Article publié dans l'édition été 2015 de Gestion

Oui, la neuro a le vent en poupe, mais malgré cela, certains mythes lui collent à la peau. Quelques clins d’œil à ce sujet. Élise Labonté-Lemoyne

10 %, Vraiment ?

Qui n’a jamais entendu dire que l’humain n’utilisait que 10 % de son cerveau ? Beaucoup attribuent cette fameuse croyance à Einstein. Le mythe proviendrait en fait de William James, qui aurait dit que les humains n’utilisent qu’une petite partie des capacités de leur cerveau et n’atteignent ainsi jamais leur plein potentiel, ce qui fut éventuellement traduit en 10 % de notre cerveau. Il est vrai que le cerveau humain n’est pas utilisé en totalité à chaque instant. Chaque structure cérébrale a sa fonction propre et n’est activée que lorsque la tâche entreprise le nécessite. Ceci est dû à la grande demande en énergie et en oxygène du cerveau qui travaille. Il serait impossible et inutile que toute notre énergie soit consacrée à activer des structures cérébrales qui ne sont pas nécessaires dans l’immédiat.


LIRE AUSSI: Neuromarketing: notre cerveau sous influence commerciale


Parce que moins, c’est parfois mieux !

Il est vrai qu’avec l’âge, on observe souvent certaines pertes sur le plan des capacités cognitives. Toutefois, cela ne signifie pas qu’elles seront toutes éventuellement perdues ! Cela dépend d’une multitude de facteurs, le plus simple étant notre sexe. Si l’aptitude qui décline le plus rapidement autant chez les hommes que chez les femmes est le raisonnement mathématique, on observe des disparités pour d’autres capacités. Par exemple, chez les hommes, l’orientation spatiale est facilement conservée avec l’avancement en âge. Chez les femmes, c’est la capacité de raisonnement qui se révèle résistante. Quant à la mémoire, elle évolue différemment selon les types. La mémoire cristallisée, comme la signification des mots de vocabulaire, reste très stable avec l’avancement en âge. Toutefois, la mémoire fluide, soit la capacité à ajouter une nouvelle information à des connaissances déjà emmagasinées ou la capacité de se rappeler un événement récent, décline progressivement à partir de 60 ans. Mais ce que la mémoire perd en agilité, elle le gagne en finesse ! En général, les personnes plus âgées perçoivent mieux les nuances de langage, comprennent mieux les interactions sociales et ont une plus grande capacité de résolution de conflit.

S’entraîner les méninges ?

De nombreux jeux sur Internet et sur les téléphones mobiles prétendent améliorer les performances du cerveau et retarder le vieillissement. Lumosity en est un excellent exemple. Cette entreprise de San Francisco a plus de 40 millions de joueurs à son actif qui essaient d’améliorer leur BPI (Brain Performance Index) quotidiennement. Est-ce que ces jeux fonctionnent vraiment ? Certains chercheurs diront que oui, d’autres non, selon l’habileté qui est mesurée. Toutefois, beaucoup sont sceptiques et doutent que les habiletés acquises dans les jeux puissent se transférer dans la vie quotidienne. Un consensus demeure toutefois, soit que la pratique régulière d’activité physique est nettement plus efficace pour freiner le vieillissement du cerveau, tout particulièrement si elle est combinée avec les jeux intelligents.


Quand le cerveau suit les bottines

Qu’on se le dise : la sédentarité au travail est néfaste pour la santé, tant physique que psychologique. Les autorités médicales nous apprenaient récemment qu’une pratique régulière d’activité physique à l’extérieur des heures de travail ne parvenait pas à compenser les effets négatifs de la position assise prolongée. L’immobilité comme nouvelle cible ? Car si l’immobilisme dans les organisations peut parfois nous sembler un fléau, on peut semble-t-il user d’imagination pour s’attaquer à notre position de réflexion... Élise Labonté-Lemoyne

Le nombre d’heures passées en position assise a été lié à de nombreuses maladies physiques comme le diabète, l’hypertension artérielle, les troubles cardiaques et les douleurs musculosquelettiques. Qui plus est, le travail de nature intellectuelle influence la régulation hormonale de l’appétit, nous prédisposant à manger des aliments plus gras et plus salés, en quantité supérieure à nos besoins réels. Pas de toute tranquillité pour le corps la chaise de bureau…

Donc, on troque la chaise pour un ballon d’exercice, on accroche un podomètre à sa ceinture et on file au yoga à l’heure du dîner ? À ces options s’ajoute une nouvelle avenue pour lutter contre la sédentarité : l’utilisation du bureau actif ! Idée farfelue ? À voir l’impact sur les réseaux sociaux et au sein de la communauté scientifique qui a suivi la parution de l’article de l’équipe de recherche du Tech3Lab, il semblerait que non.

Ce bureau surélevé avec tapis roulant permet de marcher à basse vitesse tout en accomplissant les tâches de travail habituelles. Il réduit la compression dans les muscles des jambes et met un frein à la dégénérescence musculaire qui s’opère lors de périodes prolongées en position assise. De nombreuses études scientifiques démontrent les bénéfices de cette pratique pour la santé. Mais qu’en est-il de l’impact sur notre travail ? Est-on capable de travailler aussi efficacement en marchant ?

Des travaux récents réalisés par notre équipe de recherche suggèrent que oui.

Les résultats démontrent que les utilisateurs du bureau actif se souviennent davantage de l’information qu’ils ont lue que les travailleurs en position assise. La mesure de leur activité cérébrale démontre qu’ils étaient non seulement plus attentifs, mais qu’ils étaient également conscients de cette attention accrue. Sur la base de ces résultats prometteurs, la prochaine étape consiste à évaluer l’implantation du bureau actif dans les milieux de travail.


Il n’y a pas de service au numéro que vous textez

Qui n’a pas marché à l’aveugle « au volant » de son téléphone intelligent ou subi l’indélicatesse d’un coup d’épaule bien servi par un marcheur au regard rivé sur son appareil ? Plus que fâcheux, ces comportements seraient également dangereux. Devrait-on porter un casque pour texter en toute sécurité ou se questionner sur les risques de cette pratique avant qu’elle ne s’incruste définitivement dans nos normes sociales ? François Courtemanche

L’impact négatif des téléphones mobiles sur la sécurité routière a été largement démontré. Se basant sur ces résultats, la plupart des pays interdisent maintenant l’utilisation des appareils mobiles au volant. Cependant, les dangers de ce type de comportement ne se limitent pas qu’aux automobilistes. Un nombre de plus en plus grand d’accidents impliquant des piétons distraits par leur téléphone sont rapportés chaque année. Qu’on se le dise : texter en marchant augmente de 32,7 % les risques de collision ! Aux États-Unis, ce nombre a d’ailleurs dépassé en 2010 celui des accidents de la route impliquant un téléphone. Loin de se limiter au réseau routier et aux trottoirs, les accidents mettant en cause un piéton absorbé par son téléphone surviennent dans plusieurs lieux publics tels les centres commerciaux, les transports en commun… et les milieux de travail. La problématique est telle que certaines entreprises interdisent maintenant à leurs employés de texter en marchant afin de réduire les coûts liés aux accidents de travail. À ce jour, les seules recherches portant sur ce phénomène ont utilisé des méthodologies observationnelles. Celles-ci ont montré que les piétons utilisant un téléphone mobile s’exposent à un plus grand nombre de risques. Cependant, nous n’en savons que très peu sur les causes cognitives qui sous-tendent les états d’inattention durant lesquels les utilisateurs sont plus vulnérables. Les travaux menés par le Tech3Lab sont les premiers permettant d’évaluer de manière plus précise les processus attentionnels affectés par le fait de texter en marchant. Les résultats obtenus à ce jour à l’aide de mesures neurophysiologiques semblent montrer que le principal facteur de risque vient de la difficulté à libérer son attention du téléphone lorsqu’on relève la tête pour effectuer une autre tâche.

La prochaine étape de ces travaux visera à proposer des modifications à certaines fonctionnalités des appareils mobiles afin d’atténuer cette courte période d’inattention entre le moment où on se dégage de la tâche de texter pour recentrer son attention ailleurs.

Pour en savoir plus sur les risques de texter en marchant

Consultez le reportage réalisé par l’émission Découverte


Toucher virtuel, impact réel

Vous êtes un « toucheux » ? Comme 42 % de la population canadienne, vous possédez une tablette électronique ? Bienvenue à bord du « UX Touch », une expérience utilisateur que vous n’êtes pas prêt d’oublier. Sylvain Sénécal

Les technologies utilisées au quotidien sont de plus en plus tactiles. La pénétration croissante des téléphones intelligents de tous formats et des tablettes n’est évidemment pas étrangère à cette tendance. Nous interagissons avec les sites Web et applications des entreprises tout simplement avec nos doigts, au lieu de passer par une souris et un clavier, touchant directement, bien que virtuellement, les contenus proposés. Ce changement dans la façon d’interagir a-t-il un effet sur la façon dont les individus intègrent ces contenus ? C’est la question à laquelle notre groupe de recherche s’est récemment intéressé.

Nous avons demandé à des participants d’effectuer plusieurs choix de produits sur un site Web. Les participants, divisés en deux groupes, devaient comparer et faire un choix entre deux produits concurrents. Le premier groupe devait utiliser une souris et le second, un écran tactile. Les résultats ont montré que le toucher, même virtuel, a un effet sur la mémorisation pour une partie de la population. En effet, les participants ayant un plus grand besoin de toucher et ayant utilisé un écran tactile pouvaient se rappeler jusqu’à deux fois plus les marques rencontrées, les appareils tactiles favorisant leur mémorisation lors de la navigation. Ces résultats sont fort intéressants pour l’industrie publicitaire et celle du développement des applications mobiles. Nous poursuivons nos travaux sur ce sujet afin de vérifier si ces résultats se confirment dans d’autres contextes d’utilisation, tels que les environnements d’apprentissage en ligne.


Les neurosciences pour comprendre le leadership ?

Dans un récent article, « Your Brain at Work », paru dans la Harvard Buisness Review 1, les professeurs en management Adam Waytz et Malia Mason, spécialistes respectivement en neurosciences sociales et cognitives, mettent en garde les gestionnaires face à la vaste simplification des découvertes en neurosciences que l’on retrouve trop souvent dans les médias populaires. Ces interprétations sommaires alimentent une industrie bourgeonnante dans laquelle des neuroconsultants vendent des « recettes » aux dirigeants et aux gestionnaires pour développer leur leadership et en comprendre les secrets ou bien encore pour reconnaître un « bon leader » en scrutant son cerveau !

Bien que les technologies d’IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) ou d’EEG (électroencéphalographie quantitative) permettent d’examiner les régions du cerveau qui deviennent plus ou moins actives selon les pensées de la personne, ces images fortes sont toutefois attirantes pour donner une explication bien élémentaire à des phénomènes beaucoup plus complexes. Un des problèmes avec ces technologies est qu’elles ne montrent pas les liens qui existent entre toutes ces régions du cerveau. La communauté scientifique dans le champ des neurosciences remet désormais sérieusement en cause la représentation fonctionnalist du cerveau, que l’on décrit comme étant divisé en parties distinctes, chacune de ces parties étant le siège d’une fonction.


LIRE AUSSI: Comment accroître son pouvoir organisationnel?


Pour tenter de comprendre ces phénomènes à travers les processus neurologiques, Waytz et Mason soulignent l’importance d’adopter un point de vue plus sophistiqué sur les neurosciences. Ainsi, les neuroscientifiques étudient aujourd’hui l’interconnectivité des différents réseaux neuronaux, et cette approche a permis aux chercheurs de démontrer que chacune des actions ou des pensées de l’humain faisait intervenir de multiples systèmes et structures du système nerveux qui interagissent de concert à tout moment.

Pour les auteurs, un bon modèle en matière de neuromanagement est obligatoirement basé sur l’approche réseau des neurosciences. Les neuroscientifiques ont jusqu’à maintenant identifié 15 réseaux neuronaux, dont quatre, les réseaux par défaut, récompense, affectivité et contrôle, sont largement acceptés par la communauté scientifique comme étant la base du système global des réseaux. Leurs rôles respectifs ainsi que leurs implications pour les gestionnaires commencent à être mieux compris.

quatre reseaux mis en boite

Photo: Istock

Les études en neuroleadership par l’approche réseau sont encore peu nombreuses. L’une d’entre elles a examiné les dynamiques qui sous-tendent la construction des relations entre le leader et son groupe. Les chercheurs ont trouvé qu’un leader perçu comme résonnant par ses collaborateurs active plusieurs éléments du réseau « mode par défaut », circuit relié à la pensée créative et à l’ouverture aux idées nouvelles. Un leader perçu comme dissonant désactive ces mêmes éléments. Une autre étude sur les styles de coaching, notion centrale en matière de leadership, en arrive à une conclusion similaire.

Prometteuse, mais encore embryonnaire, l’approche réseau en neuroleadership présente désormais des modèles beaucoup plus nuancés qui tiennent compte de la nature relationnelle des dynamiques de leadership. Waytz et Mason insistent toutefois sur l’importance d’éviter d’avancer une interprétation trop hâtive des résultats si nous voulons surmonter les glissements et généralisations abusives de la dernière décennie. De plus, des voix s’unissent pour une prise en compte accrue des contextes et de l’environnement dans l’explication des résultats.

Les neurosciences pour comprendre le leadership… Vraiment ? J.L.

« You love your iPhone. Literally »

C’est le titre d’un éditorial publié dans le New York Times en 2011 qui faisait un lien entre la frénésie que suscitait la sortie du nouveau iPhone et une étude non publiée dans laquelle une firme de neuromarketing avait scanné le cerveau de 16 personnes pendant qu’elles entendaient la sonnerie et la vibration d’un iPhone dans une capsule vidéo. Les données de l’équipe de l’auteur, un consultant en marketing, ont montré que pendant cette stimulation, le cortex insulaire des participants s’activait. Parce que le cortex insulaire est associé aux émotions, notamment à l’amour, l’auteur avait conclu : « Ils aiment leur iPhone ». Les neuroscientifiques appellent ce phénomène la « brain porn »…


Références

1.  Waytz, A., Mason, M. (2013), « Your Brain at Work », Harvard Business Review, vol. 91, no 7/8, Jul/Aug, p. 102-111. Source tableau : p. 103.