Article publié dans l'édition automne 2018 de Gestion

Chaque année, la recherche scientifique mène à des découvertes majeures, confirmant ainsi la place du domaine de la santé comme creuset incontournable en matière d’innovation au sein des organisations. Toutefois, cette performance ne se traduit pas par davantage d'innovation au sein des organisations ni par une productivité accrue du système de santé. Mais le réseau peut s’améliorer à ce chapitre. Voici trois pistes.

Pour qu’une idée ou une découverte génère une amélioration de la valeur (efficience), elle doit sortir des environnements de recherche et être intégrée aux milieux cliniques. Or, le système de santé adopte peu d’innovations, qu’il s’agisse de nouvelles pratiques, d’équipement récent ou de technologie de pointe. L’innovation est encore mal comprise et mal soutenue dans le réseau public québécois, ce qui rend son implantation difficile, voire vouée à l’échec.


LIRE AUSSI: Vers un système de santé axé sur la valeur


Quels sont les freins ? Comment rendre le système de santé public plus novateur ? Et quelles sont les mesures qui permettraient d’en améliorer la performance ? Pour résoudre ces difficultés, voici trois catalyseurs d’innovation, illustrés par des exemples d’initiatives menées dans divers pays.

1er catalyseur – L’argent suit les patients

Au Québec, le système de santé est organisé autour d’une comptabilité par fonds dont les budgets sont établis sur une base annuelle. Les dépenses sont donc enregistrées au moment de la sortie des fonds et imputées pendant le même exercice financier. Or, cette approche ne stimule en rien l’innovation et les projets d’amélioration, puisque ses bénéfices se font sentir plus tard, c’est-à-dire à l’extérieur du périmètre comptable annuel.

L’approche par budgets ne favorise pas non plus la collaboration transversale, car un projet d’investissement pourrait affecter les budgets d’autres services sans qu’il soit possible de distribuer l’argent équitablement. Prenons l’exemple d’un hôpital où on souhaite adopter un nouveau test afin d’établir les diagnostics plus rapidement, de réduire la durée des hospitalisations et de diminuer les coûts. Toutefois, même si les unités de soins en viennent à réaliser des économies, le prix plus élevé du test risque de faire exploser le budget des laboratoires. Et puisque les enveloppes budgétaires de ces deux services sont distinctes et étanches, l’argent ne peut pas transiter de l’une à l’autre.

Cette méthode comptable limite également la capacité des établissements à évaluer leur efficacité, puisque leurs gestionnaires doivent démontrer que l’argent obtenu a bel et bien été dépensé en fonction des choix budgétaires établis. De plus, aucun mécanisme ne permet d’évaluer si le financement a été utilisé de façon optimale selon la portée des services. D’ailleurs, le réseau manque de données utiles sur les coûts des services et sur les résultats obtenus par type de cas ou par établissement. Les prestataires sont donc peu outillés pour mesurer les effets de leurs décisions.

Plus fondamentalement, l’allocation des fonds entre les établissements, réalisée sur la base de budgets historiques, freine l’amélioration et l’innovation. Si l’argent suivait les patients, ceux-ci pour- raient choisir l’endroit qui leur offre le plus de valeur en matière de soins de santé ; l’établissement recevrait alors une allocation pour ce service. Illustrons ce raisonnement : à l’heure actuelle, si une personne décide d’aller dans un secteur différent du territoire où elle vit, l’établissement qu’elle a choisi ne recevra pas de fonds supplémentaires, tandis que celui où elle aurait dû se rendre aura une charge de moins à supporter sans que son budget diminue pour autant.

L'innovation, c'est quoi?

Pour être considéré comme telle, l'innovation en matière de santé doit répondre à trois critères. En plus de représenter une nouveauté, elle doit apporter de la valeur, tant pour les patients et pour la société en général qu'en ce qui a trait à la consommation des ressources (humaines et financières). De plus, une innovation doit être mise en oeuvre par les organisations de manière à produire les bénéfices attendus, et ce, de façon pérenne.


Une solution qui tarde à venir

On connaît ces problèmes depuis longtemps et les hauts dirigeants du système de santé québécois savent que l’amélioration de la performance passe par la transformation des mécanismes d’allocation des ressources financières aux prestataires de soins de santé. Lors de la dernière réforme du système de santé, le gouvernement du Québec a annoncé son intention d’adopter un mécanisme de « financement à l’activité » (FAA). Ce projet tarde toutefois à se concrétiser.

Le FAA permet d’établir un lien direct entre les patients, les soins prodigués et les ressources utilisées. Bref, l’argent suit les patients. Le FAA désigne trois modes d’allocation des ressources : 1- le financement à l’acte, en fonction duquel les hôpitaux sont remboursés pour chaque acte accompli (tests, soins des médecins et des infirmières, etc.); 2- le financement par épisode de soins (ou par cas), qui couvre l’ensemble des services et du matériel requis par l’état de santé d’un patient; 3- le financement basé sur les évidences, selon lequel on détermine les tarifs par rapport aux meilleures pratiques utilisées, gage de qualité et d’efficience des soins. Ces modes de financement sont porteurs de grands changements et leur implantation doit se faire à certaines conditions et de façon progressive. En effet, sans balises claires, le FAA peut favoriser la multiplication des actes et faire exploser les budgets consacrés à la santé. C’est pour éviter ces dérapages – et pour lier les dépenses aux résultats sur la santé des patients – que le financement par épisode de soins et le financement basé sur les évidences ont été conçus.

Lorsque le versement des ressources financières n’est pas lié aux résultats, les inconvénients du FAA risquent d’en supplanter les avantages. Quelques pays ont adopté le FAA, un virage qui a exigé un investissement financier considérable et un soutien à l’amélioration en matière de ressources, de formation et d’information. Loin d’être immédiats, les résultats sont déterminés par l’environnement de départ. Il a donc fallu six ans avant d’observer une amélioration dans l’optimisation des soins au royaume- uni, cinq ans en Allemagne et quatre ans en France. Au Canada, certaines pro- vinces ont lancé des projets pilotes afin d’évaluer le financement à l’activité, notamment la Colombie-Britannique, l’Alberta et l’Ontario.

Cela dit, ce mode de financement comporte plusieurs avantages. Il donne la possibilité aux gestionnaires d’établissements de mettre l’accent sur la maximisation du rendement plutôt que sur la minimisation des coûts. De cette façon, ils acquièrent plus d’autonomie décisionnelle et une plus grande marge de manœuvre pour investir dans les pratiques innovantes. Par ailleurs, le financement à l’activité constitue un incitatif à se spécialiser dans les domaines où on excelle, donc à améliorer le rendement.

2e catalyseur - La révision du mode de rémunération des médecins

Au Québec, il existe trois modes de rémunération de base : la rémunération à l’acte (qui reste dominante), le salaire et la capitation. (Dans ce dernier cas, une somme forfaitaire est versée au médecin pour chacun de ses patients, somme qui varie en fonction du profil de ceux-ci.)

En plus d’influer sur la pratique médicale, le mode de rémunération a des répercussions sur la performance et sur l’efficience du système de santé. Le système actuel ne fournit pas d’incitatifs financiers pour que les médecins mènent des projets d’innovation ou d’amélioration. Dans ce contexte, ceux qui décident malgré tout de s’engager sur cette voie doivent nager à contre-courant.

L’ajustement éventuel du mode de rémunération suscite de l’opposition au sein du corps médical. Toutefois, le paiement à l’acte pourrait céder du terrain au profit d’une combinaison de modèles qui favorisent la transparence et la reddition de comptes.


LIRE AUSSI: La logistique hospitalière: constats d'une enquête québécoise


L’exemple du Danemark

Il y a une dizaine d’années, alors qu’il était aux prises avec des défis d’ordre démographique et avec l’augmentation des coûts, le Danemark a procédé à une vaste réforme de son système de santé. On a opté pour une décentralisation du réseau en le divisant en cinq régions géographiques, en plus de déployer un système électronique conçu pour renforcer la logistique et la communication entre les divers acteurs. Enfin, un objectif d’accroissement de la productivité de 2 % par année au sein du réseau a été fixé, chacune des régions ayant carte blanche pour atteindre cette cible. Cet objectif a été atteint.

La rémunération des médecins a elle aussi été revue, notamment en combinant des modes différents, y compris un paiement par forfait établi en fonction du profil de la population et de la prévalence de certaines maladies, entre autres. De nouvelles mesures de contrôle et de reddition de comptes permettent maintenant aux autorités régionales et même à des cabinets de médecins ayant le même profil de clientèle de se comparer entre eux, ce qui constitue un gage d’améliorations. Le système de santé danois est aujourd’hui un des plus performants au monde.

3e  catalyseur – La transparence des données

L’innovation en santé repose sur la capacité d’établir des comparaisons afin de déterminer les pratiques qui contribuent à améliorer les soins, les processus et la gestion en général. Cela suppose l’existence de données pertinentes et faciles d’accès, donc d’une infrastructure technologique efficace et fiable. Or, les systèmes informatiques dans le réseau de la santé québécois sont souvent désuets, voire archaïques, et pas toujours compatibles.

Le projet de système informatique intégré dont on parle depuis plus de 20 ans progresse, mais il a subi des retards et des dépassements de coûts. L’implantation du Dossier santé Québec (DSQ), qui donne accès aux renseignements médicaux des patients inscrits à ce registre, se poursuit dans les établissements de santé. Il contient beaucoup d’information, y compris les médicaments prescrits ainsi que les résultats de tests et d’examens, mais l’intégration des données pose toujours un défi. De plus, les dossiers médicaux des hôpitaux et des cliniques ne sont pas intégrés au DSQ : l’information sur les patients demeure donc partiellement accessible. Enfin, ces données ne sont ni compilées ni disponibles sous une forme qui permettrait de les analyser.

L’exemple de l’Australie

Depuis 2008, l’Australie a mis en place plusieurs mécanismes destinés à mettre à profit les connaissances et les données générées par son réseau de soins de santé. On a tout d’abord créé et relié des bases de données afin de suivre la trajectoire des patients. On a maintenant accès aux données provenant des services d’urgence et d’ambulanciers ainsi qu’aux informations en matière d’hospitalisations et d’imagerie médicale. Au chapitre de l’accès à ces données, par exemple, le ministère de la Santé, les agences d’innovation et les chercheurs australiens peuvent télécharger quotidiennement l’ensemble des données disponibles à des fins d’analyse. Les cliniciens ont également accès à un portail qui leur permet de comparer l’efficacité de leurs interventions avec celles de leurs collègues en ayant recours à de nombreux indicateurs. Enfin, on a instauré des cadres d’analyse pour structurer l’information et pour faciliter les prises de décision des gestionnaires et des professionnels de la santé.