Article publié dans l'édition Été 2020 de Gestion

L’environnement dans lequel nous évoluons est de plus en plus dynamique. Or, cette réalité soulève beaucoup d’incertitude. Dans un tel contexte, le changement doit maintenant faire partie de l’ADN des organisations, sinon, c’est la mort quasi assurée. L’agilité serait-elle alors leur planche de salut ?

Comment inscrire le changement dans l’élaboration de la stratégie d’une entreprise ? Et si l’accroissement de l’agilité des entreprises relevait non pas du changement en soi mais plutôt du développement des compétences ? Gestion en a discuté avec Louis Hébert, professeur titulaire au Département de management et directeur du programme de MBA de HEC Montréal ainsi que codirecteur de l’EMBA McGill-HEC Montréal.

Pourquoi le changement est-il devenu essentiel à la stratégie des entreprises ?

Louis Hébert : En fait, je me demande encore aujourd’hui pourquoi nous nous posons la question du changement. Ne devrions-nous pas plutôt parler d’agilité ? L’agilité, c’est cette capacité de bouger, de changer de manière naturelle.


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En mettant trop l’accent sur le mot changement, on aggrave les difficultés et on renforce la résistance. On met l’accent sur le côté négatif du changement et sur les obstacles à surmonter. Pour moi, le changement du 21e siècle, c’est indéniablement l’agilité.

Tous les types d’entreprises, même les plus traditionnelles, peuvent-elles être agiles ?

Il n’y a pas qu’une seule façon de faire : chaque entreprise a la sienne. Je crois qu’aucune organisation n’a les moyens de faire abstraction des modes de fonctionnement plus agiles. Les entreprises traditionnelles peuvent être agiles elles aussi; elles doivent réfléchir aux manières dont elles peuvent intégrer les leçons apprises par les entreprises innovatrices et créatives. La créativité, ça consiste parfois à envisager des solutions radicales, hors des sentiers battus. Peut-être ne s’appliqueront-elles pas à votre organisation, mais elles vous feront tout de même réfléchir et pourront éventuellement être adaptées à votre propre situation. Cette démarche mène les entreprises à faire des constats sur leurs processus et à les voir d’une autre manière. Elles peuvent ainsi emprunter une ou deux idées aux entreprises novatrices pour les tester dans leur propre contexte. Mais tout dépend des situations, comme l’illustre bien l’auteur et chercheur en gestion canadien Henry Mintzberg : voulez-vous que votre chirurgien cardiaque soit créatif ?

Pas vraiment. Mais qu’il puisse élaborer de nouvelles méthodes, ça oui !

Dans une perspective d’agilité accrue, quel est le rôle de la haute direction ?

Elle doit guetter non seulement les signaux forts, qui sont facilement visibles, mais surtout les signaux faibles, qui sont des prédicteurs. Elle doit faire en sorte que l’organisation ait à sa disposition toutes les ressources requises, puis elle doit réfléchir aux ingrédients nécessaires ainsi qu’aux bonnes recettes pour les transformer en compétences.

En effet, une organisation, c’est avant tout un portefeuille de compétences. La haute direction détermine la façon dont ces compétences vont évoluer. Elle doit alors posséder trois aptitudes : 1- la vigilance, en observant bien tout ce qui se passe ; 2- la résilience, c’est-à-dire la capacité d’absorber les chocs puis de rebondir ; 3- l’agilité, en se questionnant sur son propre fonctionnement, en déterminant si elle doit le revoir et en choisissant de miser sur les processus au moyen de la numérisation, du travail d’équipe, de l’approche par projets, de la créativité, des horaires flexibles, etc.

Il revient à la haute direction de créer le contexte organisationnel adéquat ; son rôle est tout sauf négligeable. Elle permet à des gens d’interagir et de créer un processus stratégique souple tant à l’interne qu’à l’externe. Elle n’a pas besoin d’être active sur tous les fronts pour jouer un rôle déterminant : elle doit envoyer les bons signaux et, surtout, faire elle-même preuve d’agilité.

Les organisations doivent changer pour mieux réagir à leur environnement, ce qui passe par le développement des compétences du personnel. Cette activité doit devenir une norme, une priorité absolue, et doit être au cœur de la stratégie afin de mettre en œuvre de meilleures pratiques et de responsabiliser les gens par rapport à leur propre développement professionnel.

En effet, la résilience et l’agilité d’une organisation reposent sur tous les membres du personnel : ils en sont les vecteurs. Par conséquent, la haute direction doit bien réfléchir aux types de personnes qu’elle embauche, à la manière dont elle les forme, aux occasions qu’elle leur offre… Pour que l’agilité à plus grande échelle fasse partie de la culture d’une entreprise, l’agilité individuelle doit y être cultivée.

Comment responsabiliser les gens en ce qui concerne le développement de leurs compétences ?

Lorsqu’un employé aborde une tâche ou un problème, il doit se poser les deux questions suivantes : ai-je les compétences nécessaires pour gérer cette situation et vais-je continuer à les avoir ? Le propre des compétences, c’est qu’elles finissent par devenir obsolètes. On peut alors percevoir ce phénomène de deux manières : comme une menace ou comme une occasion de poursuivre le développement de ses compétences.

Les seules choses qui ne seront jamais obsolètes, ce sont l’intérêt, la motivation et la mobilisation du personnel. La volonté d’apprendre guide les individus dans le développement de leur carrière et leur permet de se distinguer. On ne doit pas se limiter aux compétences acquises de longue date ou plus récentes : on doit penser aux habiletés dont on aura besoin un jour.

Comment s’assurer de la contribution de toutes les équipes à la réalisation de la stratégie de l’entreprise ?

Dans toutes les organisations qui atteignent une certaine taille, on trouve beaucoup de pièces mobiles, comme dans un mécanisme complexe. Le problème est le suivant : comment réussir à harmoniser les mouvements qu’elles accomplissent pour que l’ensemble aille dans une seule direction ? Dans certains cas, plus il y a de turbulences, plus la stratégie devient caduque rapidement.

Le processus stratégique d’une entreprise ne consiste pas seulement à définir un plan d’action : c’est aussi un mécanisme de communication et d’harmonisation. Tous les membres de l’organisation doivent être conscients de l’importance de la vigilance, de la résilience et de l’agilité. Cet aspect ne doit surtout pas être minimisé.


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La compréhension commune de la stratégie devrait être une préoccupation de chaque instant des dirigeants. À mon avis, c’est la meilleure façon de renforcer la résilience, d’accroître la vigilance et de soutenir l’agilité. En effet, si les employés sont bien renseignés et comprennent le contexte stratégique de leur organisation, les compétences vont se compléter naturellement et assurer le succès de l’entreprise, d’où l’importance d’expliquer la stratégie à tous les membres du personnel et de les intégrer totalement dans l’élaboration des orientations. Ils doivent la connaître à fond pour y croire et pour y adhérer. Et la haute direction se doit de bien la communiquer à toutes ses équipes. Si cette stratégie n’est pas claire dans la tête de la haute direction, comment pourrait-elle l’être dans celle des employés?