Article publié dans l'édition Automne 2009 de Gestion

L’évaluation demeure encore aujourd’hui un élément central de la gestion des ressources humaines. Elle permet de déterminer jusqu’à quel point les personnes maîtrisent les compétences et les qualités requises par un emploi.

Conséquemment, elle procure une information essentielle en matière de dotation, de formation et de gestion de carrière. Mais qu’en est-il de l’évaluation des compétences dans le contexte de la diversité culturelle? Comment éviter les biais culturels au moment de choisir les nouveaux employés? Doit-on modifier la façon dont les entrevues de sélection sont conduites? L’utilisation de tests psychométriques est-elle toujours appropriée? Voilà autant de questions qui préoccupent les praticiens et qui ont fait l’objet d’un grand nombre de recherches au cours des dernières années (voir l’encadré 1).


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Cet article comporte trois parties. La première partie définit ce qu’est un outil d’évaluation non biaisé sur le plan culturel et montre la difficulté à démontrer ce fait. Des exemples de différences culturelles sont fournis. La deuxième partie présente quatre types d’outils d’évaluation utilisés dans la sélection du personnel en ce qui regarde leur capacité de prédire le rendement dans l’emploi et leur impact négatif sur les minorités culturelles. Enfin, la troisième partie propose des recommandations de nature à aider les organisations à effectuer un processus de sélection équitable, indépendamment de la race ou de l’origine ethnique des candidats.

Les biais et les effets défavorables

La plupart des gestionnaires et des intervenants en gestion des ressources humaines s’entendent sur la nécessité de mettre en place un processus d’évaluation juste et équitable. Après tout, l’objectif de ce processus est d’identifier les personnes les plus compétentes, abstraction faite de leurs caractéristiques biologiques et démographiques. Cette volonté de la société de traiter les gens de façon équitable et non discriminatoire s’est traduite par l’adoption de lois et de règlements qui balisent les pratiques d’évaluation dans l’organisation (voir l’encadré 2).

En matière de sélection du personnel, la question de la discrimination est intimement liée à la présence de biais. Un biais résulte d’un facteur, étranger aux compétences que l’on désire mesurer chez les candidats, qui a pour effet de fausser leurs résultats (American Educational Research Association, 1999).

Par exemple, une question d’examen qui contiendrait une expression qui n’est pas connue d’un groupe de candidats aurait pour effet de diminuer injustement leurs résultats à cet examen. Cependant, contrairement à la croyance répandue, une différence dans les résultats à un instrument de sélection entre deux groupes de personnes ne signifie pas forcément qu’il y a un biais. Ainsi, le fait que des personnes plus âgées réussissent moins bien que des personnes plus jeunes un test de mémoire ne constitue pas nécessairement un biais. Il se peut simplement que les plus âgés possèdent moins la capacité mesurée par le test en question.

Ainsi, un processus de sélection est non biaisé lorsque des personnes qui ont le même niveau de compétences pour l’emploi ont les mêmes chances d’être sélectionnées, peu importe le groupe auquel elles appartiennent1. Suivant ce principe, si une personne d’une origine ethnique différente est aussi compétente qu’un Québécois blanc, elle devrait avoir exactement les mêmes chances que ce dernier d’être choisie. Mais comment peut-on déterminer si les deux personnes possèdent le même niveau de compétences et ainsi vérifier la présence de biais dans les outils d’évaluation?

Aussi clair et explicite que puisse paraître ce principe, il n’y a pas de moyens directs pour déterminer la présence de biais dans un processus de sélection. En outre, aucun des moyens disponibles n’est infaillible, à part, bien sûr, pour un cas évident de discrimination directe (encadré 2). D’abord, sur le plan individuel, il est impossible de connaître avec certitude le niveau de compétences d’une personne en particulier. Il faudrait disposer d’outils d’évaluation parfaitement valides, une condition qui dépasse nos moyens actuels. Sans cette information, on ne peut déterminer si la différence observée entre deux individus est réelle ou due à un biais. Ensuite, sur le plan collectif, pour qu’une différence observée entre deux groupes de candidats soit considérée comme un biais, par exemple entre des Blancs et des Noirs, il faudrait pouvoir présumer que ces deux groupes sont parfaitement équivalents quant à la compétence mesurée par l’instrument en cause, ce qui est habituellement impossible dans un processus de sélection.

Par contre, la situation est différente pour ce qui est des effets défavorables, c’est-à-dire lorsqu’un groupe de candidats obtient des résultats systématiquement plus faibles qu’un autre groupe (encadré 2). Non seulement il est possible de détecter les effets défavorables, mais il est souhaitable de le faire, car un processus ou un outil de sélection donnant lieu à un de tels effets doit être considéré avec une extrême prudence. D’une part, il se peut que cet effet défavorable soit causé par un biais et qu’il faille essayer d’y remédier. D’autre part, la présence d’un effet défavorable peut provoquer un litige, ce qui forcera l’organisation à démontrer qu’il n’y a pas de biais et que la compétence ainsi mesurée est justifiée par l’emploi.

Pour détecter les effets défavorables dans les instruments de sélection, de nombreuses méthodes ont été proposées (voir l’encadré 3). Sur la base de ces approches, notamment celles recourant à l’indice d de Cohen (1988), les études ont révélé que certains instruments de sélection étaient plus susceptibles que d’autres d’entraîner des effets défavorables. Nous verrons ce qu’il en est pour l’entrevue de sélection et pour différents tests psychométriques.

L’entrevue de sélection

L’entrevue est l’outil de sélection du personnel le plus utilisé par les organisations en Amérique du Nord (Boudrias et al., 2008; Durivage et Guindon, 2008). On distingue les entrevues selon leur degré de structure : plus les composantes d’une entrevue sont standardisées (par exemple, questions, séquence, grille d’évaluation), plus cette entrevue est structurée. Les études démontrent que les entrevues structurées sont nettement plus efficaces pour évaluer les candidats que les entrevues non structurées (Pettersen et Durivage, 2006). De plus, elles seraient davantage conformes à l’esprit des lois qui encadrent la sélection du personnel, seraient plus faciles à défendre en cas de litige et seraient perçues comme plus équitables par les candidats (Catano et al., 2005).

Malheureusement, l’entrevue n’échappe pas au risque d’engendrer des effets défavorables au détriment des minorités culturelles qui peuvent être modérés à élevés (Huffcutt et Roth, 1998; Roth et al., 2001).. Certaines variables, telles que le niveau de complexité des questions posées, pourraient aggraver la situation. De la même manière, des différences culturelles entre intervieweurs et candidats peuvent nuire à ces derniers. L’intervieweur doit alors chercher à interpréter les comportements et le sens des mots en fonction de la culture du candidat. Voici quelques exemples pouvant servir de guide, tirés principalement des travaux de Laroche et Rutherford (2007).

Quelques exemples de différences culturelles

L’aspect temporel. Le temps est considéré différemment selon les cultures et le concept de ponctualité varie grandement d’un pays à l’autre. Par exemple, se présenter avec 20 minutes de retard n’est pas chose rare dans la culture latino-américaine, qui juge ce délai acceptable. Ainsi, un candidat issu de cette culture pourra juger tout à fait convenable de se présenter avec 5 ou 10 minutes de retard à une entrevue, ce qui sera toutefois perçu négativement par les membres du comité de sélection.

Par ailleurs, il importe de prêter attention à la date et à l’heure prévues pour une entrevue puisque celles-ci peuvent poser problème pour certaines personnes. Ce pourrait être le cas de candidats de confession musulmane qui préféreront éviter une entrevue le vendredi après-midi, une période consacrée à la prière. Pareillement, une personne pourrait vouloir éviter une rencontre pendant une fête religieuse. Il faut donc faire montre de tolérance et adapter ses pratiques dans la mesure du possible.

Les salutations.

La façon d’aborder les gens et d’entamer une conversation varie d’une culture à l’autre. Serrer la main, par exemple, ne suit pas un code universel. En Amérique du Nord, on s’attend à ce que la poignée de main soit ferme et qu’elle se limite à deux ou trois mouvements du haut vers le bas. Dans d’autres parties du monde, en Asie de l’Est notamment, les personnes ont plutôt tendance à serrer la main de façon délicate. Pour leur part, certaines personnes musulmanes préfèrent saluer les gens d’un signe de tête plutôt que de leur serrer la main. Finalement, les Sud-Américains ont tendance à serrer longuement la main de leur interlocuteur. Voilà autant de pratiques différentes susceptibles de déstabiliser les membres du comité de sélection qui ne sont pas sensibilisés à ces variantes.

L’introduction d’une entrevue.

Plusieurs entrevues débutent par une discussion informelle ayant pour but de briser la glace et d’établir un lien avec le candidat. Or, ce qui est considéré comme un sujet de conversation approprié dans certaines cultures pourrait ne pas l’être dans d’autres. Par exemple, plusieurs personnes venant de l’Europe latine peuvent vouloir discuter de leur famille ou de sujets politiques. Les Canadiens parleront peut-être du temps qu’il fait, de la circulation ou du dernier match de hockey, alors que les Américains préféreront discuter de football ou de baseball. Ce qui semblera une bonne introduction pour certains (par exemple, parler du temps) pourra paraître froid et distant pour d’autres qui s’attendraient à ce qu’on touche à des sujets plus personnels. On peut remédier à cette difficulté en adoptant une approche mixte : aborder les gens avec un sujet neutre (par exemple, le temps qu’il fait) tout en étant chaleureux (indiquer qu’on est heureux d’accueillir sa candidature pour le poste). On peut aussi laisser un peu de temps au candidat afin qu’il approche le comité de sélection à sa façon.

Le temps de parole.

En Amérique du Nord, il est d’usage que chaque personne parle à tour de rôle. Une courte pause à la fin d’une phrase indique habituellement à l’interlocuteur qu’il peut prendre la parole. Mais cette façon de se comporter n’est pas universelle. Par exemple, dans les pays latins, au Moyen-Orient et en Asie du Sud, il est normal que plusieurs personnes parlent en même temps. Dans ces cultures, interrompre l’autre peut indiquer à quel point le message est intéressant et à quel point on a hâte d’y réagir. À l’inverse, plusieurs personnes venant de l’Asie de l’Est ne répondront que lorsque leur interlocuteur aura fait une longue pause à la fin d’une phrase.

Ce temps de silence démontre que ce qui a été dit est d’un grand intérêt et qu’il est nécessaire d’y réfléchir avant de répondre. Pour les intervieweurs d’ici, ces comportements pourront prendre une tout autre signification. Une personne qui répond avant qu’on n’ait terminé une phrase sera perçue comme impolie, alors qu’une personne qui prendra beaucoup de temps avant de répondre créera un malaise chez l’intervieweur. Pourtant, dans les deux cas, les personnes visent le même objectif : démontrer que ce qui a été dit est d’un grand intérêt. Pour éviter cette confusion, l’intervieweur pourrait préciser les règles en début d’entrevue (par exemple, «On vous demande d’attendre que les questions soient formulées au complet avant de répondre») et laisser suffisamment de temps de réflexion aux personnes avant qu’elles ne commencent leur réponse.

La démonstration d’émotions.

Les cultures se distinguent en ce qui concerne la gamme d’émotions qu’il est acceptable de manifester en public. En Amérique du Nord, on s’attend à ce que les gens maîtrisent leurs émotions et qu’ils soient généralement peu démonstratifs. Cependant, dans plusieurs cultures, dont celles des pays latins et des pays arabes, on favorise l’expression des émotions comme un moyen de communication ou de résolution de problèmes. À l’opposé, en Asie de l’Est, on a plutôt tendance à ne démontrer aucune émotion, ce qui risque d’être interprété faussement comme un manque d’intérêt. Dans la mesure où l’expression des émotions n’est pas exagérée, il est recommandé à l’intervieweur de faire preuve de tolérance.

Le langage non verbal.

Les gestes et les mouvements du corps font partie de la communication. Établir un contact visuel, sourire ou hocher la tête en guise d’acquiescement sont des gestes qui ont une signification commune pour les personnes d’une même culture. Mais d’une culture à l’autre, ces comportements peuvent créer de la confusion. Par exemple, le sourire est considéré comme un signe d’embarras en Asie de l’Est. Les Allemands, pour leur part, n’ont tendance à sourire que lorsque cela est nécessaire. En Bulgarie et dans certaines parties de la Grèce, un hochement de tête vers le bas dans un seul mouvement sec signifie un désaccord plutôt qu’un acquiescement. En Inde, balancer la tête de gauche à droite exprime un accord plutôt qu’un désaccord. Le contact visuel peut aussi être une source de malentendus. En Amérique du Nord, établir un contact visuel fréquent est perçu comme un signe d’intérêt, de respect et d’honnêteté. Par contre, en Asie de l’Est ou au Moyen-Orient, l’établissement d’un contact visuel peut être jugé comme un manque de respect envers l’autre.


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En revanche, les Mexicains et les Italiens ont tendance à fixer leur interlocuteur en signe d’intérêt, un comportement qui pourra être perçu ailleurs comme une marque d’agression. Quant au toucher, il prend différentes formes selon les cultures. Au Canada, les touchers sont brefs. On serre la main d’une personne et, à la limite, on lui touche l’épaule. Par contre, dans certains pays africains, garder la main de quelqu’un pendant un long moment est considéré comme un geste d’amitié. Dans d’autres parties du monde, toucher les autres fréquemment fait partie d’une communication normale. Étant donné la grande variété des comportements et leurs significations à travers les cultures, il est fortement recommandé aux intervieweurs de s’en tenir aux propos exprimés par les candidats et d’éviter de noter les comportements non verbaux ou d’y chercher des significations.

L’importance de la hiérarchie. En Amérique du Nord, les gens accordent souvent plus d’importance à la compétence d’une personne qu’à son titre ou à son rang. À l’inverse, plusieurs personnes venant d’autres pays accorderont une grande importance à la hiérarchie. Il est possible que des candidats démontrent un respect démesuré à la personne en position d’autorité, restent debout jusqu’à ce qu’on leur donne la permission de s’asseoir ou insistent pour qu’un membre du jury entre le premier dans la pièce. Dans certains cas, ils pourraient avoir tendance à ne prêter attention qu’à la personne qui semble avoir le plus d’autorité. Ainsi, afin d’aider les candidats à mieux connaître les manières locales de se comporter en entrevue, il pourrait être utile de les informer à l’avance par le biais d’une brochure ou d’un site Web.

L’accomplissement personnel. Certaines cultures n’encouragent pas la démonstration de l’accomplissement personnel et valorisent plutôt les réalisations de groupe. Pourtant, l’expression de réalisations personnelles est un des éléments les plus recherchés dans les entrevues. Ainsi, les candidats d’origine asiatique ou indienne pourraient être désavantagés par rapport aux candidats nord-américains, puisque leurs cultures ne favorisent pas une telle démonstration. À l’inverse, certains Américains auront tendance à étoffer leurs réalisations et pourront être perçus comme prétentieux. Dans chacun de ces cas, il est recommandé de poser aux candidats autant de sous-questions qu’il est nécessaire afin de bien comprendre la nature de leurs réalisations. Il vaut mieux ne pas s’en tenir aux réponses initiales des candidats, particulièrement lorsqu’elles sont trop succinctes ou qu’elles paraissent exagérées.

Ces exemples de différences culturelles devraient suffire à convaincre les intervieweurs de la nécessité de garder un esprit ouvert et de s’adapter aux situations. Cela ne veut pas dire qu’il faille changer ses façons de faire au point de renoncer à évaluer des critères de sélection requis par l’emploi ciblé. Si des barrières culturelles font qu’une personne ne peut respecter ces critères, il est légitime de ne pas retenir sa candidature. En même temps, la jurisprudence en matière de droits de la personne indique que les organisations ont un devoir d’accommodement et qu’elles doivent faire montre d’imagination et de créativité pour accomplir ce devoir.

Notons en terminant que la création d’un jury d’entrevue est généralement préférable à la présence d’une seule personne. En effet, la présence de plusieurs évaluateurs diminue les biais, les oublis et les risques d’inférences inappropriées. Elle améliore la qualité des évaluations, facilite la défense en cas de litige et augmente l’apparence d’objectivité. Il est souvent bénéfique qu’un professionnel des ressources humaines fasse partie du jury, particulièrement si cette personne a reçu une formation en matière de diversité culturelle. En outre, lorsque plusieurs candidats sont issus d’une même culture, il est utile qu’un des membres du jury fasse partie de cette culture ou soit familier avec elle. Finalement, une formation même minimale à la diversité culturelle des membres du comité de sélection permet de limiter les jugements hâtifs et de réduire la confusion face aux comportements culturels. Plus ils seront sensibilisés à la diversité culturelle, plus ils seront en mesure de comprendre les personnes appartenant à différentes cultures et plus ils pourront ajuster leur évaluation en conséquence.

Les tests psychométriques

Il existe diverses catégories de tests psychométriques, dont les plus utilisés dans la sélection du personnel sont les tests d’habiletés cognitives et les inventaires de personnalité. On trouve aussi une nouvelle catégorie de tests qui gagne en popularité depuis une quinzaine d’années, soit les tests de jugement situationnel (Weekley et Ployhart, 2006). Sur le plan de la capacité de prédire le rendement dans l’emploi et sur celui des effets défavorables, ces diverses catégories de tests sont fort différentes.

Les tests d’habiletés cognitives

Parmi les habiletés cognitives mesurées par les tests psychométriques, mentionnons l’intelligence générale (communément appelée «facteur g») et diverses habiletés mentales comme la mémoire, la compréhension verbale, le raisonnement ou l’orientation spatiale (Carroll, 1993; Durivage et Pettersen, 2009). De tous les outils employés dans la sélection du personnel, les tests d’habiletés mentales, particulièrement ceux portant sur l’intelligence générale, sont parmi les plus efficaces pour prédire le rendement dans l’emploi ou l’acquisition de connaissances2. Cependant, ces tests donnent lieu à des effets défavorables prononcés concernant les minorités visibles, sauf dans le cas des personnes d’origine asiatique où l’effet les favoriserait légèrement3.

Est-ce à dire que certains groupes seraient moins intelligents que d’autres? Ces résultats doivent être interprétés avec la plus grande prudence. Des variables autres que l’intelligence peuvent expliquer ces différences entre les groupes, notamment l’anxiété, l’adoption de stratégies distinctes de résolution de problèmes et le format des tests (Arthur et al., 2002). Par exemple, la différence entre les Blancs et les Noirs diminue substantiellement lorsqu’un test d’habiletés cognitives est composé de questions à développement plutôt que de questions à choix multiple.

Mais peu importe l’explication, le fait demeure que les tests d’habiletés mentales peuvent créer des effets défavorables considérables envers certaines minorités. Avant de recourir à ces tests, il faut donc s’assurer que les habiletés qu’ils mesurent sont essentielles pour l’emploi. Et si c’est le cas, il convient d’examiner la possibilité d’avoir recours à d’autres outils moins vulnérables aux effets défavorables, comme des tests de jugement situationnel (McDaniel et al., 2007; Nguyen et al., 2005). Il faudra aussi se tenir prêt à en défendre la pertinence par rapport à l’emploi, le cas échéant.

Les inventaires de personnalité

Le regain de popularité que connaît l’usage des inventaires de personnalité pour la sélection du personnel est relativement récent. Il est sans doute attribuable, du moins en partie, à des travaux qui ont permis de mieux définir la personnalité et surtout de démontrer que ces inventaires peuvent prédire le rendement dans l’emploi, même modestement4. Sur le plan des effets défavorables, les inventaires de personnalité, élaborés en fonction des normes professionnelles reconnues, ne semblent pas défavoriser les groupes minoritaires (Miclette et al., 2006) et ils pourraient même les avantager légèrement (Hough, 1998; Ones et Anderson, 2002). Ces résultats pourraient s’expliquer par le fait que certaines cultures favoriseraient davantage l’adoption de comportements valorisés par les organisations, notamment en ce qui concerne les relations interpersonnelles et le fait d’être consciencieux. L’usage des inventaires de personnalité dans le contexte de la sélection pourrait donc atténuer l’effet défavorable créé par d’autres outils d’évaluation.

Les tests de jugement situationnel

Les tests de jugement situationnel sont composés de courtes descriptions de situations typiques qui arrivent au travail et pour lesquels on demande au candidat d’indiquer, parmi les choix de réponses suggérées, ce qu’il ferait ou ce qu’il faudrait faire. La capacité de ces tests de prédire le rendement dans l’emploi est relativement bonne, selon une étude récente (McDaniel et al., 2007). De plus, leur validité apparente en fait des tests particulièrement appréciés par les candidats (Chan et Schmitt, 1997).

En ce qui a trait aux effets défavorables au regard des minorités, Nguyen et al. (2005) ont observé des indices d d’environ 0,40, soit un niveau modéré. Une des solutions à explorer pour diminuer ces impacts adverses (adverse impact) serait de recourir à des mises en situation mesurant davantage les habiletés relationnelles que les habiletés cognitives, ce qui aurait aussi l’avantage d’en faire des mesures complémentaires aux deux catégories de tests précédentes.

Recommandations

Les organisations qui souhaitent embaucher les personnes les plus qualifiées pour occuper un emploi, peu importe l’origine ethnique de ces dernières, peuvent prendre des mesures pour atténuer les biais et ainsi assurer l’équité de leur processus de sélection. Le choix des actions à entreprendre déprendra du contexte de chaque organisation, de la nature de son processus de sélection ainsi que des avantages et des inconvénients sur les plans financier, temporel et humain. Voici tout de même quelques recommandations générales.

Un processus de sélection du personnel doit se baser sur une analyse rigoureuse de l’emploi5. Les normes professionnelles ainsi que l’esprit des lois et des énoncés de politique qui encadrent la dotation exigent que tout outil d’évaluation soit pertinent pour l’emploi. Il est essentiel que les compétences et les qualités exigées des candidats soient nécessaires pour accomplir correctement les diverses tâches de l’emploi. Toutes les compétences ou qualités superflues, et plus spécifiquement celles qui peuvent avoir une connotation culturelle, doivent être éliminées.


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Les organisations ont la responsabilité d’utiliser des instruments d’évaluation valides et fidèles qui entraîneront le moins d’effets défavorables possible. Lorsque la situation le permet, il est préférable de faire appel à des tests qui n’avantageront pas un groupe au détriment d’un autre. Par exemple, si on sait que certaines habiletés techniques peuvent être apprises dans des délais raisonnables à la suite de l’embauche, on pourrait opter pour un inventaire de personnalité ou pour un test de jugement situationnel visant à mesurer les habiletés relationnelles plutôt que pour des tests d’habiletés techniques qui provoquent généralement plus d’effets défavorables.

Il est parfois possible d’adopter des approches psychométriques qui neutralisent ou atténuent les effets défavorables inhérents à certains outils d’évaluation. Par exemple, on peut recourir à des normes ou à des bandes de sélection propres à chaque population, ou employer des scores composites formés de plusieurs outils d’évaluation (Klinger et Schuler, 2004). L’usage de ces approches peut être complexe et doit être considéré à la lumière des lois et des politiques concernées6.

Peu importe leur origine ethnique ou leur appartenance culturelle, la plupart des candidats sont désireux de réussir et sont prêts à déployer les efforts nécessaires afin d’être choisis par l’organisation. Cependant, plusieurs ne savent pas comment se préparer adéquatement à une entrevue ou à un processus de sélection. Le fait d’informer les candidats à l’avance des critères de sélection qui seront utilisés peut les aider, tout comme le fait de donner des explications sur le processus de sélection, les outils d’évaluation et même le type de questions susceptibles d’être posées en entrevue.

Ainsi, si on indique aux candidats qu’ils auront à donner en entrevue des exemples de leurs réalisations, cela leur permettra de mieux comprendre les attentes de l’organisation et de se préparer en conséquence. Certaines organisations utilisent leur site Web ou distribuent des brochures à cet effet. En bref, lorsqu’on démontre de la tolérance et de l’ouverture d’esprit face à la diversité, cela favorise l’intégration dans l’emploi de personnes appartenant à des cultures différentes et assure le maintien d’une main-d’œuvre compétente et diversifiée.


Notes

1 Voir Arvey et Faley (1988), Guion (1998), Equal Employment Opportunity Commission (1978), Hartigan et Wigdor (1989).

2 Voir Bobko et al. (2005), Ployhart et Holtz (2008), Schmidt et Hunter (1998).

3 Voir Arthur et al. (2002), Chan et Schmitt (1997), Hough et al. (2001), Ployhart et Holtz (2008), Roth et al. (2001), Shmitt et al. (1996).

4 Voir Barrick et Mount (1991, 1996), Hurtz et Donovan (2000), McCrae et Costa (1990), McCrae et John (1992), Ones et al. (1993), Salgado (1998).

5 L’analyse d’emploi est une spécialité très vaste et de nombreux ouvrages y sont consacrés. Pour en connaître plus à ce sujet, consulter Brannick et Levine (2002), Gatewood et Feild (2001), Goldstein et al. (1993), Pettersen (2000), Schmitt et Chan (1998).

6 Voir Campion et al. (2001), Cascio et al. (1995), Hough et al. (2001), Ployhart et Holtz (2008).

7 Voir Cohen (1988), Sackett et Ellingson (1997), Ryan et al. (1998), Hough et al. (2001), Potosky et al. (2005), Roth et al. (2006).

8 Voir Bobko et Roth (2004), Jeanneret (2005), Morris et Lobsenz (2000), Roth et al. (2006), Sackett et Ellingson (1997), Siskin et Trippi (2005), Vining et al. (1986), York (2002).

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