Article publié dans l'édition Automne 2021 de Gestion

Les jeunes pousses ont tout intérêt à accorder une bonne place à la diversité dès leur démarrage. En effet, la diversité est fortement corrélée avec la capacité d’innover, d’exporter, d’attirer et de retenir des talents ainsi qu’avec la production de meilleurs revenus.

La diversité reste peu fréquente au sein des équipes entrepreneuriales. D’après l’étude mondiale menée sur les start-up par la Silicon Valley Bank en 20201, moins de la moitié des jeunes pousses au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni comptaient au moins une personne issue d’une communauté ethnoculturelle au sein de leur groupe de direction ou de leur conseil d’administration. À peine 26% d’entre elles s’efforçaient d’accroître cette diversité. Les entrepreneurs seraient tentés de s’entourer de gens qu’ils connaissent ou qui pensent comme eux, ce qui crée une culture très homogène. «C’est plus facile de n’être jamais contredit, mais on perd alors la richesse de la confrontation des points de vue», déplore Payam Eslami, directeur général d’Entreprendre ici. Cet organisme montréalais accompagne les entrepreneurs issus de la diversité ethnoculturelle.

Dossier : Les vrais défis de la diversité

Sur l’écran radar

Au printemps 2020, le meurtre de George Floyd par un policier blanc à Minneapolis (Minnesota) a donné un fort élan au mouvement Black Lives Matter (BLM, fondé en 2013) et ramené à l’avant-scène les questions de diversité. Louis-Edgar Jean-François, président-directeur général du Groupe 3737, un écosystème entrepreneurial axé sur l’innovation, sur la diversité et sur l’inclusion, constate depuis lors une forte hausse de la sensibilisation à ce sujet au Canada et au Québec.

Dans le monde des affaires, cet élan a accéléré une prise de conscience quant à l’importance d’un meilleur soutien envers l’entrepreneuriat issu de la diversité, notamment des communautés noires. «Toutefois, l’offre de services doit répondre aux besoins spécifiques des entrepreneurs de la diversité en proposant des solutions et un accompagnement taillés sur mesure pour eux», fait valoir Louis-Edgar Jean-François.

Parmi ces besoins, M. Jean-François cite en premier lieu les barrières en matière d’accès au financement, qu’elles soient dressées par des biais inconscients ou par du racisme systémique. L’écosystème s’efforce présentement de remédier à ce problème. En 2021, par exemple, l’organisation Black Innovation Capital a été créée au Canada pour financer des start-up technologiques lancées par des dirigeants noirs.

En septembre 2020, le gouvernement fédéral a lancé le Programme pour l’entrepreneuriat des communautés noires du Canada, un investissement de 350,8 millions de dollars sur quatre ans. Il octroie des fonds à des organismes de soutien aux entrepreneurs noirs, subventionne des recherches sur ce sujet et offre des prêts aux entrepreneurs issus des communautés noires.

Au Québec, dès 2017, le Plan d’action gouvernemental en entrepreneuriat a instauré plusieurs mesures pour appuyer l’entrepreneuriat issu de la diversité, notamment la création d’Entreprendre ici.

Taux de jeunes pousses dont au moins un fondateur est né dans un autre pays

  • 52% au Canada
  • 52% aux États-Unis
  • 53% au Royaume-Uni

Source: «2020 global startup outlook – Key insights from the Silicon Valley Bank startup outlook survey» (document en ligne), Silicon Valley Bank, 2020, 14 pages.

Des jeunes pousses plus innovantes

On sent donc un véritable effort pour assurer la progression de la diversité. Toutefois, Payam Eslami précise qu’on doit savoir distinguer la diversité et l’inclusion. «Il ne s’agit pas seulement d’intégrer aux équipes des gens issus de la diversité, prévient-il. Pour en tirer des bénéfices, on doit créer les conditions nécessaires pour qu’ils puissent s’exprimer, être écoutés et participer activement au projet entrepreneurial.» Un de ces bienfaits réside dans l’amélioration des capacités d’innovation. En 2017, une étude du cabinet-conseil Boston Consulting Group2 a démontré que les entreprises dont les équipes de direction affichaient une plus grande diversité tiraient des revenus de leurs produits et services innovants 38% plus élevés que ceux de leurs concurrents plus homogènes. Le même rapport expliquait que les diversités en matière de genre, d’origine géographique, de parcours professionnel et de secteur d’activité étaient toutes fortement liées à la force d’innovation.

Une comparaison d’entreprises de moins de 500 employés effectuée par Statistique Canada3 avec des données de 2011, de 2014 et de 2017 a révélé que les sociétés appartenant à des immigrants innovent plus que celles détenues par des personnes nées au Canada. «Nous le constatons parmi les équipes que nous accompagnons: les entrepreneurs issus de la diversité tendent à se montrer très innovateurs, tant sur le plan des produits et des services qu’en ce qui a trait à la manière de les livrer», affirme Manaf Bouchentouf, qui dirige l’incubateur EntrePrism à HEC Montréal. Ce programme se spécialise dans l’aide aux entrepreneurs provenant des communautés culturelles. L’OCDE a récemment souligné la qualité de son approche.

Des fondateurs et dirigeants de start-up trop homogènes risquent de manquer d’écoute envers certains de leurs employés et, par conséquent, de rater des occasions d’innover. En 2013 déjà, une étude dont les résultats avaient été publiés dans la Harvard Business Review4 avait établi que sans un leadership diversifié, les femmes avaient 20% moins de chances que les hommes blancs d’obtenir du soutien pour leurs idées dans une entreprise. Les gens des communautés noires trouvaient 24% moins d’appuis, et les LGBTQ, 21%.

Pourtant, ces groupes sont bien placés pour analyser certains segments du marché et pour découvrir des occasions d’affaires ou d’innovation. Dans cette étude, on estimait qu’une équipe dont un membre est de la même origine ethnoculturelle qu’un client a 152% de chances de mieux le comprendre qu’une autre équipe.

La fin de la pensé unique

La diversité aide aussi à combattre un des plus grands ennemis de toute entreprise: la pensée de groupe. «Les gens d’origine, de genre ou de parcours différents n’abordent pas les problèmes de la même manière, ce qui mène à des solutions plus riches, plus innovantes et plus originales, soutient Indira Moudi, présidente de Viandes Lafrance. Sans ce salutaire choc des idées, on stagne sans s’en rendre compte.»

Depuis que Mme Moudi a pris les rênes de cet abattoir de Shawinigan, le personnel s’y est diversifié: on y dénombre maintenant douze nationalités. L’entrepreneure admet que cette évolution exige un certain doigté. On doit savoir créer une culture organisationnelle inclusive qui concilie les points de vue, les approches et les expériences de tous. C’est justement en croyant éviter des complications que les gens ont tendance à embaucher des personnes qui leur ressemblent, mais c’est une erreur, car ils se privent ainsi d’une grande richesse», indique Indira Moudi.

Indu Krishnamurthy, directrice générale de Microcrédit Montréal, se rallie à ce point de vue. Son organisme soutient les entrepreneurs, notamment les femmes et les représentants de la diversité. «Il faut plus de temps, dans une équipe diversifiée, pour se comprendre et pour créer de la cohésion et une synergie, puisque nous ne partageons pas tous les mêmes points de repère et les mêmes référents, mais ça en vaut la peine», croit-elle.

Elle-même le constate dans son équipe, où sept personnes sur huit sont issues de la diversité. Cette hétérogénéité améliorerait la capacité de résoudre des problèmes et de prendre des décisions. Elle aiderait aussi à mieux comprendre les besoins d’une clientèle elle-même très diversifiée.

+ de 50%

Au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni, plus de la moitié des start-up ne comptent aucun représentant de la diversité ethnoculturelle à un poste de direction ou au sein de leur conseil d’administration; plus de la moitié d’entre elles ne comptent aucune femme.

Source: Silicon Valley Bank, ibid.

Les meilleurs

Dans un contexte où plusieurs entreprises souffrent de la pénurie de main-d’œuvre, la capacité de séduire et de garder les meilleurs talents peut faire toute la différence entre une jeune pousse qui prend son élan et une autre qui se fane. «La diversité au sein d’une société en démarrage représente un atout pour attirer et retenir des employés, estime Payam Eslami. L’organisme international Catalyst affirme que 35% de la mobilisation d’un travailleur et 20% de son désir de rester sont liés à son sentiment d’inclusion5.

En s’efforçant de constituer une équipe de fondateurs diversifiée et en appliquant la même orientation lors des premières embauches, on crée rapidement une culture organisationnelle où la diversité va de soi. À l’inverse, si on attend de compter plusieurs dizaines d’employés avant de se rendre compte qu’on a un problème de diversité trop faible, il devient plus difficile de corriger le tir.

Par ailleurs, le recrutement repose souvent sur le référencement. Lorsqu’on réunit une équipe diversifiée, on peut miser sur des réseaux dans plusieurs milieux différents, ce qui aide à combler les besoins de main-d’œuvre.

Ouverture sur le monde

La diversité d’une équipe entrepreneuriale facilite aussi les démarches d’entrée sur des marchés internationaux. «Les entrepreneurs issus de l’immigration ou des communautés culturelles gardent souvent un attachement pour leur pays d’origine et maintiennent des réseaux qui suscitent des occasions d’affaires en import-export, fait observer Manaf Bouchentouf. Plusieurs fondent dès le départ des entreprises à vocation mondiale.»

Philippe Nadeau, directeur général du DigiHub, un incubateur-accélérateur installé à Shawinigan, a souvent été témoin de ces relations fructueuses entre entrepreneurs issus de milieux différents. «C’est ce que j’aime appeler la fertilisation croisée, confie-t-il. Parfois, ça se passe au sein d’une équipe d’entrepreneurs. À d’autres occasions, ce sont des équipes qui se retrouvent dans un même endroit, comme le DigiHub, et qui apprennent les unes des autres.»

43%

des responsables de fonds de capital de risque aux États-Unis soutiennent que le choix d’entreprises dont les fondateurs sont issus de la diversité multiculturelle est une priorité lorsqu’il s’agit de trouver des occasions d’investissement, un taux en hausse de 10% par rapport à 2019. 61% d’entre eux disent aussi que leur stratégie est affectée par le mouvement Black Lives Matter.

Source: «Can VCs turn new focus on race and inequality into long-term impact?» (article en ligne), Morgan Stanley, 19 novembre 2020.

M. Nadeau a déjà vu de nouvelles aventures entrepreneuriales naître de ce type de rencontres, notamment à la suite d’une mission commerciale en France, où une entrepreneure d’ici a lancé un projet avec des collègues de là-bas. «La diversité génère une grande richesse sur le plan des idées et des manières de les réaliser, et elle ouvre parfois des perspectives à l’extérieur de nos frontières», ajoute-t-il.

À moyen terme, plusieurs études établissent une étroite corrélation entre, d’une part, la diversité et, d’autre part, les performances financières et l’incidence sociale d’une entreprise. «Si les entrepreneurs s’engagent dans cette voie dès le départ, c’est plus facile, croit Payam Eslami. Ça s’inscrit dans l’ADN de la start-up, qui pourra alors en récolter les fruits.»


Notes

1. «2020 global startup outlook – Key insights from the Silicon Valley Bank startup outlook survey» (document en ligne), Silicon Valley Bank, 2020, 14 pages.

2. Lorenzo, R., Voigt, N., et al., «The mix that matters – Innovation through diversity» (document en ligne), Boston Consulting Group, 26 avril 2017, 23 pages.

3. Ostrovsky, Y., et Picot, G., «Innovation au sein des entreprises appartenant à des immigrants au Canada» (document en ligne), Statistique Canada, 8 juin 2020, 33 pages.

4.Hewlett, S. A., Marshall, M., et Sherbin, L., «How diversity can drive innovation», Harvard Business Review, décembre 2013.

5. Travis, D. J., Shaffer, E., et Thorpe-Moscon, J., «Getting real about inclusive leadership – Why change starts with you», Catalyst, novembre 2019, 21 pages.