Article publié dans l'édition Été 2009 de Gestion

Les technologies de l’information et de la communication (TIC), telles que le courriel, les intranets, les collecticiels, les systèmes de réunion électronique et les systèmes de communication mobile, bouleversent en profondeur les modes d’organisation du travail.

Entre autres, différentes formes de télétravail, comme le travail à domicile et le travail mobile, transforment considérablement les entreprises. Ce phénomène touche aujourd’hui une proportion importante de travailleurs et d’entreprises. Les instituts statistiques1 estiment qu’aux États-Unis, en 2008, plus de 41 millions de travailleurs américains passaient en moyenne au moins une journée de travail par semaine à domicile et, en 2006, 69,2 millions étaient des travailleurs mobiles, c’est-à-dire des travailleurs qui passent plus de 20 % de leur temps à l’extérieur de leur bureau traditionnel (sur la route, chez le client, etc.). Au Canada, en 2008, 1,21 million de travailleurs passaient en moyenne au moins une journée de travail par semaine à domicile et, au Québec, il y en avait 250 000.


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Au cours des cinq dernières années, la croissance moyenne par an du nombre de télétravailleurs a été de 25 % aux États-Unis et de 20 % au Canada. De plus, ces dernières années, différents pays tendent à adopter des politiques favorisant des pratiques de télétravail afin de lutter contre la pollution. C’est notamment le cas des États-Unis qui, à la suite du Clean Air Act 2, laquelle présente une politique et une réglementation en matière de protection contre la pollution de l’air et pour la diminution du smog, a mis en place plusieurs politiques soutenant les programmes de télétravail.

C’est ainsi que, par exemple, l’agence américaine U.S. General Services Administration s’est fixé pour objectif de faire passer son nombre de télétravailleurs de 10 % en 2007 à 50 % en 20103. Bref, ces modes d’organisation du travail touchent une proportion importante d’entreprises, de gestionnaires et de travailleurs, et tout laisse croire que, comme les entreprises Hewlett Packard, Xerox, Intel, Procter & Gamble, FedEx, Andersen Consulting, AT&T, IBM et Merrill Lynch, plusieurs autres entreprises adopteront de telles pratiques dans les années à venir.

E-leadership : une nécessité

Les recherches qui portent sur le télétravail font émerger un important consensus : pour que les pratiques de télétravail fonctionnent, les dirigeants en place ne peuvent plus se contenter d’administrer, ils doivent faire preuve de leadership4. En effet, les caractéristiques propres à ce contexte imposent de nouveaux rôles aux dirigeants, de nouvelles pratiques et des habiletés de direction particulières qui nécessitent du leadership de leur part (Fisher et Fisher, 2001; Garton et Wegryn, 2006).

Les nouvelles formes d’organisation du travail transforment de fond en comble le métier de dirigeant. Ce dernier dirige des employés qu’il ne voit pratiquement plus physique ment et avec lesquels il communique à des lieux et à des moments différents. Il doit ainsi parvenir à exercer de l’influence principalement par l’entremise de moyens technologiques. Autrement dit, il doit exercer un e-leadership.

Concrètement, pour un dirigeant qui gère des télétravailleurs, exercer un e-leadership auprès de ses employés correspond à tous les mécanismes d’influence qu’il exerce par l’entremise des TIC (le courriel, les collecticiels, les intranets, etc.) afin de les mobiliser, de les motiver, de partager sa vision de l’organisation, de les responsabiliser, et ainsi de suite. Il est important de souligner que le e-leadership ne correspond pas à une nouvelle forme de leadership.

Il fait plutôt référence à un contexte qui possède des caractéristiques particulières et où le dirigeant doit parvenir à exercer un leadership pour permettre aux entreprises de bénéficier des avantages du travail à distance (Kissler, 2001; Pulley et Sessa, 2001). Notons que, dans la pratique, seulement une faible proportion de dirigeants se retrouvent exclusivement dans un contexte de direction à distance.

Dans les faits, nous pouvons dire qu’il existe un continuum où des rencontres face-à-face se font sur une base plus ou moins fréquente (Kirkman et al., 2004). Ainsi, les habiletés de direction et les qualités de leadership utiles dans des contextes «traditionnels» sont indissociables et demeurent indispensables dans un contexte à distance. Toutefois, le contexte propre au télétravail présente des défis et des enjeux particuliers qui caractérisent le e-leadership.

 Les défis et Les enjeux du E-leadership

Une revue approfondie de la littérature sur le télétravail et sur le e-leadership nous apprend que les recherches ont relevé deux éléments qui distinguent le contexte de e-leadership des autres contextes. Il s’agit de l’utilisation intensive des TIC comme moyen de communication et les distances spatiotemporelles dans les relations interpersonnelles que l’utilisation de ces TIC engendre. Ces deux éléments sont à la source des nombreux défis que présente ce type de direction5.

Entre autres, ces particularités influent de manière marquée sur les modes de communication qui deviennent davantage asynchrones, écrits et structurés et où les réunions «de corridors» disparaissent ainsi que les messages transmis par le langage non verbal. Également, les mécanismes de contrôle et les dynamiques de pouvoir diffèrent.

Le contrôle est davantage fondé sur l’atteinte de résultats, et la dynamique repose sur la confiance, sur des pratiques de coaching plutôt que sur des pratiques d’autorité et sur une dynamique de pouvoir particulière où une plus grande liberté sur le contrôle des processus de réalisation du travail est remise entre les mains des employés. Aussi, des enjeux relatifs à la conception et au sens que l’on donne au travail, tout comme à la conception et au sens de la direction de personnes, du travail en équipe, des réseaux sociaux, des technologies, etc., surviennent6. Bref, les défis et les enjeux sont très nombreux.

Dans ce contexte où les occasions de relations interpersonnelles tendent à être plus formelles, plus planifiées, plus rares, plus impersonnelles, où les communications sont de plus en plus difficiles, asynchrones et distantes, plusieurs questions se posent. Comment un dirigeant peut-il parvenir à créer un esprit d’équipe, une culture forte et propice à la collaboration entre les membres et à la confiance mutuelle? Comment faire en sorte que tous les membres se sentent importants, valorisés, qu’ils soient motivés, mobilisés, qu’ils aient le goût de s’investir et qu’ils aient un niveau de satisfaction élevé?

Ces défis représentent déjà des enjeux de taille dans un contexte plus traditionnel où les relations se font principalement en face-à-face et où le dirigeant est en mesure de prendre le pouls de la situation, de la comprendre par ses sens et d’y réagir spontanément. Les distances qu’imposent ces nouveaux modes d’organisation du travail ont pour effet de complexifier ses enjeux et ajoutent aux défis du dirigeant.

La gestion des distances psychologiques

Comme nous venons de le constater, il existe de nombreux défis de direction propres au télétravail. Plusieurs ouvrages proposent des solutions à ces problèmes. Sommairement, ces moyens permettent de compenser les effets engendrés par les distances spatiotemporelles occasionnées par l’utilisation des TIC. Ainsi, selon ce qu’on trouve dans la littérature, le dirigeant doit adapter son style de communication et de direction, apprendre à gérer des conflits à distance et surtout à les détecter, modifier sa planification, utiliser adéquatement les outils technologiques, faire les bons choix technologiques et offrir un support technologique adéquat, agir comme un coach plutôt que comme un patron, coordonner plutôt que contrôler, bien recruter son personnel en prenant soin de sélectionner des personnes pouvant se sentir à l’aise dans ce contexte à distance, être un modèle à suivre, etc.

Les résultats d’une de nos études effectuée auprès de leaders à distance nous permettent d’approfondir la réflexion à ce sujet (voir l’encadré 1). Certes, les déphasages spatiotemporels dans les relations et l’utilisation importante des TIC engendrent des défis que le leader à distance doit relever. Toutefois, nos rencontres avec des leaders à distance nous amènent à faire le constat suivant lorsqu’il s’agit d’une relation superviseur-employé : les TIC et les distances spatiotemporelles créent des distances psychologiques. Gérer ces distances psychologiques est, selon nos entrevues, l’enjeu le plus important et représente le plus grand défi que doit affronter le leader à distance.

«Je dirige des employés qui se trouvent à Paris et avec qui j’ai l’impression d’être beaucoup plus proche qu’avec d’autres employés qui se trouvent, tout comme moi, à Montréal. Il y a même des collègues avec qui je travaille qui se trouvent dans le même édifice que moi, que je vois régulièrement, de qui j’ai l’impression d’être plus éloigné que de mes employés qui sont à l’étranger. Le fait que nous soyons sur deux continents ne m’empêche pas d’avoir le sentiment qu’il y a très peu de distance entre nous. Parce que nous sommes proches, ça devient facile de communiquer, de travailler en équipe, d’échanger des informations, de nous entraider, etc. Je sens que, s’il y a un pépin, je serai capable de m’en rendre compte rapidement et d’intervenir efficacement. Beaucoup plus qu’avec certains collègues.» (Paul, dirigeant d’une équipe de consultant)

Nous définissons la distance psychologique comme étant la perception du niveau de proximité qu’un individu a envers une autre personne, un groupe ou une organisation. Il s’agit d’une perception qui ne peut se mesurer que par l’impression de l’individu. Par exemple, dans l’extrait ci-dessus, malgré une distance géographique plus grande et une distance temporelle importante, Paul indique qu’il se sent plus proche de ses employés parisiens que de ses employés et collègues montréalais. En d’autres termes, il dit que la distance psychologique qui le sépare de ses collègues et employés de Montréal est plus grande que celle qui existe avec ses employés de Paris.

Une faible distance psychologique permet d’assurer un niveau plus élevé d’engagement des employés, une plus grande cohésion entre les membres, accroît la satisfaction des individus, facilite les communications entre collègues, accélère le processus d’établissement de la confiance, permet la création d’une culture et ultimement augmente la performance des travailleurs. D’autre part, du point de vue du dirigeant, une plus petite distance psychologique facilite le choix des moyens de communication, la résolution de conflits, facilite le contrôle et la coordination, améliore la qualité des interventions afin de motiver, de mobiliser et de guider les employés et facilite l’exercice du e-leadership (Kirk et Belovics, 2006).

Ici, l’adage «loin des yeux, loin du cœur» ne pourrait pas mieux s’appliquer. En effet, les distances géographiques et temporelles qui découlent de l’utilisation intensive de TIC contribuent fortement à accentuer la distance psychologique. Ce n’est pas par hasard que les recherches antérieures ont surtout orienté leur réflexion sur les distances spatiotemporelles. Il s’agit d’un phénomène qui est accessible, visible et observable.

Le fait de se retrouver éloignés les uns des autres a pour effet d’accroître la distance psychologique qui sépare l’employé de son patron, de ses collègues et de l’organisation. Toutefois, puisque la distance psychologique est une question de perception, plusieurs facteurs peuvent entraîner une modification de cette distance. C’est le cas de plusieurs pratiques de direction. Selon nos observations, le principal défi pour un leader à distance qui prévoit établir une relation durable avec son équipe est de parvenir à créer une proximité psychologique entre ses employés et lui.

Cela permet d’avoir une meilleure conscience de ce qui se passe, de mieux interagir, de mieux communiquer, et ainsi d’être plus performant. Puisque les distances psychologiques jouent un rôle critique et peuvent être vues comme étant la pierre angulaire de l’exercice du e-leadership, il est pertinent d’étudier ses pratiques. La partie suivante décrit quatre pratiques clés de direction des personnes, pratiques que nous illustrerons et appuierons par des extraits des entrevues que nous avons menées.

Quatre pratiques clés à privilégier

«On pourrait dire que je suis la colle qui unit tous les morceaux. Je suis l’intermédiaire dans pratiquement toutes les situations. Je fais le lien entre chacun de mes employés et l’entreprise et je fais le lien entre les collègues qui collaborent entre eux. Je dois exercer beaucoup de leadership pour que ça fonctionne bien. Entre autres, je joue un rôle important pour assurer la diffusion et le partage de l’information.

Contrairement au mode face-à-face, je dois être beaucoup plus proactif pour m’assurer que tout le monde est sur la même longueur d’onde, qu’il comprend ce qui se passe et qu’il est informé. C’est très important de bien faire ce travail et d’être très proactif, sinon on perd vite l’intérêt de nos employés, et ça, c’est très risqué lorsqu’on est éloigné.» (Robert, directeur d’équipe dans une entreprise en biotechnologie)

Pour être un leader à distance efficace, il est impératif de bien comprendre les particularités et la dynamique de la direction de personnes à distance. À distance, le rôle du dirigeant est critique. Ce dernier devient l’intermédiaire principal entre l’employé et l’organisation ainsi qu’entre ses subalternes qui doivent collaborer. Le dirigeant est en quelque sorte le centre névralgique des échanges d’informations et des communications.

En raison de cette position et du lien qui l’unit à ses employés, il est l’agent le mieux placé pour influer sur la distance psychologique qui s’installe entre lui et chacun de ses employés et qui sépare chaque employé de l’organisation et de ses collègues. Il s’agit là, sans aucun doute, d’une position clé pouvant contribuer à l’exercice du leadership. Ainsi, sa manière d’être, de communiquer et de se comporter envers chacun de ses employés fait que le dirigeant est en position de modifier substantiellement les distances psychologiques qui se créent avec chaque employé.

Que font concrètement les dirigeants performants qui se trouvent dans cette position clé pour parvenir à réduire les distances psychologiques? Dans cette optique, nous présenterons quatre pratiques de direction que nous avons observées dans nos recherches et que les leaders à distance performants utilisent afin d’exercer efficacement le leadership.

Ces quatre pratiques peuvent être représentées par deux continuums. Deux de ces pratiques insistent sur les communications face-à-face, d’une part, et les communications écrites ou orales, d’autre part. Les deux autres pratiques insistent sur l’importance de se soucier des membres de son équipe comme étant des personnes distinctes, d’une part, et de veiller à promouvoir l’esprit d’équipe, d’autre part (voir le schéma 1).

Privilégier Le face-à-face

«Avant de commencer un projet, j’organise toujours une réunion de trois jours à laquelle j’oblige tous les membres de mon équipe à venir. Habituellement, nous tenons cette réunion dans un endroit agréable comme la Floride ou la Californie. Ça permet d’avoir un climat plus convivial. Officiellement, la raison de cette rencontre est de mettre en branle le projet. Pendant ces trois jours, nous faisons beaucoup de travail. Nous passons environ 12 heures par jour à travailler et ensuite plu- sieurs heures dans des activités sociales comme manger au restaurant ou visiter des musées.

Officieusement, tout le monde sait que le plus important durant ces quelques jours est de permettre à tous les membres d’apprendre à se connaître les uns les autres. Je mets beaucoup d’efforts pour m’assurer que tout le monde a eu la chance de bien se connaître. Si je vois que deux personnes ne se sont pas beaucoup parlé, je m’arrange pour les mettre en contact et créer des occasions de rapprochement. Selon moi, ce type de réunion est indispensable et facilite la réussite d’un projet géré à distance.

C’est à ce moment que l’équipe se forme et devient un tout, que tout prend vie! J’ai déjà essayé de faire un projet à distance sans réunion face-à-face, en utilisant seulement des technologies comme la téléconférence, le courriel et le clavardage. Ça n’a pas aussi bien fonctionné et les membres de mon équipe disaient qu’ils ne se sentaient jamais complètement des membres à part entière de l’équipe. Ce n’est plus le cas mainte- nant. Je ne ferai plus jamais de projet sans débuter par une rencontre face-à-face.» (Manuel, chef de projet dans une entreprise en télécommunications)

Organiser des rencontres face-à-face

Les rencontres face-à-face facilitent grandement l’éclosion d’un sentiment de proximité et contribuent à réduire les dis- tances psychologiques (Golden et al., 2008). Cette pratique est sans aucun doute reconnue par les dirigeants à distance comme étant une excellente pratique de direction. Organiser une rencontre le plus tôt possible lorsqu’il y a de nouveaux membres, de nouveaux employés ou lorsqu’il s’agit d’une nouvelle équipe est sans aucun doute le scénario idéal. Plus cette rencontre se fait rapidement dans le processus, plus il devient facile pour le dirigeant d’intégrer ses nouveaux employés.

Ces rencontres permettent des rapprochements en peu de temps et réduisent les distances psychologiques grâce aux contacts humains, à l’apprentissage et à la connaissance des autres. Cela facilite les communications et la résolution de conflits par la suite, suscite l’émergence d’une confiance mutuelle et permet l’établissement d’une expérience commune qui favorise le développement d’une culture de groupe.

Cependant, ces rencontres semblent surtout efficaces lorsque le dirigeant exerce un leadership durant ces réunions et se sert de ces moments pour créer une cohésion entre les individus. La performance du dirigeant durant ces rencontres joue un rôle important dans l’acceptation de son e-leadership par la suite. Sa manière de se comporter et les messages véhiculés durant cette rencontre exercent une influence considérable sur les échanges subséquents et sur la dynamique du groupe lorsqu’on passe en mode à distance.

«Chaque réunion est unique. Comme dirigeant, je dois toujours m’adapter. Toutefois, j’ai appris avec le temps que, durant ces rencontres, la façon dont je m’adapte et réagis, ce que je fais, ce que je dis, la manière dont je me comporte, mon attitude, tout cela joue un rôle très important par la suite. Ça ressemble à ce qu’on dit par rapport à l’importance de faire une bonne première impression : l’image qu’on donne à ce moment laisse des traces pendant longtemps dans l’esprit des gens. On pourrait dire que durant ces quelques jours, j’établis le code de conduite à adopter par tous et chacun par la suite. Je profite donc de cette occasion pour intervenir régulièrement auprès de mes employés et pour orienter les discussions. Je passe des messages importants sur la manière dont je souhaite que les choses se déroulent, je transmets les valeurs de l’entreprise et celles que je désire avoir dans mon équipe. Bref, je mets la table pour le travail que nous aurons à faire plus tard.» (Yves, superviseur d’équipe au support technique dans une entreprise en télécommunications)

«Le climat qui se crée durant une réunion face-à-face se transporte directement par la suite dans les communications électroniques. Je me sers donc beaucoup de ces réunions pour établir un climat agréable où l’ouverture et la transparence sont omniprésentes. Pour que le travail à distance fonctionne, il faut avoir ces qualités. Ça facilite les communications, surtout lorsque nous avons des dossiers complexes à traiter et que différents points de vue s’expriment. C’est plus difficile de gérer ces affrontements à distance, car on n’arrive pas à tout savoir, à tout voir. Le fait d’avoir établi un climat propice dès le début fait que les gens sont plus à l’écoute, se sentent moins menacés, ont une meilleure idée de la manière dont l’autre va réagir et surtout sont disposés à partager leur point de vue et à participer à la résolution du problème. Cependant, pour que cela fonctionne, il est très important qu’entre chaque réunion de groupe face-à-face je mette beaucoup d’efforts pour maintenir ce climat. C’est la raison pour laquelle je communique régulièrement avec mon équipe à l’aide des technologies.» (Renée, chef d’équipe dans une entreprise de consultation)

Malgré les efforts déployés par la suite par le dirigeant pour maintenir un sentiment de proximité élevé, il semblerait qu’avec le temps, inévitablement, les distances psychologiques s’agrandissent. Ainsi, les dirigeants tendent à organiser périodiquement des rencontres de groupe en mode face-à-face afin de solidifier la qualité des relations entre les gens et de favoriser un sentiment de proximité. Un équilibre entre le travail à distance et les rencontres face-à-face doit donc être trouvé. Comment déterminer adéquatement la durée qui sépare deux rencontres face-à-face?

Il s’agit là d’un défi pour le leader à distance. Sa capacité d’évaluer le bon moment est une compétence non négligeable, puisque des rencontres trop rapprochées engendrent un sentiment d’inutilité chez les employés, entraînent des réticences, des frustrations, une moins grande participation des individus durant les rencontres qui deviennent par conséquent moins fructueuses, affaiblissent la crédibilité du dirigeant et ultimement sa capacité d’exercer un leadership. Tout cela, c’est sans compter les coûts importants que peuvent occasionner les frais de transport et d’hébergement.

À l’inverse, lorsque les rencontres sont trop espacées, un certain détachement émotif survient, ce qui accentue les distances psychologiques, et engendre une forme de retour en arrière où les efforts investis jusque-là deviennent inopérants et où il faut reconstruire les sensations de proximité. De surcroît, la complexité de ce défi est accentuée par le fait qu’il existe des différences individuelles quant au moment perçu comme étant opportun. Bref, la détermination du bon moment pour organiser une rencontre de groupe face-à-face peut devenir une tâche délicate qui nécessite de bonnes habiletés d’écoute, de l’empathie et la capacité du dirigeant de lire l’incertitude et l’ambiguïté qui habitent ses subalternes.

«C’est très difficile de savoir quel est le meilleur moment pour faire une rencontre face-à-face. C’est souvent une question de feeling. Il n’y a pas de règle précise à ce sujet. L’expérience m’apprend qu’il faut être prudent et sensible aux besoins de ses employés. Souvent, le temps est venu et personne ne s’en rend compte. Pour mon groupe, l’écart entre les réunions varie selon les dossiers en cours et selon ma perception de l’état de mon équipe. Si je sens que je commence à les perdre, si je commence à sentir qu’ils s’éloignent, je fais immédiatement les démarches pour convoquer une réunion d’équipe face-à-face.


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Souvent, je m’en rends compte durant une téléconférence. Je sens à ce moment que la dynamique a changé, les gens semblent moins intéressés, moins engagés. Encore là, je ne pourrais pas dire exactement ce qui est différent, mais je sais que ce l’est, je le sens. Il arrive aussi, mais c’est plus rare, qu’un employé me fasse la demande directement. À ce moment, je fais le tour des autres employés pour valider cette demande. Si le besoin semble généralisé, j’organise une réunion.

Sinon, j’attends un peu, mais pas trop longtemps, car si un employé sent ce besoin, il y a sûrement des raisons. J’aime mieux ne pas prendre de risques. Je dirais qu’habituellement l’écart entre les réunions varie de un mois à trois ou quatre mois. La plupart du temps, ça tourne autour de cinq à sept semaines.» (Benoît, chef d’équipe dans une entreprise en multimédia)

Contrer Les distances

Il est important de souligner que ce ne sont pas tous les leaders à distance qui organisent des réunions face-à-face. Pour plusieurs, les coûts rattachés à ces réunions ne sont pas toujours justifiés. C’est le cas, par exemple, des groupes qui ne sont aucunement interdépendants et où les tâches réalisées sont fortement autonomes. Les communications à distance ne permettent pas, à toutes fins utiles, d’atteindre aussi facilement le même niveau de proximité; il n’en demeure pas moins possible de réduire énormément les distances psychologiques à l’aide des TIC.

Par exemple, la richesse qu’offrent plusieurs technologies comme la vidéoconférence, les outils de réalité virtuelle tels que le système Cisco TelePresence et les outils de réseau social tels que Facebook contribuent à diminuer les distances psychologiques. Toutefois, le dirigeant qui n’organise jamais de rencontres face-à-face se doit d’être conscient que le coût en efforts communicationnels est plus important pour établir et maintenir une faible distance psychologique et que les difficultés de rétention du personnel sont plus importantes (Wells, 2001).

«Je ne sens pas le besoin de faire des réunions face-à- face. Mes employés n’ont pas vraiment besoin de collaborer entre eux, et j’arrive à maintenir une belle relation avec chacun d’eux à distance. Pour y parvenir, je communique tous les jours avec eux, juste pour maintenir le lien et m’assurer que tout va bien. Je sais que nous ne pouvons pas répondre à tous les besoins de socialisation qui motivent plusieurs personnes à travailler et qui font habituellement partie du travail. Les personnes que j’ai choisies doivent donc être autonomes et indépendantes, sinon ça ne pourrait pas fonctionner. Il faut qu’elles trouvent d’autres endroits pour établir leur réseau social. Ça ne m’empêche pas de mettre beaucoup d’énergie pour communiquer et pour m’assurer de garder le contact.» (Madeleine, responsable de l’équipe de traduction dans une entreprise biomédicale)

Accorder de l’intérêt aux communications concernant le travail

La position névralgique où se trouve le leader à distance rend ses communications critiques dans l’établissement et le maintien de faibles distances psychologiques. Pour y parvenir, les dirigeants à distance performants transmettent des messages clairs et détaillés, prennent soin de bien définir les rôles, les attentes et les objectifs de chacun, de communiquer de personne à personne, de donner un sens aux messages transmis et de personnaliser leurs interventions. Bref, tous leurs efforts servent à favoriser un sentiment de proximité chez l’employé.

Transmettre des messages clairs et s’assurer qu’ils sont bien compris

«S’il y a quelque chose que j’ai appris en matière de communication à distance, c’est qu’il ne faut jamais tenir pour acquis que les autres comprennent exacte- ment ce que nous voulons dire. S’il existe plusieurs interprétations possibles, c’est certain, elles apparaîtront! Il faut donc être prudent quand on envoie des messages. Il faut faire constamment un suivi afin de s’assurer que les messages sont bien compris et être proactif en demandant beaucoup de rétroactions.» (Pierre, directeur d’équipe dans une entreprise en multimédia)

«Rien de tel que de la confusion pour perdre son monde!» Voilà la réaction de Jacques, superviseur de travailleurs mobiles depuis trois ans, lorsqu’on lui demande ce qu’il pense des défis liés à la communication à distance. Cette affirmation n’a rien d’étonnant. Le fait de ne pas bien comprendre le sens d’un message, de le trouver incomplet, confus, pas assez détaillé, contradictoire, ambigu, etc., joue effectivement un rôle important dans les sensations de proximité.

Plus spécifiquement, l’incertitude et l’ambiguïté qui découlent d’un message perçu comme étant insuffisamment clair ont pour effet d’influer négativement sur la perception des individus et d’agrandir les distances psychologiques (Daft et Lengel, 1986). Cette situation est particulièrement critique dans les communications à distance, puisque le niveau d’interactivité qui permet un ajustement instantané et spontané des messages transmis est plus faible. Il n’est donc pas surprenant de constater que plusieurs leaders à distance nous indiquent à quel point la communication est un défi de taille pour eux.

«Lorsque je rédige un courriel, un texto ou que je laisse un message dans une boîte vocale, je fais très attention à la formulation des phrases et au choix des mots. C’est très important que je m’efforce de bien présenter les faits, des données concrètes, de fournir des exemples précis, il faut que je sois le plus explicite possible dans les messages transmis, particulièrement lorsque j’envoie des messages écrits. En même temps, si j’écris de trop longs messages, on me le reproche et on ne les lit pas en entier. Il faut donc trouver un équilibre et faire preuve de jugement sur ce qui est pertinent à dire. Aussi, il est très important que je choisisse bien le moyen avec lequel je vais transmettre mon message. Parfois, même si je prends toutes les précautions, le risque est trop grand d’envoyer un courriel. C’est le cas, par exemple, lorsque je dois transmettre mes évaluations de rendement annuelles et qu’il y a des rétroactions négatives à donner. Il faut que je contrôle le plus possible la compréhension du message, car ça pourrait facilement dégénérer. Plus le temps passe, plus les dommages causés par une mauvaise compréhension d’un message deviennent difficiles à réparer. C’est pour cette raison qu’idéalement je fais ce genre de rétroaction en face-à-face, mais comme ce n’est pas toujours possible, j’utilise parfois la web- conférence un à un ou encore le téléphone.» (Maureen, chef de service dans une entreprise informatique)

Définir clairement les rôles et les attentes au travail et faire le suivi à ce sujet

«Tandis que le dirigeant cherche à savoir ce que font ses employés afin de mieux communiquer avec eux, de mieux coordonner le travail et de faire le suivi pour s’assurer que tout se passe bien, l’employé, lui, cherche à comprendre les attentes qu’on a envers lui, ce qu’il doit faire, sa place dans l’équipe et dans l’organisation, etc. Comme gestionnaire, mon rôle est de répondre à tous ces besoins. Il est donc essentiel que je m’assure que chaque personne connaît très précisément les objectifs et les livrables qu’elle doit respecter et qu’elle sache qui fait quoi afin d’avoir une compréhension d’ensemble. Cela permet une plus grande autonomie, une meilleure coordination entre les collègues et leur donne le sentiment de faire partie d’un tout, d’être engagés, d’être plus importants.» (Louise, directrice d’une firme de formation)

Tout comme pour la transmission de messages détaillés, précis et clairement compris, les leaders à distance performants sont très sensibles à la clarté de la définition des rôles et des responsabilités de chacun des membres, et surtout à la description des attentes et des objectifs pour chaque individu et pour le groupe dans son ensemble. Ces attentes doivent être les plus précises possible afin de réduire au maximum les risques de confusion qui génèrent de l’incertitude et de l’ambiguïté et conduisent à une augmentation des distances psychologiques.

«C’est très important de bien définir, très tôt, les attentes que nous avons envers chaque individu et envers l’équipe dans son ensemble. Il faut être le plus explicite possible et, idéalement, prendre soin de quantifier clairement ce qui doit être rendu. Pour ma part, je trace une grille qui présente toutes ces informations. Je transmets cette grille par courriel à tous les membres de l’équipe. Ils peuvent alors réagir. Des ajustements sont faits si c’est nécessaire et la grille est transmise de nouveau.

Cet exercice permet à tout le monde d’avoir une idée claire de ce qui se passe dans l’équipe, de savoir qui fait quoi, à quel moment sont les livrables, etc. Plusieurs organisent leur travail en fonction de cette grille par la suite. J’aimerais ajouter que cette grille amène un autre effet intéressant : elle contribue beaucoup à responsabiliser chacun des membres. En ayant une vue d’ensemble, chaque personne se sent plus concernée par ce que les autres font.

Si quelqu’un ne respecte pas son engagement, c’est facile de voir qui est responsable. Habituellement, lorsque ça se produit, je n’ai pas besoin d’intervenir; les autres membres de l’équipe s’en chargent assez rapidement. Puisque les membres de mon équipe sont interdépendants, ils considèrent que c’est un manque de respect lorsqu’une personne ne livre pas à temps le travail sans avertir les autres à l’avance. C’est indirectement un bon moyen de s’assurer que le travail avance bien.» (Éric, chef d’équipe dans une entreprise en télécommunications)

«Il faut être réaliste, les plans qu’on établit en début d’année changent souvent, et c’est normal puisque le marché bouge vite, il faut donc s’adapter continuellement. Je pense que le plus important par rapport à la gestion des résultats est de faire un suivi serré. Il faut mettre à jour continuellement ce que chacun doit livrer et en parler continuellement. Comme dirigeant, mon rôle est de prendre les décisions, de faire les ajustements nécessaires en écoutant mon personnel et de partager l’information avec toute l’équipe, surtout avec les personnes que cela touche.

Pour faciliter ma tâche, j’ai mis sur pied une page sur notre intranet où tout est indiqué. Cette page est visitée par toute mon équipe régulièrement. Avec leur aide, je fais des mises à jour régulièrement. C’est un processus d’actualisation continue! C’est intéressant de constater que ce qui devait être un outil de coordination est devenu un outil de communication central. Ce processus nous rapproche, ça devient en quelque sorte notre espace de rencontre et de partage sur ce qui nous arrive au travail.» (Diane, directrice des ventes dans une entreprise biomédicale)

Se préoccuper des attentes individuelles

Organiser des rencontres individuelles. Un défi important qui se présente au leader à distance est la réduction importante des contacts humains riches en informations non explicites qui facilitent l’émergence d’un sentiment de proximité. Afin de compenser cette absence de contact humain et de réduire les distances psychologiques qui en découlent, les leaders à distance prennent régulièrement le temps de communiquer avec chacun des membres.

Ces échanges se font souvent par téléphone, mais également par courriel, par clavardage, par texto et autres TIC. Il s’agit là d’une occasion pour le dirigeant de se rapprocher de son employé, de faire le point sur sa situation, de lui rappeler certaines valeurs de l’organisation et de l’équipe, de régler des problèmes isolés, etc. Pour y parvenir, les messages sont fortement personnalisés, présentés de manière qu’ils aient du sens pour l’employé et qu’ils répondent à des préoccupations réelles de ce dernier.

«C’est très important de communiquer individuellement avec chacun de mes employés. Chacun d’eux fait face à des situations et à des problèmes particuliers, et mon intervention est souvent utile. Même s’il ne se présente pas de problèmes, c’est important d’aller vers chacune des personnes que je dirige et de parler avec elles. Sinon, un employé risque de se sentir mis de côté et va s’éloigner de nous graduellement. Il sera par la suite beaucoup plus difficile de le motiver, de le faire participer et de le mobiliser. Il est nécessaire de prendre le temps. Il faut être proactif afin de savoir comment chaque personne va, comment les choses se passent pour elle. Je prévois au minimum une discussion individuelle par semaine avec chacun de mes employés. Habituellement, toutefois, je leur parle tous les jours.

Quand tout va bien, ces rendez-vous ont lieu normalement au téléphone et durent une vingtaine de minutes. J’ai souvent découvert des problématiques importantes de cette façon où des employés qui voyaient un problème se pointer me faisaient signe. Pour chacune de ces discussions individuelles, je m’adapte à l’employé avec qui je parle. Chaque fois, je m’assure qu’il sent qu’il participe aux décisions qui suivront, qu’il comprend bien son apport au sein du groupe, qu’il est au courant des progrès du groupe et des attentes que j’ai envers lui. Cela est très important, car ça lui confirme qu’il compte beaucoup pour moi. On pourrait dire que j’agis comme s’il était mon adjoint et qu’il pouvait faire des recommandations, des suggestions, qu’il pouvait véritablement avoir un impact. Et c’est d’ailleurs le cas, je suis sincèrement à l’écoute de toutes les améliorations possibles. Durant chacune de ces discussions, je cherche à faire sentir à mon employé qu’il est précieux pour moi!» (Jerry, directeur dans une entreprise de consultation en TI)

Prendre le temps de connaître et de reconnaître chacun de ses employés. Gérer les distances psychologiques ne veut pas seulement dire s’assurer que les employés se sentent proches de l’entreprise, de leurs collègues et du dirigeant, cela signifie également que le dirigeant doit lui aussi se sentir proche de ses employés.

«Pour que ça marche bien, il faut absolument que je connaisse bien chacun de mes employés. Il faut que j’arrive à comprendre leurs réactions, leurs comportements, à décoder facilement les messages qu’ils m’envoient. Je sais, par exemple, qu’habituellement Murielle est un peu plus angoissée que Michèle, qui, elle, est plutôt du genre «granola». Je n’aborderai donc pas chacune d’elles de la même manière lorsqu’une situation survient. La meilleure façon de parvenir à bien connaître chacun de mes employés est de discuter avec eux de toutes sortes de sujets, de sujets qui dépassent largement le cadre de notre relation professionnelle.

Comme je le dis parfois, ce n’est pas en parlant de nos prévisions de ventes que je vais en apprendre beaucoup sur la personnalité de mes employés. Souvent, je prends un risque. Je téléphone à un employé qui est chez lui cette journée-là et je l’invite à prendre une pause-café avec moi. Même si nous sommes loin l’un de l’autre, nous pouvons prendre une pause-café ensemble! Ça le fait rire et il prend la pause au téléphone avec moi. Nous parlons de tout et de rien pendant quelques instants. C’est comme ça que j’ai découvert, par exemple, que Monique est une «fan finie» du Canadien de Montréal. C’est utile de savoir ce genre de trucs. Ça permet, entre autres, de briser la glace quand on se parle. Je sais que je peux parler de hockey, surtout lorsque le club jouait la veille. Le fait de savoir cela m’a aussi été très utile lorsque venait le moment de la récompenser.

L’autre jour, par exemple, elle avait réussi une très grosse vente, et pour la récompenser, j’ai fait les démarches pour lui dénicher des billets de l’entreprise pour un match du Canadien. Elle était tellement heureuse lorsque je lui ai offert ces billets! Ce genre de choses est très important : ça peut sembler anodin lorsqu’on travaille dans un bureau traditionnel, mais à distance, c’est beaucoup plus difficile à accomplir. Il faut vraiment vouloir, déployer les efforts nécessaires et prendre le temps de le faire.

Nous ne pouvons pas compter sur les conversations à l’heure du lunch où nous aurions la chance de parler ensemble et d’apprendre à nous connaître. Avec les agendas chargés que nous avons, ce n’est pas toujours évident. Il faut vraiment y mettre les efforts. Bien connaître mon monde, ça m’aide énormément à conserver un bon lien avec chacun de mes employés, à ajuster mon style de direction. Et, honnêtement, je dois admettre que je trouve rassurant de savoir que de bonnes personnes travaillent pour moi.» (Carole, directrice des ventes dans une entreprise biomédicale)

Un des avantages pour le leader à distance d’apprendre à bien connaître son personnel réside dans la possibilité de lui porter une attention personnalisée, ce qui a des effets bénéfiques pour réduire les distances psychologiques.

«Pour démontrer à mes employés que je suis là pour eux et que ce qu’ils font m’importe, je leur manifeste régulièrement de petites attentions. Par exemple, je leur envoie un courriel pour leur souhaiter un bon voyage, et lorsqu’ils rentrent chez eux, un autre courriel pour leur souhaiter un bon retour et prendre des nouvelles sur le déroulement de leur séjour. Je leur envoie des vœux de bon anniversaire, je demande des nouvelles de leur famille, je partage des informations sur les spectacles susceptibles de les intéresser ou sur les restaurants que j’ai découverts et qui pourraient, selon moi, leur plaire. J’envoie par la poste des petits cadeaux pour Noël et pour la fête des enfants. Toutes ces petites choses me demandent d’être attentive. Elles sont d’ailleurs très appréciées et contribuent fortement à rapprocher mes employés et à les garder avec nous.» (Monique, chef d’équipe dans une entreprise biomédicale)

Parler d’avenir et de possibilités de carrière ou de développement avec ses employés. Les leaders à distance comprennent la préoccupation majeure qu’ont presque tous les employés : obtenir de l’avancement au sein de l’organisation. Les distances sont perçues par ces derniers comme étant un obstacle important pour atteindre cet objectif. Comme Benoît, un dirigeant et également un employé à distance : «Lorsqu’il y aura un poste, personne ne va penser à moi, car je n’ai pas souvent la chance d’être visible!» Ainsi, les dirigeants performants prennent soin de promouvoir leurs employés au sein de l’organisation et de le faire savoir à ces derniers.

«Régulièrement, je parle de l’avenir avec mes employés. C’est un sujet très important pour eux, auquel ils sont très sensibles. Leur crainte la plus grande est que per- sonne ne pense à eux lorsqu’une promotion se présentera. C’est donc mon rôle de faire la liaison et de promouvoir mes employés. Je me suis rendu compte que ça vaut vraiment la peine de bien faire cela. C’est une corde sensible, et plus je m’occupe de mon monde, plus il me donne en retour! Je prends donc le temps de parler de cette question avec chacun de mes employés.

Mon but est de mieux connaître leurs objectifs de carrière, leurs attentes, de savoir ce qu’ils veulent exactement, où ils se voient dans quelques années. En découvrant cela, je suis mieux outillé pour faire la promotion de chacun d’eux au sein de l’organisation. Il m’arrive d’envoyer un courriel à un collègue pour mettre en valeur les réalisations d’un de mes employés. Évidemment, j’envoie une copie conforme à mon employé. Comme cela, s’il y a une ouverture, le contact est déjà fait. Pour vraiment amener mes employés à se sentir parties intégrantes de l’entreprise, il faut aller plus loin que simplement les informer des offres d’emplois et des ouvertures de pos- tes qu’il y a dans l’entreprise; il faut être proactif et prendre des initiatives concrètes pour les aider à réaliser leurs objectifs. Sinon, les meilleurs quitteront l’entreprise!» (Gaston, directeur dans une entreprise de consultation)

Promouvoir l’esprit d’équipe

Envoyer des messages qui mettent en évidence l’équipe et rappellent les valeurs du groupe. Une autre pratique communicationnelle relativement efficace pour réduire les distances psychologiques et qui est souvent utilisée consiste dans l’envoi de messages communs. Ces messages servent à faire ressortir les réalisations de l’équipe, les réalisations de l’organisation et les succès d’un membre de l’équipe, et à rappeler les valeurs de l’entreprise.

«J’envoie plusieurs fois par semaine des courriels collectifs à tous mes employés. J’appelle ces messages mes courriels pep talk. Par exemple, la semaine dernière, j’ai informé mon équipe que Pierre, un de nos plus anciens employés, annonçait son départ à la retraite. Dans ce message, j’ai pris soin d’indiquer toutes ses réalisations. J’ai également indiqué le nom de chacune des personnes avec qui Pierre avait collaboré. Comme il avait travaillé au moins une fois avec chacun des membres de notre équipe, je savais que je ne laisserais personne de côté.

Ce genre de message a pour effet de rapprocher les gens. Ils se sentent appréciés et importants. Ça crée des liens entre nous. Ça peut paraître anodin, et même enfantin, mais le fait de voir son nom dans un courriel envoyé à tout le monde par le chef d’équipe fait du bien; c’est valorisant. Ça donne le sentiment de faire partie de la famille, d’exister véritablement aux yeux de tous. Comme les membres de mon équipe se sentent parfois isolés, ce type de message les rapproche, et pour cette raison ils sont importants.» (Maxime, chef d’équipe dans une entreprise de transport)

Tout comme dans le cas de la durée optimale entre les rencontres face-à-face, le dirigeant doit trouver un équilibre en ce qui concerne la fréquence de ces messages.

«Je ne sais pas combien de mes messages sont véritablement lus et quel est leur impact réel. Cependant, je sais qu’ils sont importants. Lorsque j’écoute les commentaires de mes employés, je sais que plusieurs de ces messages ont un impact positif. Je me suis aperçu que lorsque j’envoyais de nombreux longs messages, par exemple une quinzaine dans la même semaine, ils étaient beaucoup moins lus et avaient beaucoup moins d’impact. Je crois qu’à ce moment il y a un effet de saturation et que le contenu de mes messages finit pas être banalisé. En tout cas, lorsqu’il y a de nombreux messages de ce type, je n’entends pas beaucoup de commentaires à leur sujet! À l’opposé, lorsque je n’envoie aucun message pendant quelques semaines, je me fais questionner par mon équipe. Les gens aiment ces messages puisqu’ils servent à transmettre des informations sur l’équipe et rapprochent les gens. Souvent, un employé qui «fait la manchette» reçoit de nombreux courriels par la suite et se sent apprécié par l’équipe. Je pense que cette pratique permet de créer un esprit de corps et contribue fortement à maintenir notre culture.» (Bob, chef d’équipe dans une entreprise de transport)

Créer des occasions de socialisation. Dans le but de faciliter les rapprochements et l’émergence d’un sentiment de proximité, les leaders à distance performants tentent de créer de nombreuses occasions afin de permettre aux employés d’établir des rapports entre eux. Ainsi, ils sont habituellement très proactifs en matière de relations interpersonnelles et utilisent toutes les occasions qui se présentent pour créer ces moments d’échanges, sans pour autant les imposer.

«Selon moi, c’est très important d’utiliser des technologies comme des forums et des blogues pour permettre aux gens de discuter et d’établir des rapports sociaux. Par exemple, chez nous, nous utilisons le clavardage pour faciliter le travail. Cependant, je sais que le clavardage est surtout utilisé par mes employés pour des communications personnelles et des échanges de blagues. Mais ça ne me dérange pas; au contraire, ça les aide à mieux se connaître, et c’est une excellente chose pour le travail par la suite. En fin de compte, ça crée une cohésion et un meilleur esprit d’équipe, et tout le monde est gagnant!» (Marc, chef d’équipe dans une entreprise en multimédia)

«J’ai fait installer un blogue pour permettre aux personnes d’y écrire et de partager leurs expériences. Pour être honnête, ils s’en servent peu. Contrairement à ce que je pensais, il faut trop de temps et ça n’intéresse pas beaucoup mon monde. Mais il n’y a pas de problème, ça veut seulement dire que les gens ne sentent pas le besoin de s’exprimer, de discuter. Par contre, l’autre jour, nous étions débordés de travail et tout le monde était en mode panique. Nous devions travailler extrêmement fort pour respecter les délais. C’était vraiment très stressant. À ma grande surprise, malgré la surcharge de travail, le blogue s’est tranquillement mis en vie durant ce moment. Les gens avaient besoin de partager leur stress, leur expérience, et le nombre de billets sur le blogue s’est mis rapidement à augmenter. Cet outil a finalement été très utile durant cette période, car il permettait de sortir de notre isolement quelques instants et de nous rendre compte qu’on n’est pas tout seuls à paniquer!» (Francine, directrice du soutien technique dans une entreprise informatique)

Réviser l’image traditionnelle de La direction des personnes

Dans un mode de travail à distance, les statuts hiérarchiques et les dynamiques de pouvoir ne sont pas les mêmes, et la relation qui unit supérieur et subalterne diffère.

«S’il y a quelque chose qui a changé depuis que je dirige des télétravailleurs, c’est bien la manière de concevoir mon statut de directeur. Lorsque je dirigeais du personnel qui était situé dans le même bureau, tout près de moi, on me disait souvent que je devais garder une certaine distance avec mes employés afin de maintenir mon statut hiérarchique et de mieux faire accepter mes décisions. Aujourd’hui, je ne pourrais jamais faire ça! Je dois plutôt faire le contraire. Pour que ça marche, je dois provoquer des rapprochements, et cela implique que je dois, moi aussi, me laisser découvrir par mes employés afin qu’ils sachent à qui ils ont affaire. Le fait que mes employés me connaissent plus intimement les amène à être plus indulgents, plus ouverts et plus compréhensifs par rapport aux défis que représentent les communications à distance.» (Roger, directeur dans une entreprise de formation)

De toute évidence, ce n’est pas tout le monde qui peut être à l’aise dans un contexte de direction exclusivement à distance et qui est en mesure d’exercer un e-leadership. Quel profil doit avoir le leader à distance idéal? Cette question demeure toujours pertinente et aucune réponse n’a été apportée jusqu’à présent. Toutefois, plusieurs pistes de réflexion s’imposent. Comme nous l’avons observé, la direction à distance nécessite une conception des pratiques de direction diamétralement opposée à la conception classique que nous pouvons représenter par l’image du patron tout-puissant et central qui dirige son personnel en tentant de le motiver grâce à l’attribution de récompenses et de le contrôler par l’utilisation de sanctions.


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Évidemment, cette conception classique est de moins en moins présente dans les organisations, même les plus traditionnelles, et les jours de l’autocrate qui ne fait que récompenser ou punir semblent comptés. Il n’en demeure pas moins que plusieurs racines et certains réflexes demeurent encore présents chez de nombreux dirigeants qui se retrouvent dans plusieurs types d’organisations. Nos recherches nous permettent de constater que le contexte qu’imposent les distances ne donne pas d’autre choix aux dirigeants que de travailler constamment à favoriser un sentiment de proximité chez tous leurs employés. Comme nous l’avons vu, plusieurs pratiques servent essentiellement à gérer les distances psychologiques en tentant de les réduire suffisamment pour per- mettre la réalisation efficace du travail.

Dans ces conditions, le profil du dirigeant à distance performant semble imposer plusieurs compétences indispensables et certains traits de personnalité particuliers : la capacité de comprendre les enjeux et la dynamique de ce contexte particulier, la confiance en soi et dans les autres,