Article publié dans l'édition Été 2020 de Gestion

Plusieurs équipes ne savent plus où donner de la tête tellement les projets de changement se succèdent et transforment leur quotidien. Cependant, d’autres sont capables de changer et sont prêtes à le faire rapidement. Pourquoi ?

On peut se demander pourquoi des équipes réussissent à avancer dans la même direction, et ce, même s’il existe plusieurs destinations potentielles. En revanche, certaines démarches en apparence bien réfléchies ne semblent pas toujours avoir beaucoup de sens. Ces questionnements nous amènent donc à réfléchir aux mécanismes qui permettent de créer du sens, c’est-à-dire de traduire verticalement et d’intégrer horizontalement les changements dans une organisation.

Quand la communication du changement ne suffit pas

La quête de sens est un souci partagé par l’ensemble des acteurs d’une organisation, et ce, surtout dans des contextes dynamiques et turbulents comme ceux d’aujourd’hui. Au cours de nos observations1, nous avons constaté que les changements sont habituellement communiqués aux employés en mettant l’accent sur une logique systémique. Par exemple, on légitime souvent les changements à partir d’indicateurs de performance signalant un certain retard à rattraper (une perte de productivité, par exemple), à cause de la désuétude d’un système d’exploitation ou en raison de la sous-optimisation des synergies entre les différentes unités de l’organisation.


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Par la suite, la solution – toujours à caractère systémique – est expliquée et justifiée, qu’il s’agisse de la mise en marche d’un nouveau processus, de l’implantation ou de la mise à jour d’un système informatique, voire de la fusion ou de la réorganisation d’unités administratives. Enfin, les projets de changement plus détaillés incluront la fixation d’objectifs, une fois de plus exprimés dans un langage à saveur systémique et peu porteurs de vision pour les employés (l’atteinte d’un niveau de productivité adéquat, par exemple). Or, malgré les efforts déployés pour qu’il y ait cohérence entre le problème et la solution apportée, il arrive encore que des équipes se braquent et résistent dès l’annonce d’un changement. Pourquoi ?

Pour une raison bien simple : même si la logique systémique est nécessaire à la communication du changement et constitue souvent le changement lui-même, elle est rarement porteuse de sens. Outre les équipes chargées de la mise en œuvre de la solution proposée, ce n’est pas à partir de cette logique que les autres membres de l’organisation pourront avoir une vision transformationnelle qui les incitera à s’engager dans le processus. Compte tenu du fait que les solutions sont souvent communiquées selon une logique systémique, c’est-à-dire en fonction de systèmes de contrôle destinés à en permettre l’implantation, on demande en quelque sorte aux équipes et aux gestionnaires de suivre aveuglément la direction établie par les changements.

Ce phénomène se traduit parfois par des équipes désorientées dès le départ, et ce, d’autant plus que leur gestionnaire a annoncé les trans- formations à venir par courriel avec la mention « Urgent ! », sinon par un dis- cours débutant comme ceci : « La direction m’a demandé de vous dire que… » Le gestionnaire ne parvient donc plus à agir comme une courroie de transmission et de communication des changements.

Du changement de stratégie à l’expérience quotidienne

Les équipes capables de changer et résilientes sont plutôt celles où les gestionnaires et les leaders jouent le rôle de traducteurs. Ils sont en mesure non seulement de traduire la nature systémique des projets sous forme d’explications stratégiques mais aussi d’ancrer les changements dans une certaine forme d’expérience humaine. C’est ce que nous nommons la traduction verticale du changement.

Par exemple, le remplacement d’un système de gestion de la relation client (GRC) afin de rattraper un retard sur le marché n’est pas une vision transformationnelle très excitante, on en conviendra. Cependant, une traduction verticale vers le volet stratégique pourrait servir à présenter ce changement comme une étape importante vers la numérisation de l’expérience employé/client de l’entreprise. Ainsi, en une seule phrase, on peut déjà voir le début d’une séquence des changements immédiats et futurs, de même qu’une image de l’organisation en devenir.

C’est également dans cette traduction verticale vers la dimension humaine que les employés pourront se représenter la démarche et les conséquences opérationnelles du changement. Ce même remplacement de la solution GRC pourrait aussi être un pas vers le travail collaboratif au quotidien, voire vers l’évitement des vases clos, qui peuvent être exaspérants. Ici, seul le gestionnaire peut jouer ce rôle de traducteur : en règle générale, le service des communications et la haute direction n’ont pas un regard personnalisé et adapté au parcours de chaque équipe.

L’intégration du changement

Le défi consiste à traduire non seulement le sens vertical mais aussi le sens horizontal du changement afin d’analyser la solution proposée en fonction des irritants, des enjeux et des objectifs. Par exemple, selon une logique systémique, le remplacement du système GRC (c’est- à-dire la solution proposée) peut être perçu comme une réponse aux irritants et aux problèmes inhérents à une synergie de vente sous-optimale ou à l’incompatibilité d’un système informatique devenu obsolète. De prime abord, les objectifs reposent souvent sur le suivi du pourcentage d’utilisateurs, sur la qualité de l’information et sur l’atteinte de cibles de vente. En revanche, pour une équipe en situation de changement, le défi réside plus particulièrement dans l’intégration horizontale de l’expérience humaine du changement lui-même.

L’exploitation d’un système GRC désuet peut provoquer un sentiment de frustration chez les employés pour plusieurs raisons : tâches répétitives, problèmes de fonctionnement des logiciels, incompatibilité avec les systèmes informatiques des autres services de l’entreprise, etc. Ici, grâce à l’intégration horizontale, on doit chercher à bâtir une vision en fonction de ces irritants afin de les transformer en occasions à saisir par l’équipe concernée en matière de gestion du changement. Selon une logique humaine, l’adoption de la solution proposée (c’est-à-dire l’implantation du système GRC) n’a plus pour but premier d’améliorer la productivité : elle consiste alors à simplifier les tâches des employés, à éviter les problèmes informatiques et à faciliter la collaboration avec les autres équipes de l’organisation. Il importe donc de définir les irritants et de circonscrire les menaces que représente le changement pour une équipe.

La gestion des sentiments suscités par ces irritants devient alors une préoccupation centrale2. Cependant, il ne faut ni chercher à apporter des réponses ni même tenter de vaincre ces sentiments comme s’il s’agissait de problèmes à résoudre. L’accent doit plutôt être mis sur leur gestion et sur l’intégration de ces réactions dans le travail de réflexion de l’équipe, et ce, en leur accordant la même importance qu’aux sujets de discussion habituels, par exemple les échéanciers et les objectifs du projet.

D’ailleurs, les équipes aptes à changer sont souvent celles qui savent transformer les irritants opérationnels quotidiens en occasions adaptées aux changements proposés. Elles savent par exemple tirer profit d’ateliers destinés à mettre en commun et à utiliser leurs préoccupations afin de guetter et de saisir ces occasions favorables. Dès lors, l’engagement collectif et l’appropriation des changements sont plus faciles pour les membres de ces équipes.

Des employés en quête de sens

La création de sens pour un changement particulier passe par sa traduction verticale et par l’intégration horizontale de ses effets. La matrice de création de sens transformationnel (voir le tableau à la page suivante) peut servir d’outil de vérification de la logique des projets de changement. En remplissant chacune des colonnes, des rangées et des lignes diagonales, une certaine cohérence doit apparaître entre les dimensions stratégiques, systémiques et humaines du changement, sans oublier les irritants, les solutions et les objectifs visés.

Qu’en est-il lorsque les équipes doivent composer avec plusieurs changements simultanés ? Le sens devient alors une question de cohérence entre les changements définis par l’organisation. C’est grâce à la juxtaposition des diverses grilles d’orientation des changements qu’on peut découvrir les contradictions potentielles. En effet, si on demande à une équipe d’introduire à la fois un changement axé sur une logique stratégique d’innovation et un autre changement fondé sur une logique de rationalisation, il est très probable que ses membres éprouveront de la confusion ou sombreront dans le scepticisme en ce qui concerne l’atteinte des objectifs visés par l’organisation.


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Puisque certaines équipes peuvent jongler avec plusieurs changements à la fois, le nombre de contradictions potentielles risque d’augmenter de façon exponentielle. La création de sens passe donc nécessairement par un processus de planification, de traduction et d’intégration.

La création de sens transformationnel

Pour chacun des projets de changement menés dans votre organisation, complétez cette grille afin d’en découvrir les contradictions potentielles.

Traduction et intégration

Irritants et enjeux              (passé)

Solutions de changement (présent) Objectifs visés                    (futur)

Volet stratégique

     

Volet systématique

     

Volet humain

     

Article écrit en collaboration avec Emmanuelle Gril, journaliste.


Notes

1 Autissier, D., Johnson, K. J., et Métais-Wiersch, E., Du changement à la transformation, Malakoff (France), Dunod, coll. « Stratégie d’entreprise », 2018, 256 pages.

2 Voir Bareil, C., Gérer le volet humain du changement, Montréal, Transcontinental, 2004, 216 pages.