Article publié dans l'édition Été 2020 de Gestion

Peu d’organisations peuvent aujourd’hui se soustraire à l’impératif de la transformation. Les environnements d’affaires sont en reconfiguration constante, à tel point qu’on parle de plus en plus du côté obscur du changement. Mais comment savoir qu’une entreprise a atteint le point de non-retour et sombre dans l’excès ?

Le rythme des changements s’accélère, de même que leur complexité », affirme d’emblée Caroline Ménard, présidente de Brio Conseils, une firme spécialisée en transformation organisationnelle. « Les grandes crises, le virage technologique et même les changements climatiques imposent des remises en question quant à la direction à prendre. »


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Si la nécessité de se transformer touche les entreprises de toutes les tailles, certaines tardent encore à passer à l’action, notamment en ce qui a trait aux nouvelles technologies, tandis que d’autres attendent jusqu’à ce que les événements – par exemple la crise du coronavirus – les contraignent à agir. « La bouchée devient alors plus grosse à avaler pour ces organisations qui n’ont pas adopté la mentalité du changement, alors que celles qui ont emprunté cette voie plus tôt ont atteint une certaine maturité en ce qui a trait à leur capacité de mener à bien des projets de transformation », ajoute-t-elle.

Un sens à donner au changement

Les entreprises qui réussissent le mieux combinent certaines caractéristiques maîtresses, soit l’agilité, l’adaptabilité et la capacité d’apprendre. « C’est essentiel pour bien naviguer dans le changement », affirme Carlyle Émile, directeur principal des ressources humaines chez Ivanhoé Cambridge. Il ajoute un autre ingrédient indispensable : l’optimisme.

« Il faut voir les changements comme des occasions à saisir. Il s’agit de trouver des façons d’amener les équipes à envisager la transformation comme étant faisable et comme faisant partie de la réalité », dit-il avant de préciser qu’il a banni l’expression « gestion du changement » de son vocabulaire. « Ça fait peur. Je préfère parler de l’adoption du changement. De cette façon, les gens sont davantage portés à vouloir améliorer les choses », ajoute-t-il.

Ivanhoé Cambridge, filiale immobilière de la Caisse de dépôt et placement du Québec, œuvre dans un secteur soumis à l’influence de facteurs perturbateurs comme les nouvelles technologies, le commerce électronique et la demande croissante pour des espaces de travail collaboratif, qui transforment le monde de l’immobilier. « Notre écosystème évolue et nous devons nous adapter au nouvel environnement d’affaires », explique Carlyle Émile. Mais comment éviter la saturation ? « Il faut donner un sens au changement afin qu’il soit cohérent avec la vision de l’organisation. Quand la raison du changement n’est pas claire, les gens réagissent de façon négative », soutient-il.

Montrer l’exemple

En entreprise, donner du sens à quelque chose constitue une démarche qui doit partir du sommet de la hiérarchie. « C’est un cliché de le dire, mais il faut que la haute direction soit convaincue de l’importance du changement et de l’urgence d’agir », affirme Chantal Rouleau, qui a été vice-présidente aux technologies de l’information chez Retraite Québec. Né en 2016 du regroupement de la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances (CARRA) et de la Régie des rentes du Québec (RRQ), cet organisme a d’emblée pris le virage en matière de transformation numérique de la fonction publique. « Notre objectif consistait à rendre les services plus efficients et à réaliser des économies d’échelle. Nous devions aussi nous transformer pour mieux faire face à la pénurie de main-d’œuvre en TI », explique Mme Rouleau.

Faire bouger les équipes a posé un énorme défi organisationnel et tout ne s’est pas fait sans heurts. « Au début, nous ne parlions pas le même langage. Il y a eu beaucoup de départs à la suite du regroupement, soit environ 30 % du personnel en TI », indique Chantal Rouleau, qui gérait à ce moment-là une équipe de 380 employés ainsi que 200 autres personnes provenant de l’externe.

Les conditions de la réussite

Mais comment réussir une transformation? « Il faut d’abord et avant tout se mettre en action. On doit créer du mouvement et même de la déstabilisation pour faire en sorte que les choses changent, soutient Chantal Rouleau. Il faut aussi que le grand changement soit une multiplication de petits changements. C’est important d’y croire, parce qu’en cours de route, on aura plusieurs raisons de douter. »

Tout aussi essentiel : adopter une approche fondée sur l’apprentissage. « Il faut donc s’abstenir d’exiger que les nouvelles façons de faire soient parfaites du premier coup. Quand il n’y a pas de place pour le risque et pour l’échec, ça devient paralysant », affirme Mme Rouleau.

Le droit à l’erreur est aussi devenu la norme chez Ivanhoé Cambridge. À la fin de chaque projet, Carlyle Émile fait un retour avec son équipe sur ce qui s’est bien passé et sur ce qu’il faut corriger.

« On souligne non seulement les bons coups mais aussi ce qu’on doit améliorer. On apprend et on s’ajuste sur une base continuelle », dit-il.

Leadership transformationnel

Les leaders doivent être bien outillés pour piloter un projet de transformation. À Retraite Québec, cadres et gestionnaires ont eu droit à de la formation pour acquérir de nouvelles habiletés. « Le style de gestion s’est mué en leadership plus transformationnel, explique Chantal Rouleau. Il faut non seulement planifier les travaux mais surtout soutenir les équipes au cours du changement. Pour y arriver, nous avons notamment formé des groupes de codéveloppement pour favoriser le partage d’expériences; la participation à ces groupes a été un succès. Quant à la direction, elle s’est posé des questions intéressantes sur le rôle des chefs d’équipe et sur l’organisation hiérarchique du travail. »

Lors d’une transformation, il faut à l’occasion faire des sprints, c’est-à-dire lancer des projets à court terme tout en restant engagé dans un marathon pour s’améliorer en profondeur. « La priorisation est essentielle pour éviter l’éparpillement, explique Carlyle Émile. On établit un plan de match pour l’année et, en cours de route, il faut être prêt à réagir aux imprévus. Tous les trimestres, nous évaluons le statut de chacune des priorités. Il y a des éléments qui peuvent évoluer, mais la vision et la raison du changement demeurent les mêmes. »


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Retraite Québec mène un sondage annuel pour jauger la mobilisation de ses troupes. « La première année, il n’y a eu que des revendications, relate Chantal Rouleau. Puis, d’année en année, on a vu des améliorations. En 2019, 96 % des gens ont dit qu’ils voulaient rester et qu’ils étaient prêts à recommander l’organisation à leur entourage. »

4 pratiques gagnantes pour soutenir vos troupes

Quand vient le temps de parler de changement, Caroline Ménard n’hésite pas à rappeler l’importance de la communication et du leadership. Voici les conseils qu’elle livre aux gestionnaires chargés de piloter divers types de transformations.

1) Faites connaître vos intentions

« Il faut constamment revenir à l’intention première, dire le pourquoi mais pas le comment. On doit laisser aux équipes un espace d’autonomie pour qu’elles s’approprient le changement. Surtout, il ne faut pas oublier de communiquer ce qui ne changera pas. Quand on perd de vue ce qui est fondamental, il y a perte de sens. »

2) Faites preuve d’humilité

« L’organisation va aller aussi loin que ses leaders seront capables d’évoluer au cours du processus de changement. La capacité de se remettre en question est essentielle. L’organisation doit aussi accepter de se rendre vulnérable à certains moments. Malgré l’inconfort que cela crée, il faut se tenir droit dans ses bottes. Les équipes vont se rallier si la direction reste cohérente. »

3) Restez ouverts

« Il s’agit d’harmoniser la stratégie et l’exécution. Les chefs d’équipe doivent savoir mobiliser l’intelligence collective autour du changement. Cela signifie qu’il faut valoriser les contributions de chacun, favoriser l’émergence d’idées nouvelles et mettre à profit le savoir des gens sur le terrain. Bref, il faut leur donner du pouvoir, pas seulement des responsabilités. De cette façon, il y aura moins de résistance aux changements. »

4) Soyez optimistes

« Faire valoir les avancées réalisées dans le cadre de projets au fur et à mesure qu’elles se concrétisent, ça redonne du souffle et ça donne envie de continuer. »