Article publié dans l'édition Printemps 2021 de Gestion

* Article écrit en collaboration avec Emmanuelle Gril, journaliste

Le domaine de la santé n’échappe pas aux bouleversements provoqués par le déploiement des technologies numériques. Cet écosystème est littéralement en train de révolutionner ses façons de faire. Et on n’a encore rien vu!

Télésanté, santé connectée, dossiers cliniques informatisés, robotisation et intelligence artificielle… la santé numérique se décline en une panoplie d’applications qui non seulement améliorent le suivi des patients mais modifient aussi le travail des professionnels du domaine. Tour d’horizon de petits changements et de grands bouleversements.

Le vaste champ d’action de la télésanté

La télésanté est certainement le volet de la santé numérique le plus développé à l’heure actuelle. On peut la définir comme la prestation de soins à distance au moyen de technologies de l’information et des communications (TIC). Elle recouvre trois grands secteurs :

  • En premier lieu, les télésoins, qui permettent de faire le suivi de patients à distance, en particulier ceux qui souffrent de problèmes de santé chroniques comme le diabète, les maladies pulmonaires ou les maladies cardiovasculaires. Grâce à une connexion sécurisée, le patient transmet, depuis son domicile, ses données physiologiques et biologiques – taux de glucose, signes vitaux, etc. – à un gestionnaire de cas, la plupart du temps une infirmière. S’il y a détérioration de l’état de santé du patient, ce gestionnaire de cas communique alors avec le médecin traitant. Une infirmière peut également être appelée à aller visiter le patient là où il réside.

Grâce à cette télésurveillance, les personnes vulnérables ont accès à des soins et bénéficient d’un suivi très étroit, et ce, malgré le contexte de pénurie de ressources. Ce faisant, on évite aussi les retours aux urgences et les réhospitalisations puisqu’on sait que, dans 60 % des cas, les maladies chroniques mal contrôlées sont responsables des retours en milieu hospitalier. En plus de désengorger le système de santé, les télésoins réduiraient aussi de 16 % les coûts des soins prodigués aux patients. De leur côté, les patients sont responsabilisés et peuvent suivre l’évolution de leur état de santé au jour le jour. Toutefois, ce nouveau modèle de gestion des soins repose sur les infirmières et nécessite donc une réorganisation de la prise en charge traditionnelle.

  • Ensuite, la télé-expertise, une forme de télémédecine où un médecin consulte un autre médecin, la plupart du temps un spécialiste. Parmi les applications concrètes, mentionnons une plateforme actuellement en développement et destinée à améliorer la prise de décisions dans le traitement des grands brûlés. À terme, cette plateforme permettra aux urgentologues de plusieurs hôpitaux du Québec d’obtenir l’avis d’un spécialiste du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), un des deux établissements dans la province à être dotés d’une unité de soins pour grands brûlés. Grâce à cette technologie, il sera possible de partager des photos et des vidéos d’un patient avec un spécialiste afin de déterminer s’il faut transférer ce patient au CHUM.

Autre exemple de télé-expertise : la télépathologie. Les pathologistes examinent les prélèvements de tissus et de cellules au microscope, et c’est souvent à partir de leurs diagnostics que les traitements sont établis. Ils fournissent des recommandations aux chirurgiens, ce qui oriente la nature des interventions chirurgicales. Lorsqu’un hôpital compte un pathologiste parmi son personnel, ces évaluations peuvent s’effectuer sur place, avant ou durant les opérations. Mais dans le cas contraire, ce qui est fréquent puisqu’il y a pénurie aiguë de ces médecins spécialistes, les prélèvements doivent être expédiés par courrier ; l’obtention des résultats des analyses peut ainsi prendre plusieurs semaines.

Dossier : Révolution numérique

Grâce à la télépathologie, les échantillons sont numérisés et envoyés électroniquement au pathologiste, qui peut alors les examiner rapidement sur un écran à haute résolution puis donner son avis au chirurgien par téléphone. Outre l’accès à de meilleurs soins pour les patients, ce procédé permet également d’attirer et de retenir des chirurgiens dans des hôpitaux en dehors des grands centres puisque l’absence d’un pathologiste dans leur établissement ne restreint pas leur champ d’intervention. D’ailleurs, l’Est-du-Québec possède un des plus grands réseaux de télépathologie au monde.

  • Enfin, la téléconsultation, téléphonique ou par vidéoconférence, constitue sans doute le domaine de la télésanté le plus connu du grand public. Ce secteur a véritablement pris son envol durant la pandémie de COVID-19 et devrait demeurer lorsque la crise sanitaire sera derrière nous.

Des habitats intelligents

La télésanté ouvre des avenues prometteuses, comme en témoigne le projet SAPA (« Soutien à l’autonomie des personnes âgées ») sur l’habitat intelligent1, actuellement en cours. Alors que la population vieillit et que des maladies comme l’alzheimer gagnent du terrain, on assiste de plus en plus au phénomène de la « négligence de soi » : les personnes qui commençent à présenter certains symptômes, qui vivent seules et qui sont en perte progressive d’autonomie peuvent avoir tendance à oublier
d’accomplir certaines tâches de la vie courante et de l’hygiène quotidienne.

Une équipe de chercheurs multidisciplinaire travaille donc à concevoir des habitats intelligents, où des capteurs sont installés à plusieurs endroits dans une même résidence. Ces appareils permettent de savoir notamment si une personne a ouvert son réfrigérateur ou ses armoires de cuisine, si elle a utilisé sa cuisinière, le robinet de la cuisine, la douche ou le bain, etc. En monitorant à distance et en temps réel les faits et gestes d’un patient, l’équipe soignante peut dès lors offrir des services de santé qui répondent aux besoins précis de cette personne. Par exemple, si les données colligées indiquent que le patient néglige de se nourrir, l’équipe soignante peut alors l’inscrire à un service de livraison de repas à domicile et s’assurer qu’il n’est pas malade. Si les résultats sont au rendez-vous, ce projet pourrait ultimement contribuer à retarder l’institutionnalisation des aînés et faire en sorte qu’ils demeurent dans leur milieu de vie le plus longtemps possible.

Intelligence artificielle, robotisation et santé mobile

La robotisation a fait des pas de géant ces dernières années. Outre les chirurgies à distance, déjà possibles, on voit aussi apparaître des agents conversationnels (ou chatbots) qui effectuent le suivi de patients ayant subi une chirurgie d’un jour. Il existe aussi des robots compagnons pour les personnes âgées.

La santé mobile ouvre également un vaste champ de possibilités. Elle consiste à transmettre des données biologiques et physiologiques au moyen d’applications mobiles et d’objets connectés (biocapteurs de glucose, capteurs de contractions pour femmes enceintes, etc.). On espère d’ailleurs que ces informations pourront un jour être transférées dans les carnets santé numériques des patients, ce qui constituera une précieuse source d’information pour les praticiens.

Enfin, on fonde beaucoup d’espoir sur l’intelligence artificielle (IA) qui, grâce au croisement des données, aidera à prédire et même à prévenir les maladies. Plusieurs suggèrent que cette percée entraînera la disparition de certains métiers. C’est en effet possible, bien que nous n’en soyons pas encore là. Pour l’heure, seule la pratique de quelques professions a été transformée par l’IA. Ainsi, les radiologistes peuvent désormais s’appuyer sur la technologie de reconnaissance d’image, mais le contrôle et la décision finale leur reviennent toujours.

Force est d’admettre que les médecins ne sont pas près de disparaître, même si leurs tâches seront probablement amenées à changer. Du côté des omnipraticiens, par exemple, le temps gagné grâce aux technologies numériques pourrait être consacré à l’analyse d’une population de patients, et ce, dans une optique de santé populationnelle ou de santé publique.

Toutefois, il demeure que l’utilisation grandissante des technologies numériques va probablement transformer la relation entre les patients et les médecins. La réorganisation de la prise en charge des malades amènera nécessairement un changement dans la gestion des priorités. Au bout du compte, les médecins pourraient être amenés à prendre en charge uniquement les cas lourds et complexes, les autres étant confiés à des infirmières cliniciennes. Les perspectives sont vastes; seule la pointe de l’iceberg est actuellement visible, avec toutes les promesses et tous les défis que recèle cette révolution en marche.


Note

1 Lussier, M., Couture, M., Moreau, M., et al., « Integrating an ambient assisted living monitoring system into clinical decision-making in home care: an embedded case study », Gerontechnology, vol. 19, n° 1, mars 2020, p. 77-92.