon) et Bamako (Mali). Cherchant à tabler sur la présence d’une importante communauté libanaise et arabe en République du Congo, ECAir offre également, depuis peu, deux allers-retours hebdomadaires vers Beyrouth et met le cap quatre fois par semaine sur Dubaï.

Par et pour les congolais

L’ADN de cette compagnie d’aviation est fortement imprégné de cette identité congolaise. De fait, la volonté de la directrice de faire d’ECAir une entreprise résolument nationale est clairement exprimée : « […] il fallait convaincre les Congolais eux-mêmes d’adopter ECAir. Ils étaient les premiers à qui il fallait démontrer la faisabilité du projet », souligne avec insistance Fatima Beyina-Moussa. Pour ce faire, il fallait instiller le plus possible la « couleur » congolaise à l’entreprise, d’une part en ce qui concerne l’offre faite aux clients et, d’autre part, au chapitre des ressources humaines de l’entreprise, toutes fonctions confondues. À cet égard, le passager régulier pourra jouir des avantages de Mbote (« bonjour ! » en lingala, le dialecte local), le programme de fidélité de l’entreprise, qui compte à ce jour plus de 32 000 membres. Les repas servis à bord des sept appareils de la flotte ont également des saveurs typiquement congolaises.

Un outil de développement social

Mais c’est surtout au chapitre des effectifs de l’entreprise que Fatima Beyina-Moussa entend donner cette « couleur » congolaise tant recherchée. La directrice générale veut faire de l’entreprise qu’elle dirige un véritable outil de développement socioéconomique et un modèle inspirant pour cette nation qui en a bien besoin. L’objectif déclaré de la directrice générale consistait à faire d’ECAir une entreprise capable de voler de ses propres ailes le plus rapidement possible, sans l’assistance de ses partenaires européens. Il fallait donc développer l’expertise nécessaire à Brazzaville même afin de faire d’ECAir une société aussi autonome que possible. Et, pour Fatima Beyina-Moussa, cela a commencé, comme c’est souvent le cas dans bien des organisations, par une judicieuse et rigoureuse sélection de jeunes candidats d’origine congolaise, qui se devaient d’avoir un potentiel correspondant aux ambitions de l’organisation. Des mécaniciens aux agents de bord en passant par les employés d’entretien ou le personnel de gestion, ce sont près de 600 personnes qui, initialement formées par les partenaires européens d’ECAir mais aujourd’hui de plus en plus autonomes, travaillent aujourd’hui au sein de l’organisation.


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La moyenne d’âge du personnel en place est d’environ 26 ans, et les femmes constituent la majorité de l’effectif de l’entreprise. En tant que femme, Fatima Beyina-Moussa prend évidemment à cœur l’évolution et le développement de son personnel féminin et n’hésite pas à encourager ces femmes à abattre les frontières traditionnelles, notamment dans le domaine aéronautique. De fait, quelques-unes d’entre elles terminent leur formation de pilote de ligne et pourront éventuellement prendre les commandes des aéronefs de l’entreprise. Par ailleurs, toujours dans cette optique de développer de liens forts et significatifs avec la population congolaise, l’entreprise a mis sur pied la Fondation ECAir, dont l’action porte notamment sur la lutte contre le paludisme, la principale cause de mortalité infantile en République du Congo.

Le meilleur des deux mondes

Cinq ans après le début des opérations d’ECAir, quelles leçons Fatima Beyina-Moussa tire-t-elle de l’aventure ? La dirigeante, formée à la nord-américaine mais œuvrant dans un contexte africain, puise à ces deux sources afin de répondre à la question. « De mon passage sur les bancs d’école de HEC Montréal et de l’Université d’Ottawa, je retiens la nécessité d’avoir une vision claire et ferme et de viser l’excellence dès le départ. Cette excellence doit elle-même s’appuyer aussi sur la présence d’indicateurs de performance auxquels on peut se référer, et c’est ce que j’ai tenté d’imposer dans la genèse et l’exécution du projet ECAir. Cette culture d’efficacité et d’efficience n’est pas encore acquise chez nous, tandis que, de mon expérience africaine, je retiens la nécessité d’adapter la théorie aux particularités locales. Au fil des ans, ECAir a su apporter à l’entreprise la touche congolaise essentielle à sa croissance. Du fait des conditions socioéconomiques fragiles de notre pays, nous avons également dû sortir du cadre, parfois réfléchir autrement et trouver nos propres solutions dans la résolution des problèmes qui ont jalonné le projet. Cette souplesse, quant à elle, est souvent mal perçue dans le contexte des organisations occidentales, et ces dernières gagneraient à mieux l’intégrer dans leurs processus et procédés. »

Viser haut et loin

Continent au potentiel immense, l’Afrique est à la fois la terre de toutes les possibilités et un territoire semé d’embûches. Et si ECAir vise haut, les obstacles, quant à eux, ne sont jamais bien loin. Des sources, non officielles toutefois, font en effet état d’un déficit d’exploitation d’environ 61 milliards de francs CFA (130 millions de dollars canadiens) pour l’année 2014. Situation sans doute normale pour une toute nouvelle compagnie aérienne, compte tenu des investissements initiaux…

Malgré tout, cette entreprise va résolument de l’avant et poursuit son expansion, elle qui a transporté son millionième passager en août 2015. De nouvelles destinations ont récemment été ajoutées (Abidjan en Côte d’Ivoire, Yaoundé au Cameroun, Bangui en République centrafricaine et N’Djamena au Tchad), témoins de cette volonté de devenir la référence en matière de transport aérien dans la sous-région. À l’image de l’Afrique subsaharienne, ECAir décolle et, espérons-le, pour de bon !