DOSSIER NEUROSCIENCES - Quand formation rime avec émotions et motivation
2015-06-01
French
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2018-07-24
DOSSIER NEUROSCIENCES - Quand formation rime avec émotions et motivation
Ressources humaines , Technologie
Article publié dans l'édition été 2015 de Gestion
L’employé, on le sait, est l’as de la résistance au changement. Pourtant, l’organisation dans laquelle il travaille est en constante mutation. Alors, pour y demeurer et y évoluer, il doit inévitablement s’adapter. Et l’adaptation à de nouvelles technologies de l’information est probablement celle qui comporte le plus de défis ! L’abandon d’habitudes acquises se jumelle à des heures de formation pour assurer une appropriation efficace du nouveau logiciel. La partie n’est pas gagnée d’avance. Alors comment la formation peut-elle être optimisée pour atteindre le plus haut niveau d’efficacité possible ?
C’est la question à laquelle nous avons cherché à répondre avec le chercheur Fred Davis de l’Université d’Arkansas. En utilisant des instruments de mesures comportementales, nous avons voulu mieux saisir l’émotion qui est éprouvée quand un apprenant doit se familiariser avec une nouvelle TI. Notre objectif était de comprendre comment les gens apprennent mieux et comment ils retiennent mieux les connaissances acquises pour ensuite les transférer dans leur contexte de travail. L’objectif poursuivi est celui de créer des programmes de formation qui fonctionnent vraiment.
Investissement profitable
Investir dans de nouveaux systèmes d’information ou logiciels est très coûteux. Leur implantation promet cependant une réduction du temps de cycle et une gestion améliorée des processus. Un des coûts majeurs de l’investissement est la portion consacrée à la formation, laquelle peut gruger entre 10 % et 20 % du budget total. En contexte de crise économique, d’austérité budgétaire, ou par simple souci d’économie, beaucoup de patrons installent leurs employés devant des vidéos ou des cours assistés par ordinateur pour qu’ils apprennent à utiliser le nouveau système.
La littérature démontre que de placer l’apprenant dans un contexte de résolution de problèmes – où il est au centre de l’apprentissage et où le formateur est son coach – est une méthode qui se révèle des plus efficaces. Découvrir, en revanche, toutes les fonctionnalités d’un nouveau logiciel en passant à travers un cartable épais, assis en classe devant un formateur, est aussi monotone que d’être isolé devant son poste de travail avec un didacticiel ou un tutoriel.
En laboratoire, nous élaborons des programmes de formation sur les TI qui captent, en temps réel, les émotions ressenties pendant les différentes étapes d’apprentissage ainsi que l’impact de ces émotions sur la motivation intrinsèque de l’apprenant. Nous nous intéressons à des moyens de formation qui offrent une expérience utilisateur optimale pour aider l’apprenant à assimiler des connaissances et à établir sa compétence, tout en s’amusant.
En mettant le problème au cœur de la formation, l’utilisateur apprend comment résoudre des problèmes. La compétence qu’il acquiert en le résolvant augmente sa confiance en lui et sa motivation à poursuivre l’apprentissage.
À la pêche aux impressions !
Lorsque le développeur d’un site Web ou d’une nouvelle technologie fait appel à des tiers pour mettre à l’essai son produit, il se sert souvent d’un questionnaire administré a posteriori pour évaluer leur expérience utilisateur. Les répondants portent alors un jugement de valeur sur leur expérience générale et en fin de parcours. Leurs réponses sont subjectives et traduisent leur perception globale de l’exercice. Sans nier le rôle que joue la perception dans l’attitude et le comportement d’une personne, le questionnaire n’offre pas au sondeur d’opinion des mesures précises et en temps réel sur les différentes étapes de la formation.
Ainsi, quand une personne interagit dans le cadre de l’utilisation d’un nouveau système, il y a des moments où elle assimile facilement les notions et d’autres où elle se heurte à des difficultés. Son évaluation de l’ensemble de la formation peut être de 7 sur 10, mais il est impossible de savoir à quel moment elle a hésité ou a franchi une étape haut la main.
Pour pallier cet inconvénient, le développeur de la technologie peut alors décider de questionner l’utilisateur à quelques reprises en cours de formation. Toutefois, si le but est d’offrir une expérience optimale – c’est-à-dire la concentration soutenue de l’utilisateur et sa motivation à poursuivre l’apprentissage – il devient paradoxal d’interrompre sa concentration et de risquer de briser sa motivation.
Ces deux approches pour recueillir les impressions d’un utilisateur n’offrent donc pas de précision temporelle pour déterminer les endroits où il aura hésité ou réussi. C’est ici que deviennent intéressantes les mesures neurophysiologiques.
Ce qui se passe physiologiquement et en temps réel quand une personne est en processus d’apprentissage actif demeurait une boîte noire. Nous avons utilisé des instruments non intrusifs qui mesurent les réactions physiologiques comme la variation du rythme cardiaque, l’activité du cerveau et des glandes sudoripares ainsi que la réponse électrodermale. Nous avons constaté de très grandes variations émotionnelles entre les personnes qui sont intrinsèquement engagées dans le processus d’apprentissage et celles qui ne le sont pas. En plus d’avoir un effet positif sur la performance de l’apprenant, la motivation agirait sur son attitude devant les défis à relever et sur sa capacité de rétention.
Il est important de reconnaître qu’un apprenant novice est hypervigilant. Il ne voit pas les éléments importants du problème à résoudre et vit de l’anxiété. Une personne en état d’hypervigilance n’est pas du tout en train d’apprendre, car elle est angoissée, épuisée et constamment sur ses gardes.
Par contre, la variation dans la gamme des émotions d’un apprenant plus expérimenté, qui développe des stratégies efficaces pour résoudre des problèmes, est beaucoup plus intense. Il saisit rapidement des concepts que le novice ne voit même pas et reste à l’affût, assis sur le bout de sa chaise.
Pour maximiser l’expérience utilisateur de l’apprenant, le programme de formation proposera des moments intenses suivis de moments plus calmes. C’est ainsi qu’on réussit à maintenir l’apprenant émotionnellement engagé, un peu à la manière d’un film d’action qui intercale des moments d’extrême intensité et d’accalmie. Cette expérience dite optimale survient quand il y a équilibre entre la compétence de l’apprenant et le niveau de la difficulté à surmonter.
L’apprenant qui développe un niveau de confiance élevé retourne à son poste de travail avec un grand sentiment de compétence vis-à-vis de ses propres capacités. Devant un nouveau problème, il reproduira l’expérience acquise.
Motivation élevée, apprentissage réussi
Les programmes de formation par résolution de problèmes situent l’apprenant dans l’action. Par exemple, le logiciel ERPsim®, compatible avec le progiciel de gestion SAP, plonge l’utilisateur dans l’environnement d’affaires des systèmes de gestion intégrés. Dans ce jeu sérieux, les apprenants forment des équipes qui doivent gérer une entreprise fictive en temps réel. Ils résolvent différents problèmes pour lesquels plusieurs solutions existent. La finalité est de gagner le jeu en remettant l’entreprise sur les rails pour qu’elle redevienne rentable.
Quand les membres de l’équipe sont en situation d’expérience optimale, la motivation augmente en même temps que le plaisir ; l’adrénaline se met à monter, et ils ne tiennent plus sur leur chaise. Certains enlèvent leur veston et défont leur cravate. Ils sont intrinsèquement engagés dans le jeu et sont en situation de concentration totale.
Cette ludification de l’apprentissage contribue à renforcer la motivation intrinsèque de l’apprenant. L’utilisateur apprend par tâtonnements, fait des inférences à partir de ses propres connaissances et de son expérience. Lorsqu’il accomplit une action dans le système, il reçoit une réponse immédiate. C’est cette boucle d’autorenforcement qui lui permet d’apprendre.
En captant les émotions des apprenants alors qu’ils apprenaient les fonctionnalités du système ERPsim en contexte de simulation, il a été démontré que l’apprentissage par résolution de problèmes est celui qui réussissait le mieux. Ce contexte optimise l’expérience utilisateur, assure une meilleure assimilation des connaissances, crée des attitudes positives et favorise, par la suite, le transfert en milieu de travail. Car, au-delà de l’acquisition de nouvelles connaissances, la formation doit aussi influer sur l’attitude des gens quant à l’acceptation de la nouvelle technologie. Elle est une importante composante de la gestion du changement et doit réussir à annihiler la première perception de l’employé réticent qui ne veut pas quitter sa zone de confort.
Des formations engageantes
L’apprenant entièrement engagé dans la formation est celui qui prend part le plus intensément au jeu. C’est chez lui qu’on mesure, on l’a dit, la plus grande variation émotionnelle, car il est surpris par un nouveau problème, satisfait de l’avoir résolu et étonné par l’obstacle suivant. Le défi actuel des programmes de formation est de maintenir l’apprenant engagé en conservant son niveau d’attention cognitive et en lui proposant le bon dosage difficulté/expertise. Si ces conditions ne sont pas présentes, il se désengage, perd tout intérêt et éprouve moins d’émotions. Il est ennuyé et ne ressent aucun plaisir.
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Le but de la formation sur une nouvelle TI est d’en faire découvrir les fonctionnalités, mais surtout de montrer comment elle peut aider l’utilisateur à régler des problèmes. Or, quand l’apprenant est désengagé, il évite d’entrer en interaction avec le nouveau système. Il se tourne vers ses collègues plutôt que vers la technologie pour trouver réponse à ses questions. Le fait de ne pas utiliser le système est, d’une part, contre-productif et freine le développement des avantages associés à la nouvelle technologie. D’autre part, la discussion avec d’autres employés interrompt le flux des travaux et réduit leur productivité, car ils n’effectuent pas leurs tâches non plus.
Pour créer une expérience optimale d’apprentissage et favoriser la concentration soutenue du nouvel utilisateur, des chercheurs développent des programmes de formation en imitant le principe du jeu vidéo où le degré de difficulté augmente de tableau en tableau.
Lorsque les réactions neurophysiologiques de l’apprenant sont captées sans perturber son expérience, nous pouvons établir précisément les endroits où il achoppe en cours de formation et capter l’émotion qui en découle. L’utilisateur est-il toujours engagé, anxieux, emballé ou contrarié ? Nous pouvons également déterminer à quels moments de la journée, soit au retour d’une pause ou du repas du midi, l’apprenant a moins d’énergie ou des réflexes moins aiguisés. Il est indispensable d’obtenir la réponse à ces questions et préoccupations pour avancer les recherches sur les programmes de formation et combattre les effets négatifs.
Neuroscience et technologie de l’information ‒ un duo improbable
Le mariage récent des neurosciences et des technologies de l’information vient favorablement changer la donne dans deux domaines de recherche qui étaient complètement distincts il y a quelques années. On se sert désormais d’outils et d’indicateurs neurophysiologiques pour capter l’émotion et la motivation de personnes en situation d’apprentissage. Ces précieuses données ne peuvent servir qu’à améliorer les programmes de formation.
Actuellement, il existe une véritable mobilisation des avancées neuroscientifiques autour de toutes sortes d’applications de recherche. Les bracelets dits connectés en sont des exemples éloquents. Tout comme l’est la montre intelligente, qui s’apprête à envahir le marché. L’engouement marqué que manifeste l’être humain à l’endroit de ses signes vitaux, qu’il fasse de l’exercice physique ou se prépare à entrer en réunion, s’inscrit dans cette grande mouvance. Les applications qui lui permettent de calculer calories, distance, pas et heures de sommeil l’incitent à se fixer des objectifs dans le but d’améliorer sa santé ou de réduire son niveau de stress.
En transposant ces mesures neurophysiologiques dans un contexte d’apprentissage, il devient possible d’adapter des formations qui offrent à l’apprenant une expérience utilisateur optimale qui le tient constamment engagé. On vient peut-être de repousser à nouveau les frontières délimitant les durées, les styles et les cursus de formation.
Ressources humaines , Technologie